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— Quinze minutes avant que les vaisseaux obscurs ne se trouvent à portée de tir de la force du capitaine de corvette Rosen », annonça Yuon.

Ils s’en trouvaient même si proches (à une ou deux minutes-lumière seulement) quand les deux flottilles se ruèrent au contact que les images leur en parvenaient presque en temps réel. À mesure que les vaisseaux obscurs se rapprochaient d’eux, les croiseurs lourds de Rosen accéléraient et sortaient de leur orbite. Ses deux formations pivotèrent autour de leur vaisseau de tête comme si elles se relevaient pour obliquer, et elles piquèrent vers la trajectoire ennemie, la plus haute plongeant vers le contact et la plus basse grimpant vers lui.

Cette fois, les vaisseaux obscurs réagirent dans les minutes qui précédèrent le contact en bondissant brusquement vers le haut et de côté pour s’en prendre à la formation la plus élevée. Ils comptaient manifestement concentrer leurs tirs sur elle et esquiver l’autre.

L’instant du contact fut si bref qu’on ne pouvait guère espérer assister à l’événement, mais Geary se focalisait en même temps sur ce que faisait la formation inférieure des croiseurs lourds : ils incurvaient leur trajectoire vers le haut et latéralement pour compenser le virage brutal de l’ennemi. Au lieu de manquer complètement les vaisseaux obscurs, la formation inférieure déboula juste derrière les poupes des croiseurs de combat quelques secondes seulement après qu’ils eurent engagé le combat avec la formation supérieure.

« Malédiction ! » marmotta Desjani quand les résultats lui furent transmis par les senseurs de l’Indomptable et les flux de données en provenance des croiseurs lourds.

Comme le lui avait commandé Geary, Rosen avait ordonné au croiseur lourd de tête de chacune de ses deux formations d’esquiver au dernier moment et de cesser de cibler les croiseurs de combat obscurs pour s’en prendre au croiseur lourd qui arrivait derrière. Ces changements de vecteur avaient suffi à déstabiliser les tirs de nombreux vaisseaux ennemis. Et, frappé simultanément par quatre croiseurs lourds de l’Alliance, leur homologue obscur chancelait et se déportait en s’efforçant de recouvrer le contrôle de ses manœuvres.

Mais les deux croiseurs de combat ennemis avaient aussi décoché quelques tirs au deuxième rang de croiseurs lourds de chaque formation. Diamant, Bastille, Hori et Presidio avaient tous quatre essuyé d’importants dommages, perdu armement, boucliers et, dans certains cas, une partie de la propulsion principale ou des propulseurs de manœuvre. Les pertes en personnel n’étaient encore que des estimations, mais tous en avaient subi.

Cela étant, les douze autres croiseurs lourds avaient bien fait leur boulot : un des croiseurs de combat obscurs avait perdu la moitié de sa propulsion principale et des frappes l’avaient ralenti. La hanche de l’autre avait été martelée, mais ni sa propulsion ni sa maniabilité n’avaient l’air d’avoir souffert de trop gros dommages.

« Pas suffisant », soupira Geary en s’efforçant de s’accommoder du fait qu’il ne pouvait guère faire mieux, qu’éliminer des vaisseaux qui refusent obstinément le combat quand tout l’espace leur offre des échappatoires est impossible, et que ses énormes distances vous interdisent parfois d’arriver assez vite pour intervenir de manière concluante.

« Le croiseur de combat obscur à la propulsion endommagée peine à reprendre de la vélocité, rapporta le lieutenant Yuon. On peut le rattraper avant qu’il n’arrive à portée de tir d’Ambaru.

— Ce qui n’en laisserait plus qu’un seul pour la frapper. » Geary tapota sur ses touches de com. « Commandant Rosen, servez-vous de vos croiseurs lourds pour porter l’estocade à ce croiseur de combat. Ne perdez pas de vue que le cœur de son réacteur risque d’être en surcharge une fois désemparé, alors restez à l’écart du rayon des dommages. Des croiseurs légers et des destroyers du bouclier vont vous rejoindre et vous devrez en prendre le contrôle pour coordonner leurs attaques avec les vôtres. »

Il se tourna vers Tanya. « Occupons-nous de ce croiseur de combat obscur endommagé. Dommage que nous ne puissions pas…

— Commandant ? appela le lieutenant Castries, l’air stupéfaite. Leur second croiseur de combat pivote. Il… réduit sa vélocité.

— Pourquoi diable… ? » s’interrogea Desjani.

Geary cherchait encore à comprendre, le regard fixe, quand Tanya éclata de rire.

« On les a programmés pour vous imiter !

— Et je renoncerais à toutes mes chances de frapper Ambaru ?

— Oui, si vous deviez pour cela abandonner un de vos vaisseaux à l’ennemi ! » Elle s’esclaffa de nouveau. « Vous ne comprenez donc pas ? Vous rebroussez chemin pour vous porter à la rescousse d’un bâtiment endommagé, vous n’abandonnez pas vos camarades. C’est votre manière de combattre, et ces vaisseaux obscurs sont programmés pour suivre votre exemple en tout. »

Geary s’aperçut qu’il souriait. « Mignon tout plein. Les vaisseaux obscurs n’y réfléchissent même pas, ils n’obéissent à aucun impératif moral, ils font tout bonnement ce que leur demande leur programme dans une situation donnée. » Il frappa de nouveau ses touches de com. « À toutes les unités du détachement Danseuse, virez de quatorze degrés sur bâbord et deux degrés vers le haut. Exécution immédiate. Engagez le combat avec les cibles qui vous sont assignées dès que vous serez à portée de tir. Geary, terminé. »

Ses vaisseaux piquant plus vite en oblique pour frapper les croiseurs de combat obscurs ralentis, Geary s’assura qu’ils étaient assez nombreux à s’en prendre à chacun pour ne pas risquer d’être mis hors de combat. Que ferais-je à la place d’un de ces croiseurs de combat obscurs ? Est-ce que je ne plongerais pas  ? Sur bâbord ou tribord ? Plutôt à tribord, afin de fondre de nouveau sur Ambaru.

Il ordonna un infime changement de vecteur de dernière minute à ses vaisseaux quand leur formation télescopa de flanc les croiseurs de combat ennemis. Ses sept croiseurs de combat et les croiseurs lourds, croiseurs légers et destroyers survivants du détachement Danseuse lâchèrent sur les vaisseaux obscurs tout ce qu’ils avaient dans le ventre. Deux de ses croiseurs de combat frôlèrent d’assez près l’ennemi pour larguer leur champ de nullité et engloutir de gros morceaux de sa carcasse. Un des vaisseaux obscurs fit de même mais ne réussit, par bonheur, qu’à mordiller l’Intempérant.

Geary transmit à sa formation l’ordre d’infléchir sa trajectoire vers le haut et de revenir ensuite pour une seconde passe de tir, au cas où l’un des vaisseaux obscurs représenterait encore une menace pour Ambaru. Mais, quand les senseurs de ses bâtiments eurent évalué les résultats de l’engagement, il devint flagrant que c’était superflu.

Un des croiseurs de combat ennemi n’était plus qu’un nuage de débris en expansion. Le second était réduit à sa seule proue, qui basculait obliquement et s’autodétruisit sous les yeux de Geary.

Le croiseur lourd obscur avait survécu, mais Rosen conduisit les siens droit sur lui. Quand sa passe de tir s’acheva, il n’en restait plus que des fragments de carcasse.

Desjani laissa échapper une sorte de grincement, mi-sifflement, mi-soupir, et désigna son écran.

La station d’Ambaru n’était plus qu’à deux secondes-lumière et, apparemment, personne à son bord n’était conscient d’avoir frôlé l’anéantissement d’un cheveu.

« À toutes les unités du détachement Danseuse, transmit Geary. Bien joué. Nous allons maintenant décélérer autour de l’étoile de manière à épouser aisément l’orbite de la station en revenant sur Ambaru. Priorité aux destroyers pour le ravitaillement en cellules d’énergie.