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Victor entendit un raclement de griffes dans la pierraille. Une voix assourdie lui parvint enfin : « Ça s’ouvre un peu… Vachement étroit là-d’dans… merde alors… »

Puis le silence.

« Gaspode ? s’inquiéta Victor.

— Ça va. J’suis passé. Et j’vois la porte.

— Génial ! »

Victor sentit un déplacement d’air et entendit gratter. Il tendit prudemment la main et toucha un corps poilu qui se démenait rageusement.

« Lazzi essaye de te suivre !

— L’est trop gros. Va rester coincé ! »

Suivirent un grognement canin, un coup de patte frénétique qui arrosa Victor de graviers et un petit aboiement de triomphe.

« ’videmment, l’est un brin plus maigre que moi, fit Gaspode quelques secondes plus tard.

— Maintenant, vous foncez tous les deux chercher de l’aide, dit Victor. Euh… Nous, on vous attend ici. »

Il entendit les chiens s’éloigner peu à peu. L’aboiement de Lazzi au loin lui apprit qu’ils avaient gagné l’air libre.

Victor s’assit, le dos contre les cailloux. « Maintenant, on n’a plus qu’à attendre, dit-il.

— On est sous la colline, c’est ça ? demanda la voix de Ginger dans le noir.

— Oui.

— Comment on est arrivés là ?

— Je vous ai suivie.

— Je vous avais dit de m’en empêcher.

— Oui, mais vous m’avez attaché.

— Je n’ai pas fait une chose pareille !

— Vous m’avez attaché, répéta Victor. Ensuite vous êtes venue ici, vous avez ouvert la porte, fabriqué une espèce de torche et vous êtes allée dans… dans cette salle, là-bas. Je frémis à l’idée de ce que vous auriez fait si je ne vous avais pas réveillée. »

Il y eut une pause.

« J’ai vraiment fait tout ça ? demanda-t-elle d’une voix hésitante.

— Vraiment.

— Mais je ne me souviens de rien !

— Ça, je veux bien le croire. Mais vous l’avez fait quand même.

— C’est… c’était quoi, cette salle, d’ailleurs ? »

Victor remua dans l’obscurité pour trouver une position plus confortable.

« Je n’en sais rien, confessa-t-il. Au début, j’ai pris ça pour un temple. Et on aurait dit que les gens s’en servaient pour regarder des films.

— Mais elle doit avoir des centaines d’années !

— Des milliers, moi je pense.

— Mais, écoutez, c’est impossible, fit Ginger de la petite voix de qui veut garder la raison tandis que la folie enfonce la porte au fendoir. Les alchimistes n’en ont eu l’idée qu’il y a seulement quelques mois.

— Oui. Ça donne à réfléchir. »

Il tendit la main et trouva la jeune femme dont le corps raide comme un piquet tressaillit à son contact.

« On est à l’abri, ici, ajouta-t-il. Gaspode ne va pas tarder à ramener de l’aide. Ne vous inquiétez pas. »

Il s’efforça de ne pas penser à la mer qui clapotait contre l’escalier, ni aux bestioles à pattes multiples qui cavalaient par terre dans le noir. Il s’efforça de se sortir de la tête l’image de pieuvres se coulant silencieusement sur les sièges devant l’écran mouvant, vivant. Il s’efforça d’oublier les habitués assis dans l’obscurité pendant que les siècles passaient au-dessus de leurs têtes. Peut-être attendaient-ils que s’amène la vendeuse de grains sauteurs et de saucisses chaudes.

La vie, c’est comme regarder un clic, songea-t-il. Mais un clic que vous prenez toujours dix minutes après le début, dont personne ne vous raconte l’intrigue et que vous devez reconstituer à partir d’indices. Et vous n’avez jamais, jamais, la possibilité de rester à votre place pour la seconde séance. »

La lueur d’une bougie tremblotait dans le couloir de l’Université.

L’économe ne se prenait pas pour un brave. Ce qu’il aimait le mieux affronter, c’était une colonne de chiffres, et ses compétences en la matière l’avaient hissé plus haut dans la hiérarchie de l’Université de l’Invisible que ne l’avait jamais fait la magie. Mais il ne pouvait pas laisser passer ça.

… vroumm… vroumm… vroummvvroummroumm VROUMM VROUMM.

Il s’accroupit derrière un pilier et compta onze plombs. De petits geysers de sable fusaient des sacs. Le phénomène se produisait toutes les deux minutes maintenant.

Il courut au tas de sacs de sable et tira fort dessus.

La réalité n’était pas la même partout. Ça, évidemment, tout mage le savait. La réalité n’était pas très épaisse sur le Disque. En certains points, elle était même franchement arachnéenne. Voilà pourquoi la magie fonctionnait. Ce que Riktor croyait pouvoir mesurer, c’étaient les changements dans la réalité, les points où le réel devenait rapidement irréel. Et tout mage savait ce qui risquait d’arriver quand les choses devenaient assez irréelles pour former un trou.

Mais, se dit-il alors qu’il s’efforçait d’agripper les sacs, il faudrait une débauche incroyable de magie. Une quantité pareille, on ne manquerait pas de la repérer. Ça sauterait aux yeux comme… ben, comme une grosse quantité de magie.

Ça devait maintenant faire cinquante secondes.

Il jeta un coup d’œil au vase dans son abri.

Oh.

Il avait espéré se tromper.

Tous les plombs avaient été expulsés dans une seule direction. Une demi-douzaine de sacs ressemblaient à des passoires. Et d’après les Nombres, deux plombs par mois signalaient une accumulation dangereuse d’irréalité…

L’économe traça mentalement une ligne droite qui partait du vase, traversait les sacs de sable endommagés et arrivait à l’autre bout du couloir.

… vroumm… vroumm…

Il fit un bond en arrière avant de comprendre qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Tous les plombs étaient tirés depuis la tête de l’éléphant opposé. Il se détendit.

… vroumm… vroumm…

Le vase fut violemment secoué lorsqu’à l’intérieur pivota un mécanisme mystérieux. L’économe approcha la tête. Oui, il entendait manifestement un sifflement, comme de l’air comprimé…

Onze plombs claquèrent à grande vitesse dans les sacs de sable.

Le vase eut un recul, selon le célèbre principe de réaction. Au lieu de percuter un sac de sable, il percuta l’économe.

Ming-ng-ng.

Il cligna des yeux. Il fit un pas en arrière. Il s’écroula.

Parce que les perturbations d’Olive-Oued dans la réalité projetaient des vrilles peu puissantes mais opportunistes aussi loin même qu’Ankh-Morpork, deux petits oiseaux bleus lui volèrent un moment autour de la tête et firent cui-cui-cui avant de disparaître.

Gaspode, étendu sur le sable, soufflait comme un bœuf. Lazzi lui dansait autour en poussant des aboiements d’urgence.

« Ouf, on s’en est tirés », parvint-il à souffler. Il se releva et se secoua.

Lazzi aboya encore, dans une attitude incroyablement photogénique.

« D’accord, d’accord, gémit Gaspode. Et si on allait se taper un p’tit-déjeuner, rattraper un peu de sommeil en retard et après… »

Lazzi reprit ses aboiements.

Gaspode soupira.

« Oh, bon, fit-il. Comme tu veux. Mais t’attends pas à des remerciements, tu sais. »

Le chien fila sur le sable. Gaspode le suivit d’un pas plus tranquille, sans se presser, et il fut surpris lorsque Lazzi revint vers lui, le saisit délicatement dans la gueule par la peau du cou et repartit à grands bonds.

« Tu te permets ça uniquement parce que j’suis p’tit », se plaignit Gaspode alors qu’il ballottait d’un côté puis de l’autre. Puis il s’écria : « Non, pas par ici ! Les humains sont bons à rien si tôt l’matin. Nous faut des trolls. Ils sont encore debout et ils sont doués pour les machins souterrains. Prends la prochaine à droite. On va aller au Lias Bleu et… Oh, merde. »