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« Je me demande ce qui se passe, dit-il. J’aimerais bien le savoir. Écoutez, est-ce que vous avez des noms ? Ça me fait tout drôle de parler à des interlocuteurs sans nom.

— J’suis le seul, répondit Gaspode. Vu que j’suis un chien. On me l’a donné à cause du célèbre Gaspode, tu vois.

— Un gamin m’a une fois appelé Minet, fit le chat en hésitant.

— Je croyais que vous aviez des noms dans votre propre langue, dit Victor. Vous savez, “Pattes Vigoureuses”, “Chasseur Éclair” ou quelque chose comme ça. »

Il eut un sourire encourageant.

Les autres le fixèrent d’un long regard vide.

« Il lit des bouquins, expliqua Gaspode. Tu vois, ajouta-t-il en se grattant vigoureusement, les animaux s’embêtent pas trop avec des noms. J’veux dire, on sait qui on est.

— Remarquez, moi j’aime bien « Chasseur Éclair », fit la souris.

— C’est plutôt un nom de chat, je trouve, dit Victor qui commençait à transpirer. Les souris, elles portent des petits noms gentils comme… comme “Couinette”.

— Couinette ? » répéta la souris d’un ton glacial.

Le lapin eut un grand sourire.

« Et… et j’ai toujours cru que les lapins, on les appelait “Longues Oreilles”. Ou “Monsieur Pan-pan” », bafouilla Victor.

Le lapin cessa de sourire et remua des oreilles. « Écoute, mon pote… commença-t-il.

— Vous savez, intervint joyeusement Gaspode dans une tentative de relance de la conversation, j’ai entendu parler d’une légende comme quoi les deux premiers humains du monde auraient baptisé tous les animaux. Ça donne à réfléchir, hein ? »

Victor sortit le livre afin de cacher son embarras. Allumer des feux et chanter. Trois fois par jour.

« Le vieux, là… fit-il.

— Qu’est-ce qu’il a de si important ? lança le lapin. Il venait sur la colline et faisait du bruit plusieurs fois par jour. Réglé comme une… comme une… » Il hésita. « Toujours aux mêmes heures. Des tas de fois par jour.

— Trois fois. Trois représentations. Comme un genre de théâtre ? proposa Victor en faisant courir son doigt le long de la page.

— On sait pas compter jusqu’à trois, dit avec aigreur le lapin. On commence à un… et après, ça fait beaucoup. Des tas de fois. » Il jeta un regard noir à Victor. « Monsieur Pan-pan, répéta-t-il d’un ton méprisant.

— Et les gens d’ailleurs lui apportaient du poisson. Il n’y a personne d’autre dans le coin. Ils devaient venir de loin. On faisait des kilomètres en bateau rien que pour lui apporter du poisson. Comme s’il ne voulait pas manger du poisson de la baie d’ici. Et pourtant, il y en a en pagaïe. Quand je suis allé nager, j’ai vu des homards, vous ne le croiriez pas.

— Comment tu les appelles, eux ? demanda Monsieur Pan-pan qui était un lapin à la rancune tenace. Monsieur Clac-clac ?

— Ouais, j’veux qu’on règle cette affaire tout de suite, couina la souris. Chez moi, j’étais une souris fortiche. J’battais toutes les autres à plate couture. Je veux un nom correct, mon vieux. Le premier qui m’appelle “Couine-Bottes” (elle leva les yeux sur Victor), je lui fais une tête façon poêle à frire, compris ? »

Le canard se lança dans un long chapelet de coin-coin.

« Minute, fit Gaspode. D’après le canard, tout ça relève de la même affaire. Les humains, les trolls et tous ceux qui rappliquent ici. Les animaux qui s’mettent d’un coup à parler. Le canard dit qu’à son avis, c’est dû à quelque chose qui traîne dans le coin.

— Comment un canard peut savoir ça ? s’étonna Victor.

— Écoute, l’ami, fit le lapin, quand toi, t’arriveras à voler par-dessus tout un océan et à retrouver sans te gourer le même putain de continent, tu auras droit de débiner les canards.

— Oh. Les sens mystérieux des animaux, c’est ça ? »

Ils le fixèrent d’un regard mauvais.

« Enfin, faut que ça cesse, dit Gaspode. Réfléchir et parler, ces trucs-là, c’est parfait pour vous, les humains. Vous êtes habitués. L’problème, tu vois… faut que quelqu’un trouve la cause de tout ça… »

Ils continuaient de le fixer d’un regard mauvais.

« Ben, dit-il distraitement, le livre pourrait peut-être nous aider ? Les pages du début sont écrites dans une espèce de langue ancienne. Je n’arrive pas… » Il marqua un temps. Olive-Oued ne faisait pas bon accueil aux mages. Ce n’était sûrement pas une bonne idée de mentionner l’Université ni le petit rôle qu’il y avait joué. « C’est-à-dire, poursuivit-il en choisissant ses mots avec soin, je crois que je connais quelqu’un à Ankh-Morpork qui pourrait les lire. C’est un animal, lui aussi. Un anthropoïde.

— Il vaut quoi, question sens mystérieux ? demanda Gaspode.

— Là-dessus, il en connaît un rayon.

— Dans ce cas… fit le lapin.

— Minute, le coupa Gaspode. On vient. »

On voyait s’agiter une torche qui montait à l’assaut de la colline. Le canard s’élança gauchement dans le ciel et s’éloigna en vol plané. Les autres disparurent dans l’ombre. Seul le chien ne bougea pas.

« Tu ne te sauves pas, toi ? » souffla Victor.

Gaspode leva un sourcil.

« Ouah ? » fit-il.

La torche zigzaguait par à-coups parmi les broussailles, comme une luciole. De temps en temps, elle s’arrêtait un moment avant de repartir au hasard dans une tout autre direction. Elle brillait intensément.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Victor.

Gaspode flaira. « Humain, répondit-il. Une femme. Parfum de pacotille. » Sa truffe remua encore. « Jouet de la passion, ça s’appelle. » Il renifla une nouvelle fois. « Linge propre, pas d’amidon. Vieilles chaussures. Beaucoup de maquillage de studio. Elle est allée chez Borgle et elle a pris… (son museau frémit) du r’goût. Pas une grosse portion.

— J’imagine que tu peux dire quelle taille elle fait, hein ?

— À vue de museau, un mètre cinquante-huit, cinquante-neuf, hasarda Gaspode.

— Oh, allez !

— Quand t’auras vécu aussi longtemps qu’moi à quatre pattes, tu pourras m’traiter de menteur. »

À coups de pieds, Victor recouvrit de sable son petit feu et descendit la pente sans se presser.

La lumière cessa de bouger à son approche. L’espace d’un instant, il eut la vision fugitive d’une femme serrant un châle autour d’elle et tenant une torche à bout de bras au-dessus de la tête. Puis la lumière s’évanouit si vite que des images résiduelles bleues et violettes continuèrent de lui danser sur la rétine. Derrière elles, une petite silhouette formait une masse plus sombre sur le fond du crépuscule.

La silhouette lança : « Qu’est-ce que vous faites dans mon… Qu’est-ce que je… Pourquoi vous êtes dans… Où… ? » Puis, comme si elle prenait enfin la situation en main, elle enclencha la vitesse supérieure et, d’une voix beaucoup plus familière, demanda : « Qu’est-ce que vous fichez ici, vous ?

— Ginger ? fit Victor.

— Oui ? »

Victor marqua un temps. On fait quoi, d’habitude, dans ce genre de circonstances ? « Euh… dit-il. C’est agréable de se promener le soir par ici, vous ne trouvez pas ? »

Elle jeta un regard mauvais à Gaspode.

« C’est l’horrible chien qui traîne autour du studio, non ? fit-elle. Les petits chiens, je ne peux pas les voir en peinture.

— Aboie, aboie », dit Gaspode. Ginger le regarda, les yeux écarquillés. Victor pouvait presque lire dans les pensées de la jeune femme : Il a dit « aboie, aboie ». C’est un chien et c’est ce que font les chiens, non ?

« Moi, je suis plutôt chat », expliqua-t-elle distraitement.