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— Ben, euh… oui, mais votre logeuse, ça ne va peut-être pas lui plaire… fit Victor.

— Oh, madame Cosmopilite a les idées très larges.

— Ah bon ?

— Elle va seulement se dire qu’on couche ensemble.

— Ah, fit Victor d’une voix caverneuse. Alors, ça va.

— Le jeune m’sieur Planteur, il aime pas ça, qu’on fasse attendre, insista Détritus.

— Oh, la ferme », répliqua Ginger. Elle se leva et chassa d’un revers de main la poussière de sa robe. Détritus cligna des yeux. On lui ordonnait rarement de la fermer. L’inquiétude lui creusa au front quelques lignes de failles. Il se tourna et dressa encore sa masse, cette fois au-dessus de Victor.

« Le jeune m’sieur Planteur, il aime pas…

— Oh, tire-toi », lui jeta sèchement Victor qui suivit Ginger sans se presser.

Détritus se retrouva seul et plissa les yeux sous l’effort de réflexion.

Évidemment, il arrivait que des humains lui disent « tire-toi » ou « la ferme », mais toujours avec des accents de bravade terrifiée dans la voix, à quoi il répliquait immanquablement par « hur hur » avant de leur taper dessus. Mais aucun ne lui avait jamais parlé comme si l’existence était le cadet de ses soucis. Ses épaules massives s’affaissèrent. Ça ne lui valait peut-être rien de passer son temps avec Rubis.

Sol se tenait debout au-dessus du peintre responsable des cartons. Il leva la tête à l’approche de Victor et de Ginger.

« Bien, fit-il. En place, tout le monde. On va tourner directement la scène du bal. » Il avait l’air content de lui.

« Pour les dialogues, c’est réglé ? demanda Victor.

— Aucun problème », répondit fièrement Sol. Il jeta un coup d’œil au soleil. « On a perdu beaucoup de temps, ajouta-t-il, alors pas la peine d’en gaspiller davantage.

— Je ne vous aurais pas cru capable de faire changer d’avis J.M.T.L.G. comme ça.

— Il n’avait pas d’arguments. Il est reparti bouder dans son bureau, j’imagine, dit Sol avec condescendance. D’accord, tout le monde, on va… »

Le peintre en lettres lui tira sur la manche.

« Je me demandais, m’sieur Sol… Qu’est-ce que vous voulez que je mette dans la grande scène, maintenant que Victor ne parle plus de côtes… ?

— C’est pas le moment de m’embêter, mon vieux !

— Mais si vous pouviez seulement me donner une idée… »

Sol décrocha fermement la main de l’homme de sa manche.

« Franchement, dit-il, je m’en fous », et il se dirigea à grands pas vers le lieu du tournage.

Le peintre se retrouva seul. Il ramassa son pinceau. Ses lèvres remuèrent en silence, esquissèrent les mots.

« Hmm, fit-il alors. Pas mal. »

Banana N’Vectif, le chasseur le plus rusé des grandes plaines jaunes de Klatch, retint son souffle alors qu’il installait la dernière pièce à l’aide d’une pince à épiler. La pluie tambourinait sur le toit de sa hutte.

Là. Ça y était.

Il n’avait encore jamais rien fait de tel, mais il savait qu’il le faisait comme il fallait.

Il avait tout piégé dans sa vie, des zèbres aux thargas, et ça lui avait rapporté quoi ? Mais hier, en ramenant un chargement de peaux à N’kouf, il avait entendu un négociant dire que le jour où un type inventerait une souricière efficace, le monde se presserait en foule à sa porte.

Il était resté allongé toute la nuit sans dormir, à réfléchir à la question. Puis, aux premières lueurs de l’aube, il avait gribouillé quelques croquis avec un bâton sur la paroi de sa hutte et s’était mis au boulot. Il avait profité de son passage en ville pour jeter un coup d’œil à quelques souricières, lesquelles laissaient manifestement à désirer. Elles n’avaient pas été conçues par des chasseurs.

Il saisit alors la brindille et l’introduisit doucement dans le mécanisme.

Clac.

Parfait.

Maintenant, tout ce qui lui restait à faire, c’était retourner à N’kouf et voir si le marchand…

La pluie battait vraiment très fort. En fait, on aurait plutôt dit…

Lorsque Banana se réveilla, il gisait dans les décombres de sa hutte, eux-mêmes répandus sur un andain d’un kilomètre de large de boue piétinée.

Il regarda d’un œil glauque ce qui restait de chez lui. Il regarda la balafre brune qui courait d’un bout à l’autre de l’horizon. Il regarda le nuage sombre et boueux tout juste visible à une extrémité.

Puis il regarda par terre. La souricière améliorée n’était plus qu’un dessin plutôt joli à deux dimensions, écrasé au beau milieu d’une gigantesque empreinte.

« J’savais pas que c’était aussi efficace », dit-il.

S’il faut en croire les livres d’histoire, la bataille décisive qui mit fin à la guerre civile d’Ankh-Morpork vit s’affronter deux poignées d’hommes sur les rotules dans un marécage aux premières heures d’une matinée brumeuse et, malgré la victoire proclamée d’un des camps, se termina en réalité sur le résultat de : humains 0, corbeaux 1000 – ce qui est le cas de la plupart des batailles.

Les deux Planteur étaient d’accord sur un point : s’ils avaient eu leur mot à dire, personne ne se serait permis de mener une guerre aussi minable. C’était un crime d’avoir laissé des incapables mettre en scène un tournant capital dans l’histoire de la ville sans recourir à des milliers de participants, des chameaux, des fossés, des ouvrages de terre, des engins de siège, des trébuchets, des chevaux et des étendards.

« Et dans un putain d’brouillard, en plus, renchérit Électro. Aucun sens de l’éclairage. »

Il embrassa du regard le champ de bataille, une main en visière au-dessus des yeux pour se protéger du soleil. Onze opérateurs allaient travailler sur cette scène-là, sous tous les angles possibles et imaginables. Un à un, ils levèrent le pouce.

Électro gratta sur la boîte à images devant lui.

« Prêts, les gars ? » lança-t-il.

Un chœur de couinements lui répondit.

« Braves petits, dit-il. Prenez-moi ça comme y faut et j’vous file un lézard de rabe pour le quatre-heures. »

Il saisit la manivelle d’une main et ramassa un mégaphone de l’autre.

« Quand vous voudrez, m’sieur Planteur ! » brailla-t-il.

J.M.T.L.G. hocha la tête ; il allait lever la main lorsque le bras de Sol se détendit et l’arrêta. Le neveu fixait, les yeux écarquillés, les rangs de cavaliers.

« Un moment, fit-il d’un ton égal avant de mettre les mains en coupe et d’élever la voix pour crier : « Hé, vous, là-bas ! Le quinzième chevalier ! Oui, vous ! Vous voulez bien déployer votre étendard, s’il vous plaît ? Merci. Pourriez-vous aller voir madame Cosmopilite pour qu’elle vous en donne un autre, je vous prie ? Merci. »

Sol se tourna vers son oncle, les sourcils levés.

« C’est… c’est un emblème héraldique, expliqua aussitôt Planteur.

— Des côtelettes en croix sur champ de laitue ?

— Très portés sur la cuisine, ces vieux chevaliers…

— Et j’ai bien aimé la devise : “Les féaux s’en mettent plein la dalle à la table féodale de l’Antre à Côtes de Harga.” Si on avait le son, je me demande quel cri de guerre il aurait poussé !

— T’es ma chair et mon sang, dit Planteur en secouant la tête. Comment tu peux m’faire ça ?

— Parce que je suis ta chair et ton sang », répondit Sol.

Le visage de Planteur s’éclaira. Évidemment, vu sous cet angle, ça passait mieux.

Olive-Oued. Pour que le temps défile vite, il suffit de filmer les aiguilles de l’horloge en accéléré…

À l’Université de l’Invisible, le résographe enregistre déjà sept plocs à la minute.