— Que comptez-vous faire pour Ambaru ? s’enquit Desjani.
— J’ai l’impression qu’il va falloir l’envahir. »
Les fusiliers descendirent la rampe de la navette pleinement parés au combat, leur cuirasse verrouillée et leurs armes sous tension. Ils prirent position autour du quai de débarquement et entreprirent de scanner les environs en quête d’éventuelles menaces. Derrière, la navette décolla pour céder la place à une autre, elle aussi chargée de fantassins.
Ambaru disposait d’un grand nombre de soutes de débarquement. Pour l’heure, une douzaine d’entre elles recevaient la visite de fusiliers équipés pour le combat qui se déplaçaient comme s’ils opéraient l’abordage d’une installation tenue par l’ennemi. Le général Carabali était à bord de l’Indomptable, qui s’était rapproché d’Ambaru pour surveiller l’arraisonnement.
« Amiral, rapporta le capitaine d’infanterie responsable de la force d’abordage, nous n’avons que deux civils en visuel, aucune arme apparente. Les identifications qu’ils émettent les décrivent comme des officiels de la station appartenant au service de surveillance des soutes de débarquement. »
Geary étudia l’image que lui transmettait la cuirasse du capitaine. Les deux officiels, de ceux qui accueillent normalement les arrivants, fixaient les fusiliers comme en état de choc. Mais, en dépit de la stupeur que leur inspirait la brutale prise de conscience d’être victimes d’une agression de l’Alliance, tous deux étaient assez futés pour ne rien tenter de téméraire. Ils se tenaient parfaitement immobiles, les bras tendus pour montrer leurs mains nues.
Le capitaine avait fait signe à deux éclaireurs de s’approcher pour scanner les alentours. « Mes éclaireurs m’affirment que tout est dégagé, amiral. Rien que des piétons civils.
— J’arrive. » Vêtu de sa seule tenue de travail, Geary descendit à son tour la rampe et gratifia les officiels d’un signe de tête. « Désolé pour tout cela, mais nous ignorions quelle était exactement la situation à bord de la station. Mes vaisseaux ont été incapables de communiquer avec vous.
— Incapables ? » Le supérieur hiérarchique afficha une mine surprise. « Nos systèmes de com fonctionnent normalement.
— Alors il faudra m’expliquer pourquoi mes vaisseaux continuaient de recevoir un message d’erreur “incompatible avec le protocole” chaque fois que nous tentions de contacter quelqu’un d’Ambaru. »
Les officiels échangèrent un regard éberlué « Nous avons essayé de vous contacter en interne, amiral, mais nos systèmes de com affirmaient qu’ils ne pouvaient pas se connecter aux vôtres, expliqua le supérieur. Sommes-nous vos… vos prisonniers ?
— J’espère que non. Où… »
Un appel du général Carabali le coupa, calme mais péremptoire. « Amiral, nous détectons des mouvements de troupes dans les soutes sept, neuf et douze. Aucune donnée précise pour le moment, seulement des indications de la présence de soldats dans ces secteurs.
— Quel genre de troupes ?
— Des forces terrestres de l’Alliance.
— Veillez à ce que vos hommes retiennent leurs tirs jusqu’à ce qu’on leur ait donné l’autorisation de faire feu.
— Amiral ? » Le capitaine des fusiliers semblait assez alarmé pour accaparer aussitôt l’attention de l’amiral.
« Qu’y a-t-il ?
— Les systèmes de nos cuirasses s’efforcent de parer des tentatives de mise à jour de leur logiciel, expliqua le capitaine. Aucune ne demande la permission. Elles se téléchargent elles-mêmes et tentent de s’imposer. Sans les murs pare-feux que nous avions établis sur nos cuirasses avant de monter dans les navettes, le nouveau logiciel serait déjà installé.
— Elles arrivent par les canaux officiels ? demanda Geary.
— Oui, amiral. Tous les codes sont respectés.
— Comment réagissent vos cuirasses ?
— Nous avons déclenché les sous-programmes du logiciel Potemkine en guise de protection extérieure afin de nous isoler, amiral. Ceux qui nous envoient ces actualisations les croient correctement installées. »
Desjani avait écouté la conversation via la connexion de Geary. « On a cherché à neutraliser vos fusiliers.
— De semblables tentatives de réactualisation du logiciel de leur cuirasse ont été décelées sur celles de tous les fusiliers présents sur Ambaru, précisa le général Carabali. Toutes ces ingérences ont été repoussées, mais nous avons simulé des intrusions réussies pour tromper ceux qui ont envoyé ces mises à jour.
— Nos sous-programmes Potemkine tentent de désactiver nos armes et nos systèmes de visée, amiral, annonça le capitaine des fusiliers.
— Toutes les détections des forces terrestres par les cuirasses des fusiliers ont disparu de l’image transmise par le senseur Potemkine, ajouta Carabali.
— Même motif, même punition, laissa tomber Desjani.
— Mais que voient les forces terrestres ? demanda Geary. Comment leur cuirasse leur montre-t-elle nos fusiliers ? » Il jeta un coup d’œil au-delà de la soute et constata que le secteur semblait à présent déserté. « On a isolé cette zone de la circulation pédestre normale. »
Il consulta sa tablette de données, chercha encore une fois à accéder à l’intranet d’Ambaru et constata de nouveau que tous les canaux lui étaient bloqués.
Il se tourna vers les deux officiels, qui attendaient toujours fébrilement les instructions. « J’ai besoin de votre aide. »
Tous deux affichèrent à la fois surprise et soulagement. « De notre aide ? Black Jack aurait besoin de notre aide ?
— Oui. » Le moment était mal choisi pour exprimer sa détestation de ce sobriquet. « Il y a des forces terrestres à proximité. Nous ignorons ce que les senseurs de leur cuirasse leur apprennent sur nos fusiliers. Je dois contacter un de leurs officiers. Mais de vive voix, pas par les coms. Accepteriez-vous de vous rendre sur place, de les localiser et de leur dire que je voudrais leur parler ? Ce sera peut-être dangereux, mais vous deux êtes les moins susceptibles de provoquer une réaction excessive de leur part et les mieux à même de réussir sans qu’interviennent des événements contraires. Je vous donne ma parole d’honneur que toute personne qui consentira à parler avec moi sera en sécurité. »
Les deux hommes opinèrent. Cela étant, la perspective de se retrouver au beau milieu d’une fusillade tempérait visiblement leur enthousiasme. « Nous ferons de notre mieux, amiral. »
Geary les regarda s’éloigner lentement vers les secteurs désormais désertés jouxtant les soutes, conscient que les soldats des forces terrestres couvraient sans doute cette zone et priant malgré tout pour que le logiciel qui piratait les senseurs et les coms de leur cuirasse ne leur fournisse pas une image menaçante trompeuse de ces deux hommes qui pourrait inciter un soldat à tirer. « Comment ça se passe ? demanda-t-il à Carabali.
— Ils attendent, répondit-elle. Je ne sais quoi.
— Des ordres ?
— Si j’étais à leur place, amiral, et que je recevais l’ordre d’en découdre avec des gens qui, sous tout rapport, ressemblent à des camarades appartenant au personnel de l’Alliance, j’en demanderais confirmation. D’autant que mes fusiliers se contentent de camper sur leurs positions et n’avancent pas.
— Très bien. Gardez vos hommes en place et leur index loin de la détente. »
Un seul coup de feu risquait de déclencher un bain de sang.
Entre des hommes et des femmes du même bord.
Au terme de cinq longues minutes, une unique silhouette en cuirasse intégrale des forces terrestres lui apparut. « Tout le monde se retient, ordonna-t-il aux fusiliers. Ne ciblez pas ce soldat. Qu’aucune arme ne le mette en joue. »