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— J’ai vu. »

Tous ces gens – ces choses qui avaient été des gens – assis en rangs. Comme s’ils regardaient un clic.

Il avait presque atteint le pseudo-mur maintenant. Il miroitait au-dessus de lui, un rectangle avec une longueur et une hauteur, mais sans épaisseur.

Juste devant lui, presque sous l’écran blanc, une volée de marches plus petites l’amena dans une fosse circulaire à demi pleine de débris. En grimpant sur les débris, il vit derrière l’écran, là d’où venait la lumière.

C’était Ginger. Debout, elle tendait un bras en l’air. La torche dans sa main brûlait comme du phosphore.

La tête levée, elle regardait fixement un corps sur un bloc de pierre. Un géant. Ou du moins, quelque chose qui ressemblait à un géant. Ce n’était peut-être qu’une armure avec une épée posée dessus, à moitié ensevelie dans la poussière et le sable.

« C’est le machin du livre ! souffla Victor. Bons dieux, qu’est-ce qu’elle s’imagine faire ?

— À mon avis, elle s’imagine rien du tout », répondit Gaspode.

Ginger se tourna à demi et Victor distingua son visage. Elle souriait.

Derrière le bloc de pierre, Victor aperçut une espèce de grand disque corrodé. Lui au moins, il pendait du plafond par des chaînes normales, il ne défiait pas effrontément les lois de la pesanteur. « D’accord, dit-il, je vais mettre un terme à ça tout de suite. Ginger ! »

L’écho de sa voix lui revint avec force des murs distants. Il l’entendit rebondir le long d’autres cavernes et de couloirs : …er,…er,…er. Une pierre tomba dans un bruit sourd quelque part, loin derrière lui.

« Vas-y mollo ! fit Gaspode. Tout l’décor va nous tomber dessus !

— Ginger ! souffla Victor. C’est moi ! »

Elle se retourna complètement et son regard se posa sur lui, ou à travers lui, ou dans lui.

« Victor, dit-elle d’une voix douce. Allez-vous-en. Loin. Allez-vous-en maintenant sinon un grand malheur va s’abattre.

— Un grand malheur va s’abattre, marmonna Gaspode. Ça, c’est de l’augure, c’est sûr.

— Vous ne savez pas ce que vous faites, dit Victor. Vous m’avez demandé de vous arrêter ! Revenez. Revenez avec moi maintenant. »

Il voulut se hisser plus haut…

… et quelque chose s’enfonça sous son pied. Il entendit un gargouillement lointain, un bruit sourd et métallique, puis une note musicale aqueuse s’éleva autour de lui et rebondit en écho dans la caverne. Il déplaça son pied en vitesse, hélas sur une autre partie du rebord qui s’enfonça comme la première en émettant une note différente.

S’y ajoutait un raclement. Victor s’était tenu dans une petite fosse encastrée. À sa grande horreur, il se rendit alors compte qu’elle montait lentement sur fond de notes claironnantes mais aussi de ronronnements et de sifflements d’une machinerie ancienne. Il tendit brusquement les mains et toucha un levier rouillé qui produisit un accord différent avant de se briser net. Lazzi hurlait. Victor vit Ginger lâcher sa torche pour se plaquer les mains sur les oreilles.

Un bloc de maçonnerie se détacha lentement du mur et s’écrasa sur les sièges. Des fragments de pierre tombèrent en crépitant, et un grondement en contrepoint à la cacophonie laissa entendre que le vacarme remodelait l’ensemble de la caverne.

Puis les notes moururent dans un long gargouillement étranglé suivi d’un ultime hoquet. Une succession de secousses et de grincements indiquèrent que la machinerie préhistorique mise en branle par Victor avait donné tout ce qu’elle avait dans le ventre avant de rendre l’âme.

Le silence retomba.

Le jeune homme abandonna prudemment la fosse musicale, laquelle dépassait à présent d’un bon mètre le niveau du sol, et se précipita vers Ginger. La jeune femme sanglotait à genoux.

« Venez, dit-il. Fichons le camp d’ici.

— Je suis où ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Je serais bien en peine de vous expliquer. »

La torche crachotait par terre. Ce n’était plus un feu actinique désormais, seulement un morceau de bois flotté calciné et presque éteint. Victor la saisit et l’agita en tous sens jusqu’à ce qu’une flamme jaune terne apparaisse.

« Gaspode ? lança-t-il sèchement.

— Ouais ?

— Vous deux, les chiens, vous ouvrez la marche.

— Oh, merci beaucoup. »

Ginger s’accrocha au jeune homme pour remonter l’allée en titubant. Malgré une terreur naissante, Victor devait reconnaître que c’était une sensation très agréable. Il jeta un regard circulaire sur les quelques occupants des sièges et frissonna.

« On dirait qu’ils sont morts en regardant un clic, fit-il.

— Ouais. Un film comique, précisa Gaspode qui trottait devant lui.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Ils sourient tous.

— Gaspode !

— Ben quoi, faut voir l’bon côté des choses, non ? ricana le chien. D’accord, on s’retrouve dans une tombe perdue sous terre avec une dingue amoureuse des chats et une torche prête à s’éteindre d’une seconde à l’autre, mais on va pas s’lamenter pour si peu…

— Avance donc ! Avance donc ! »

Ils dévalèrent les marches, moitié courant moitié chutant, dérapèrent fâcheusement sur les algues au pied de l’escalier, puis foncèrent vers le petit porche prometteur d’une atmosphère vivante et d’une lumière du jour éclatante. La torche commençait à roussir la main de Victor. Il la lâcha. Au moins, ils n’avaient pas rencontré de difficultés dans le couloir ; s’ils suivaient toujours le même mur et ne faisaient pas les imbéciles, ils tomberaient forcément sur l’entrée. Le jour avait dû se lever maintenant, ce qui voulait dire qu’ils n’allaient pas tarder à voir la lumière.

Victor se redressa. Très héroïque, cette histoire. Il n’y avait pas eu de monstres à combattre, mais même eux avaient dû tomber en pourriture des siècles plus tôt. Évidemment, ça lui avait flanqué la chair de poule, mais il ne s’agissait en fait que… d’archéologie, quoi. Maintenant que c’était fini, ça ne lui paraissait pas si terrible…

Lazzi, qui courait en avant d’eux, aboya soudain.

« Qu’est-ce qu’il dit ? demanda Victor.

— Il dit, répondit Gaspode, que l’tunnel est bloqué.

— Oh, non !

— Sûrement ton récital d’orgue qu’a fait ça.

— Vraiment bloqué ? »

Vraiment bloqué. Victor grimpa sur le talus d’effondrement. Plusieurs grandes dalles du plafond étaient tombées, entraînant dans leur chute des tonnes de roche brisée. Il tira et poussa sur un ou deux morceaux, mais ne réussit qu’à déclencher de nouvelles avalanches.

« Il y a peut-être une autre sortie ? dit-il. Vous autres, les chiens, vous pouvez peut-être aller…

— Oublie ça, mon pote, fit Gaspode. De toute façon, la seule autre solution, c’est de descendre l’escalier. Il rejoint la mer, non ? Tout c’que t’as à faire, c’est nager en espérant que tes poumons tiendront l’coup. »

Lazzi aboya encore.

« Non, pas toi, dit Gaspode. C’est pas à toi que j’parlais. Faut jamais s’porter volontaire. »

Victor continuait de creuser dans la rocaille. « Je ne sais pas, dit-il au bout d’un moment, mais j’ai l’impression que je vois un peu de lumière par ici. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Il entendit Gaspode escalader tant bien que mal les cailloux. « Possible, possible, reconnut le chien de mauvaise grâce. On dirait que deux blocs se sont intercalés en ménageant un espace.

— Assez large pour que quelqu’un de petit puisse y ramper ? demanda Victor d’un ton encourageant.

— J’savais que t’allais dire ça. »