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«C’est mon cousin… nous dit-elle. Pas de danger que celui-là se perde dans le maquis.»

Puis elle lui parla tout bas, en montrant le malade. L’homme s’inclina sans répondre, sortit, siffla son chien, et le voilà parti, le fusil sur l’épaule, sautant de roche en roche avec ses longues jambes.

Pendant ce temps-là les enfants, que la présence de l’inspecteur semblait terrifier, finissaient vite leur dîner de châtaignes et de brucio (fromage blanc). Et toujours de l’eau, rien que de l’eau sur la table! Pourtant, c’eût été bien bon, un coup de vin, pour ces petits. Ah! misère! Enfin la mère monta les coucher; le père, allumant son falot, alla inspecter la côte, et nous restâmes au coin du feu à veiller notre malade qui s’agitait sur son grabat, comme s’il était encore en pleine mer, secoué par les lames. Pour calmer un peu sa pountoura, nous faisions chauffer des galets, des briques qu’on lui posait sur le côté. Une ou deux fois, quand je m’approchai de son lit, le malheureux me reconnut, et, pour me remercier me tendit péniblement la main, une grosse main râpeuse et brûlante comme une de ces briques sorties du feu…

Triste veillée! Au-dehors, le mauvais temps avait repris avec la tombée du jour, et c’était un fracas, un roulement, un jaillissement d’écume, la bataille des roches et de l’eau. De temps en temps, le coup de vent du large parvenait à se glisser dans la baie et enveloppait notre maison. On le sentait à la montée subite de la flamme qui éclairait tout à coup les visages mornes des

matelots, groupés autour de la cheminée et regardant le feu avec cette placidité d’expression que donne l’habitude des grandes étendues et des horizons pareils. Parfois aussi, Palombo se plaignait doucement. Alors tous les yeux se tournaient vers le coin obscur où le pauvre camarade était en train de mourir, loin des siens, sans secours; les poitrines se gonflaient et l’on entendait de gros soupirs. C’est tout ce qu’arrachait à ces ouvriers de la mer, patients et doux, le sentiment de leur propre infortune. Pas de révoltes, pas de grèves. Un soupir, et rien de plus!… Si, pourtant, je me trompe. En passant devant moi pour jeter une bourrée au feu, un d’eux me dit tout bas d’une voix navrée:

«Voyez-vous, monsieur… on a quelquefois bien du tourment dans notre métier»

Le curé de Cucugnan

Tous les ans, à la Chandeleur, les poètes provençaux publient en Avignon un joyeux petit livre rempli jusqu’aux bords de beaux vers et de jolis contes. Celui de cette année m’arrive à l’instant, et j’y trouve un adorable fabliau que je vais essayer de vous traduire en l’abrégeant un peu… Parisien, tendez vos mannes. C’est de la fine fleur de farine provençale qu’on va vous servir cette fois…

L’abbé Martin était curé… de Cucugnan.

Bon comme le pain, franc comme l’or, il aimait paternellement ses Cucugnanais; pour lui, son Cucugnan aurait été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient donné un peu de satisfaction. Mais, hélas! les araignées filaient dans son confessionnal, et, le beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint ciboire. Le bon prêtre en avait le cœur meurtri, et toujours il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant d’avoir ramené au bercail son troupeau dispersé.

Or, vous aller voir que Dieu l’entendit.

Un dimanche, après l’Evangile, M. Martin monta en chaire.

«Mes frères, dit-il, vous me croirez si vous voulez; l’autre nuit, je me suis trouvé, moi misérable pécheur, à la porte du paradis.

«Je frappai: saint Pierre m’ouvrit!

«- Tiens! c’est vous, mon brave monsieur Martin, me fit-il; quel bon vent?… et qu’y a-t-il pour votre service?

«- Beau saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et la clef, pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux, combien vous avez de Cucugnanais en paradis? – Je n’ai rien à vous refuser, monsieur Martin; asseyez-vous, nous allons voir la chose ensemble.»

«Et saint Pierre prit son gros livre, l’ouvrit, mit ses besicles:

«- Voyons un peu: Cucugnan, disons-nous. Cu… Cu… Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan… Mon brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas une âme… Pas plus de Cucugnanais que d’arêtes dans une dinde.

«- Comment! Personne de Cucugnan ici? Personne? Ce n’est pas possible! Regardez mieux…

«- Personne, saint homme. Regardez vous-même, si vous croyez que je plaisante.»

«Moi, pécaïre, je frappais des pieds, et, les mains jointes, je criais miséricorde. Alors, saint Pierre:

«- Croyez-moi, monsieur Martin, il ne faut pas ainsi vous mettre le cœur à l’envers, car vous pourriez en avoir quelque mauvais coup de sang. Ce n’est pas votre faute, après tout. Vos Cucugnanais, voyez-vous, doivent faire à coup sûr leur petite quarantaine en purgatoire.

«- Ah! par charité, grand saint Pierre! faites que je puisse au moins les voir et les consoler.

«- Volontiers, mon ami… Tenez, chaussez vite ces sandales, car les chemins ne sont pas beaux de reste… Voilà qui est bien… Maintenant, cheminez droit devant vous. Voyez-vous là-bas, au fond, en tournant? Vous trouverez une porte d’argent toute constellée de croix noires… à main droite…

«Vous frapperez, on vous ouvrira… Adessias! Tenez-vous sain et gaillardet.»

«Et je cheminai… je cheminai! Quelle battue! j’ai la chair de poule, rien que d’y songer. Un petit sentier, plein de ronces, d’escarboucles qui luisaient et de serpents qui sifflaient, m’amena jusqu’à la porte d’argent

«- Pan! pan!

«- Qui frappe? me fait une voix rauque et dolente.

«- Le curé de Cucugnan.

«- De…?

«- De Cucugnan.

«- Ah!… entrez.»

«J’entrai. Un grand bel ange, avec des ailes sombres comme la nuit, avec une robe resplendissante comme le jour, avec une clef de diamant pendue à sa ceinture, écrivait, cra-cra, dans un grand livre plus gros que celui de saint Pierre…

«- Finalement, que voulez-vous et que demandez-vous? dit l’ange.

«- Bel ange de Dieu, je veux savoir – je suis bien curieux peut-être – si vous avez ici les Cucugnanais.

«- Les…?

«- Les Cucugnanais, les gens de Cucugnan… que c’est moi qui suis le prieur.

«- Ah! l’abbé Martin, n’est-ce pas?»

«- Pour vous servir, monsieur l’ange.»

«- Vous dites donc Cucugnan…»

«Et l’ange ouvre et feuillette son grand livre, mouillant son doigt de salive pour que le feuillet glisse mieux…

«- Cucugnan, dit-il en poussant un long soupir monsieur Martin, nous n’avons en purgatoire personne de Cucugnan.

«- Jésus! Marie! Joseph! personne de Cucugnan en purgatoire! O grand Dieu! où sont-ils donc?

«- Eh! saint homme, ils sont en paradis. Où diantre voulez-vous qu’ils soient?