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« Qu’en jette de quoi, président ? demanda un autre mage.

— Oh, vous savez bien. De ça. Du jus. Une fille qu’a du hou-là-là. »

Ils le regardèrent poliment un moment, l’air d’attendre la chute. « Bon sang, est-ce qu’il faut que je vous l’épelle ? fit-il.

— Il veut dire : du magnétisme sexuel, expliqua joyeusement l’assistant des runes modernes. L’attrait de douces poitrines impudiques et de longues cuisses palpitantes, les fruits défendus du désir qui… »

Deux mages écartèrent prudemment leurs fauteuils de l’intervenant.

« Ah, le sexe, fit le doyen des pentacles, interrompant du même coup l’assistant au beau milieu d’un soupir. Beaucoup trop de sexe, ces temps-ci, à mon avis.

— Oh, je ne sais pas », dit l’assistant des runes modernes, la mine rêveuse.

Le bruit réveilla Vindelle Pounze qui somnolait dans son fauteuil roulant près du feu. On faisait toujours une belle flambée dans la Salle Peu Commune, été comme hiver.

« Quoidon ? » demanda-t-il.

Le doyen se pencha vers une oreille.

« Je disais, fit-il en élevant la voix, qu’on ne connaissait pas le sens du mot “sexe” dans notre jeune temps.

— C’est vrai. C’est tout à fait vrai », confirma Pounze. Il contempla les flammes d’un air pensif. « Est-ce… hmm… qu’on a trouvé, vous vous rappelez ? »

Suivit un bref silence.

« Vous direz ce que vous voudrez, c’est un beau brin de fille, persista l’assistant des runes modernes d’un ton provocant.

— Un bouquet », renchérit le doyen.

Vindelle Pounze posa des yeux incertains sur l’affiche.

« Qui c’est, le jeune gars ? demanda-t-il.

— Quel jeune gars ? firent plusieurs mages.

— Au milieu de l’image. Il la tient dans ses bras. »

Ils regardèrent à nouveau. « Oh, lui, dit le président avec dédain.

— Moi, il me semble… hmm… que je l’ai déjà vu, fit Pounze.

— Mon cher Pounze, j’espère que vous n’êtes pas allé en douce au cinéma, dit le doyen en adressant un grand sourire aux autres. Vous savez que c’est avilissant pour un mage d’assister aux spectacles vulgaires. L’archichancelier serait très en colère après nous.

— Quoidon ? fit Pounze en se mettant une main en coupe autour de l’oreille.

— Il me rappelle vaguement quelqu’un, maintenant que vous le dites », fit le doyen en examinant l’affiche.

L’assistant des runes modernes pencha la tête de côté.

« C’est le jeune Victor, non ? dit-il.

— Hein ? fit Pounze.

— Vous savez que vous avez peut-être raison, dit le président des études indéfinies. Il avait le même genre de moustache de mauviette.

— Qui c’est ? demanda Pounze.

— Mais il était étudiant. Il aurait pu devenir mage, dit le doyen. Quelle idée l’a pris de s’en aller câliner des jeunes femmes ?

— C’est bien un Victor, mais pas le nôtre. On apprend, ici, qu’il s’appelle Victor Marasquino, fit observer le président.

— Oh, ça, c’est juste un nom de cinéma, expliqua d’un ton dégagé l’assistant des runes modernes. Ils portent tous de drôles de noms dans ce goût-là. Delorès de Vyce, Blanche de Langueur, Roc Falèze et j’en passe… » Il s’aperçut que les autres le regardaient d’un œil accusateur. « Enfin, à ce qu’on m’a dit, ajouta-t-il gauchement. L’appariteur. Il va voir un clic presque tous les soirs.

— Qu’est-ce que vous racontez ? fit Pounze en agitant sa canne en l’air.

— Le cuisinier aussi, il y va tous les soirs, dit le président. Comme la plupart du personnel des cuisines. Essayez donc de vous faire servir ne serait-ce qu’un sandwich au jambon après neuf heures.

— Quasiment tout le monde y va, dit l’assistant. Sauf nous. »

Un des autres mages examinait attentivement le bas de l’affiche. « Ça dit, ici, lut-il : Une daibauche de passionne et de grands aiscaliers sur fond d’hystoire tumulte-tueuse d’Ankh-Morpork !

— Ah. C’est historique, alors, hein ? fit l’assistant.

— Et ça dit aussi : Un amour hépique qui stupréfia les dieux et les hommes !

— Oh ? Religieux, en plus.

— Et ça dit encore : Avecque 1000 éléphants ! ! !

— Ah. La faune et la flore. Toujours très instructif, ça, la faune et la flore », déclara le président en regardant le doyen d’un air interrogateur. Les autres mages le regardaient aussi du même air.

« Moi, il me semble, dit lentement l’assistant, qu’on ne peut décemment pas reprocher à des mages de haut niveau de visionner une œuvre d’intérêt historique, religieux et… euh… faune-et-florifique.

— Le règlement de l’Université est très clair, dit le doyen sans grand enthousiasme.

— Mais il ne concerne sûrement que les étudiants, fit l’assistant. Je comprends tout à fait qu’on interdise aux étudiants de regarder une chose pareille. Ils siffleraient et lanceraient des projectiles sur l’écran, ça ne raterait pas. Mais il est inconcevable, n’est-ce pas, que des mages de haut niveau tels que nous ne puissent pas étudier ce phénomène populaire. »

La canne virevoltante de Pounze s’abattit sèchement sur les mollets du doyen. « Je veux savoir de quoi tout le monde parle ! cracha-t-il.

— On ne voit pas pourquoi les mages de haut niveau n’auraient pas le droit de regarder des films ! beugla le président.

— Bravo ! Tout le monde aime ça, regarder une jolie femme.

— Personne n’a parlé de jolies femmes. Ce qui nous intéresse, surtout, c’est étudier les phénomènes populaires.

— C’est comme ça que vous dites, hmm ? gloussa Vindelle Pounze.

— Si on voit des mages sortir tranquillement de l’Université et entrer dans une salle de cinéma vulgaire, le peuple va perdre tout respect pour la profession, dit le doyen. Si encore c’était de la vraie magie. Mais ce n’est que de la supercherie.

— V’savez, fit un des mages subalternes d’un air songeur, je me suis toujours demandé… C’est quoi, exactement, ces fichus clics ? Un genre de marionnettes, c’est ça ? Ces gens, ils jouent sur une scène ? Ou du théâtre d’ombres ?

— Voyez ? fit le président. On passe pour des érudits, et on ne sait même pas. »

Ils regardèrent tous le doyen.

« Oui, mais qui ça intéresse de voir une bande de jeunes femmes danser en collants ? » fit-il avec désespoir.

Cogite Stibon, le mage de troisième cycle le plus chanceux de toute l’histoire de l’Université, se dirigeait d’un pas joyeux et nonchalant vers la sortie secrète par-dessus le mur. Dans sa tête, par ailleurs peu fréquentée, se bousculaient joyeusement des idées de bière, de place de cinéma, peut-être d’un curry klatchien bien épicé pour parachever la soirée, et après…

Ce fut le deuxième pire moment de sa vie.

Ils étaient tous là. Tous les grands mages. Même le doyen. Même le vieux Pounze dans son fauteuil roulant. Tous là, debout dans l’ombre, qui le regardaient d’un air dur. La paranoïa fit péter ses affreux feux d’artifice dans la poubelle de son crâne. Ils étaient tous là pour lui.

Il se pétrifia.

Le doyen prit la parole.

« Oh. Oh. Oh. Euh… Ah. Hum. Hum, commença-t-il avant de retrouver la maîtrise de sa langue. Oh. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? Avancez tout de suite, mon vieux ! »

Cogite hésita. Puis il prit les jambes à son cou.

Au bout d’un moment, l’assistant des runes modernes demanda : « C’était le jeune Stibon, non ? Il est parti ?

— Je crois.