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Il avait la figure toute rouge. Derrière lui se dressait Détritus le troll, lequel tenait patiemment sur une paume au-dessus de sa tête ce qui se révéla être un lit, comme un serveur tient un plateau. Planteur, lui, tenait les draps dans une main. Victor s’aperçut alors que tout le lit, outre les draps, était couvert d’une écriture serrée.

« Mais le coût… protesta Gauledouin.

— Pour l’argent, on trouvera bien un moyen », répliqua tranquillement Planteur.

Gauledouin n’aurait pas eu l’air plus horrifié si Planteur avait porté une robe. Il tenta de se ressaisir.

« Ben, si vous êtes vraiment décidé, la Gorge…

— Et comment !

— … j’imagine, à la réflexion, qu’on pourrait peut-être amortir le coût sur plusieurs films, et même louer le décor après…

— Qu’est-ce que vous m’chantez, là ? s’exclama Planteur. On construit ça pour Quand s’emporte le vent d’autan !

— Oui, oui, bien sûr, fit Gauledouin d’un ton apaisant. Et après, on pourra…

— Après ? Y aura pas d’après ? Vous avez pas lu l’scénario ? Détritus, montre-lui l’scénario ! »

Détritus laissa obligeamment tomber le lit entre eux.

« C’est votre lit, ça, la Gorge.

— Scénario, lit, tout ça, c’est des pages, non ? Tenez… là… juste au-dessus d’la moulure… »

Suivit un silence tandis que Gauledouin lisait. Un silence plutôt long. Gauledouin avait davantage l’habitude de lire des colonnes se terminant par des totaux en bas.

« Vous allez… y… mettre le feu ? finit-il par demander.

— C’est historique. On discute pas avec l’histoire, rétorqua Planteur avec suffisance. La ville a entièrement brûlé, tout le monde sait ça. »

Gauledouin se redressa. « La ville a peut-être brûlé, fit-il avec raideur, mais je n’étais pas obligé de trouver le financement ! Une extravagance pareille, c’est casse-cou !

— Je payerai, d’une façon ou d’une autre, dit calmement Planteur.

— En un mot : im-pos-sible !

— Ça fait trois mots, ça.

— Je ne vois pas comment je peux monter une affaire pareille, dit Gauledouin en ignorant l’interruption. J’ai essayé de comprendre votre point de vue, non ? Mais vous avez mis le pied dans le cinéma et vous essayez d’en faire des… des… des rêves. Je n’ai jamais voulu ça, moi ! Comptez-moi hors du coup !

— D’ac-cord. » Planteur leva les yeux vers le troll.

« M’sieur Gauledouin allait partir », dit-il. Détritus hocha la tête puis saisit lentement mais fermement Gauledouin par le col.

L’alchimiste blêmit. « Vous ne pouvez pas vous débarrasser de moi comme ça, dit-il.

— On parie ?

— Plus aucun alchimiste d’Olive-Oued ne voudra travailler avec vous ! On emmènera les opérateurs avec nous ! Vous serez fini !

— Écoutez ! Après ce film-là, tout Olive-Oued viendra me trouver pour du boulot ! Détritus, vire-moi ce minable !

— À vot’service, m’sieur Planteur, gronda le troll en serrant le col de Gauledouin.

— Vous n’avez pas fini d’en entendre parler, espèce de… espèce de mégalomane intrigant et sournois ! »

Planteur ôta le cigare de sa bouche.

« Pour vous, ce sera monsieur Mégalomane », dit-il.

Il renfourna son cigare et adressa un signe de tête éloquent au troll qui, délicatement mais solidement, empoigna aussi Gauledouin par une jambe.

« Pose la main sur moi, et tu ne travailleras plus jamais dans cette ville ! s’écria Gauledouin.

— J’ai déjà boulot, m’sieur Gauledouin, fit calmement Détritus en portant l’alchimiste vers la sortie. Vice-président des videurs d’indésirables que m’sieur Planteur aime pas la figure.

— Alors faudra embaucher un aide ! grogna Gauledouin.

— J’ai neveu, cherche une place, dit le troll. Bien l’bonjour.

— Bon, fit Planteur en se frottant vivement les mains. Sol ! »

Sol surgit de derrière une table sur tréteaux couverte de plans roulés et se retira un crayon de la bouche.

« Oui, mon oncle ?

— Combien de temps ça va prendre ?

— À peu près quatre jours, mon oncle.

— Trop long. Embauche du renfort. J’veux ça pour demain, d’accord ?

— Mais, mon oncle…

— Sinon, t’es viré », le coupa Planteur. Sol eut l’air effrayé.

« Je suis ton neveu, mon oncle, protesta-t-il. On vire pas les neveux. »

Planteur jeta un coup d’œil à la ronde et parut constater la présence de Victor pour la première fois.

« Ah, Victor. Les mots, ça te connaît, toi, dit-il. Est-ce que j’peux virer un neveu ?

— Euh… Je ne crois pas. Je crois que les neveux, il faut les renier, quelque chose comme ça, répondit maladroitement Victor. Mais…

— Voilà ! Voilà ! fit Planteur. Bravo ! J’savais que c’était un mot dans ce goût-là. Renier. T’entends ça, Sol ?

— Oui, mon oncle, répondit un Sol découragé. Alors je vais aller voir si je peux trouver d’autres charpentiers, hein ?

— Voilà. »

Sol lança à Victor un bref regard d’étonnement terrifié tandis qu’il détalait. Planteur entreprit de haranguer un groupe d’opérateurs. Des directives lui jaillirent de la bouche comme de l’eau d’une fontaine.

« M’est avis qu’personne va faire un tour à Ankh-Morpork ce matin, alors, fit une voix près du genou de Victor.

— C’est vrai qu’il a l’air très… euh… très ambitieux, aujourd’hui, dit Victor. Plus du tout lui-même. »

Gaspode se gratta une oreille. « J’ai quèque chose à te dire.

C’est quoi, déjà ? Ah, ouais. Je m’souviens. Ta p’tite amie, c’est une agente des puissances démoniaques. La nuit où on l’a vue sur la colline, elle allait sûrement communier avec le mal. Qu’esse tu dis d’ça, hein ? »

Le chien sourit de toutes ses dents. Il n’était pas mécontent de son entrée en matière.

« Chouette », fit distraitement Victor. Planteur se comportait assurément plus bizarrement que d’habitude. Plus bizarrement encore que d’habitude pour Olive-Oued, et même…

« Ouais, reprit Gaspode, un brin refroidi par l’accueil du jeune homme. Doit gambader la nuit avec d’abominables intelligences occultes venues tout droit de l’Autre Côté, ça m’étonnerait pas.

— Bien », fit Victor. Normalement, on ne brûlait rien à Olive-Oued. On gardait tout et on repeignait sur l’envers. Malgré lui, il commençait à se sentir intéressé.

« … des milliers d’acteurs, disait Planteur. Trouvez-les où vous voulez, je m’en fiche, on embauchera tous les habitants d’Olive-Oued s’il faut, vu ? Et j’veux…

— L’allait les aider dans leur projet maléfique de s’rendre maîtres du monde, si tu veux mon avis, poursuivit Gaspode.

— Ah bon ? » fit Victor. Planteur parlait maintenant à deux apprentis alchimistes. Comment ça ? Un film de vingt bobines ? Mais personne n’avait jamais espéré faire mieux que cinq !

« Ouais, fallait creuser pour les tirer d’leur sommeil éternel et qu’ils sèment la destruction comme un feu d’pagaïe, quoi, insista Gaspode. Sûrement avec le coup d’main des chats, tu peux m’cr…

— Écoute, tu veux la fermer une minute, dis ? l’interrompit Victor avec irritation. J’essaye d’entendre ce qu’ils racontent.

— Ben, tu m’excuseras. J’voulais seulement sauver l’monde, moi, marmonna Gaspode. Si des créatures épouvantaffreuses d’avant l’aube des temps s’mettent à t’faire coucou de sous ton lit, tu viendras pas t’plaindre.