Au lieu de l’officier des forces terrestres auquel s’attendait Geary, on vit deux civils, un homme et une femme, entrer dans la soute. Il ne s’agissait pas de ceux qu’il avait envoyés palabrer avec les forces terrestres. Bien que ne portant pas d’uniforme, les nouveaux venus avaient une allure très officielle, car leur habit commun évoquait une sorte de tenue militaire.
Ils s’arrêtèrent devant Geary et le plus âgé des deux lui sourit courtoisement. « Nous devons nous entretenir avec vous. C’est urgent. Il en va de la sécurité de l’Alliance.
— Ah bon ? J’ai déjà sur les bras, en ce moment même, un gros pétard concernant la sécurité de l’Alliance.
— Nous nous apprêtons à le désamorcer, affirma le plus jeune sur un ton si pénétré d’assurance qu’il hérissa le poil de l’amiral.
— Vraiment ? demanda-t-il. Et pour qui travaillez-vous exactement ?
— Pour l’Alliance, amiral.
— Parfait. Mais, plus précisément, pour quelle partie de l’Alliance ?
— Amiral, nous ne pourrons vous le révéler que quand nous serons en lieu sûr. Vous serez mis au courant de plusieurs programmes très importants et le sceau du secret pourrait être…
— Non, le coupa Geary en brandissant une paume péremptoire pour mieux souligner son propos. Je reste ici. Tout ce que vous avez à me dire, vous pouvez m’en informer ici et maintenant.
— Pardonnez-moi, amiral, mais nous n’y sommes pas autorisés, expliqua le plus âgé. Je vous en prie. Nous ne voudrions pas avoir à insister.
— Je n’y tiens pas non plus, rétorqua Geary. Quel est le problème avec les systèmes de com d’Ambaru ?
— Quand vous aurez pris connaissance des programmes appropriés et que vous serez lié par serment à une clause de confidentialité…
— Non, répéta Geary.
— Amiral, reprit le plus âgé en feignant visiblement la réticence, je me dois maintenant d’insister. S’il nous faut vous arrêter, nous n’hésiterons pas. Nous y sommes habilités par le gouvernement. »
Geary embrassa d’un geste les plus proches fusiliers en cuirasse de combat. « Ces soldats sont loyaux à l’Alliance, mais ils ne me semblent guère enclins à vous faire confiance. »
Le plus jeune sourit. « Peu importent leurs opinions. Ils ne peuvent ni nous voir ni nous entendre.
— Croyez-vous ? » Geary activa un canal de com. « Capitaine, ordonnez à deux de vos fusiliers de coucher chacun en joue un de ces individus.
— À vos ordres, amiral. »
Deux fusils se relevèrent, braqués sur les deux officiels dont la suffisance affichée vira à l’inquiétude. « Vous pouvez sans doute vous épargner pas mal d’ennuis quand vous gardez le contrôle du logiciel, leur dit Geary. Mais, quand d’autres personnes découvrent qu’il existe une autre source de logiciels hostiles qui empruntent aussi les canaux officiels, elles peuvent également trouver un moyen de les bloquer. Bon, vous êtes maintenant en état d’arrestation pour menaces à un officier de la flotte. Vous serez placés au fond de la soute sous la surveillance très pointilleuse de quelques-uns de mes fusiliers. Vous savez sans doute, j’imagine, que très peu de gens cherchent à attirer sur eux l’attention des fusiliers. Vous y patienterez jusqu’à ce que j’aie découvert ce qui se trame ici et réussi à rétablir l’ordre et la sécurité à Ambaru.
— Amiral, répit le plus âgé des deux officiels, vous risquez de compromettre les programmes secrets les plus importants…
— Vous faites allusion aux programmes qui ont failli rallumer le conflit avec les Mondes syndiqués ? demanda Geary, surpris lui-même de ne pas entendre sa voix vibrer de rage. Les vidéos de ce qui est arrivé à Indras et Atalia sont parvenues à Varandal. Vous êtes-vous donné la peine de les visionner ?
— Nous n’étions pas autorisés à…
— Vous n’étiez pas autorisés à prêter attention à ce qui se passait, mais vous étiez autorisés à risquer la vie de tout le personnel de la station d’Ambaru ? » À la tête que faisaient les deux hommes, Geary se rendit compte qu’il avait sérieusement élevé la voix. Il baissa légèrement le ton. « Pauvres crétins ! Nous avons tout juste réussi à empêcher une agression d’Ambaru dont cette station restait inconsciente parce qu’aveuglée par vos subterfuges. L’obéissance littéralement aveugle n’est pas une vertu. Ne m’adressez plus la parole que pour répondre à mes questions et ne faites que ce que je vous ordonnerai, ou vous le regretterez amèrement tous les deux. »
Un autre soldat des forces terrestres arriva au bout d’à peine deux minutes. Il avança en montrant ses mains nues puis releva sa visière en s’approchant de Geary. « Colonel Kochte, commandant des forces terrestres d’Ambaru et responsable au premier chef de sa défense.
— Sommes-nous d’équerre, colonel ? demanda Geary.
— Je ne bougerai pas mes troupes tant que nous n’aurons pas tiré tout ça au clair, amiral. Nos systèmes sont un vrai foutoir. Les problèmes gagnent apparemment tout Ambaru et se répandent dans le système stellaire.
— Vous êtes en présence de logiciels officiels qui contaminent le logiciel officiel, déclara Geary. J’ai fourni au major Problem des correctifs qui résoudront tous vos problèmes.
— Oui, amiral, mais, avec tout le respect que je vous dois, vous ne faites pas partie de ma chaîne de commandement et, autant que nous puissions le déterminer, vos correctifs logiciels ne sont ni approuvés ni autorisés officiellement, ce qui me pose de nouveaux problèmes.
— Colonel, je cherche à m’assurer que des soldats de l’Alliance ne s’entretuent pas à cause de dysfonctionnements du logiciel de cette station et de leur cuirasse de combat.
— Nous sommes d’accord à cet égard, amiral. » Kochte hésita. « S’il s’agissait d’un acte de sabotage syndic, je pourrais intervenir sans plus tarder. »
Geary réfléchit un instant. « Je ne peux ni exclure ni confirmer une implication des Syndics. Je n’ai aucune certitude absolue quant à l’identité de l’instigateur. »
Kochte sourit. « Alors je puis faire installer ces correctifs en me fondant sur vos affirmations selon lesquelles ils sont nécessaires à la sécurité de la station.
— Ils le sont assurément, colonel. Si je comprends bien, dans leur configuration actuelle, les systèmes de vos cuirasses de combat vous certifient que les fusiliers de l’Alliance sont des forces hostiles.
— Et les fusiliers n’en sont pas. Ou ne devraient pas l’être. » Le colonel Kochte dévisagea Geary. « Depuis votre retour, amiral, vous avez donné l’impression, vos vaisseaux et vous, de vous livrer à une sorte de pantomime militaire en feignant de combattre un ennemi qui n’existait pas. Mais nos systèmes ont néanmoins repéré des dommages infligés à certains de vos bâtiments alors même que personne ne semblait tirer sur eux. Y a-t-il une relation avec une des espèces extraterrestres ?
— Je ne le pense pas, colonel. » Geary ne pouvait pas non plus l’exclure, bien entendu. Les Énigmas avaient peut-être trouvé un nouveau moyen de nuire à l’humanité. Mais il n’en avait pas la preuve, tandis que des indices pointaient dans une direction différente. « Je soupçonne une origine purement humaine à ces forfaits, mais je ne dispose pas d’informations suffisantes pour spécifier l’identité des coupables. »
Le regard du colonel se porta sur les deux officiels, raides comme des piquets, sur lesquels, attentifs à tous leurs gestes, les fusiliers continuaient de braquer leurs armes. « Qui sont ces gens, amiral, si je puis me permettre ?
— Je n’en sais rien. Ils croyaient pouvoir me donner des ordres. »
Kochte parut de nouveau hésitant. « Est-ce que ça serait en train de se produire, amiral ? On affirmait que vous ne le feriez pas.