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Personne ne démentit.

Duellos se tourna vers Geary. « Mais vous comptez la conduire malgré tout à Bhavan ?

— Oui. Parce que Bhavan dispose de plus d’un point de saut. »

Les visages qui lui faisaient face (ceux de tous les commandants de vaisseau de la flotte apparemment rassemblés, grâce au logiciel de conférence, autour d’une immense table) passèrent de l’incrédulité à la brusque prise de conscience.

« Hypernet jusqu’à Molnir, précisa Badaya avec un sourire.

— Et saut de Molnir à Bhavan, conclut Duellos. Ce sera plus long qu’un saut direct jusqu’à Bhavan, mais l’amiral Bloch et les vaisseaux obscurs ne s’y attendront vraisemblablement pas. Ils croiront que nous accourons à la rescousse dans l’espoir de couper la route à ceux qu’on a repérés à Bhavan et de les détruire.

— Nous y attendront-ils assez longtemps pour nous permettre de faire un tel détour ? demanda Armus.

— Certainement, s’ils comptent tendre une embuscade à l’amiral Geary et à la flotte, répondit Tulev.

— Mais si nous nous trompions ? supputa Vitali, commandant du croiseur de combat Risque-tout. S’ils n’attendaient que pendant un certain laps de temps, fondé sur les probabilités qu’ils auront calculées, avant d’anéantir Bhavan et de regagner leur base ?

— Il n’y a aucun moyen de s’en assurer, dit Desjani. Ce sont des IA. Elles devraient se montrer plus patientes qu’aucun commandant humain.

— Sauf si c’est l’amiral Bloch qui les contrôle !

— Bloch bombarderait-il Bhavan ? » demanda quelqu’un.

Geary fit de nouveau le tour de l’immense table virtuelle des yeux. « Beaucoup parmi vous le connaissent mieux que moi. Franchirait-il ce pas ? »

Duellos secoua la tête. « Un génocide ? Pas dans un système stellaire de l’Alliance. Il cherche à se faire passer pour son sauveur, pas pour un émule des Syndics.

— J’en conviens, fit Desjani. Effroyablement ambitieux, disposé à sacrifier tous ceux qui se mettent en travers de son chemin et à broyer allègrement un système syndic, sans doute. Mais frapper ainsi Bhavan laisserait une tache noire qui lui interdirait à jamais d’être accepté comme l’héritier de Black Jack. » Elle avait dû voir tiquer Geary, qui n’avait pas pu s’en empêcher. « Je vous demande pardon, amiral, mais tous ceux qui connaissent Bloch tomberaient d’accord pour dire qu’il est frappé du syndrome de Geary. »

Entendre rattacher son patronyme et la légende que le gouvernement avait forgée autour de sa disparition à un cas pathologique désignant tous ceux qui se croyaient les seuls qualifiés pour sauver l’Alliance faisait partie des nombreux contrecoups auxquels Geary ne s’était pas attendu. L’ironie de l’affaire, c’était que lui-même, le vrai Black Jack, ne s’était jamais pris pour un tel sauveur, alors même que toute l’humanité ou presque semblait verser dans ce travers. Pas plus, d’ailleurs, autant qu’il pût le dire, que sa petite-nièce Jane Geary n’était atteinte de mégalomanie. Les Geary donnaient l’impression d’être les seuls immunisés contre le syndrome de Geary.

« Et si Bloch n’est pas à Bhavan ? insista Vitali. Comment avoir une certitude sur la manière dont réagiront les vaisseaux obscurs ?

— Pas moyen, répondit Duellos.

— Y a-t-il quelque chose qui vous inquiète particulièrement, capitaine Vitali ? demanda Geary. Au sujet de ces vaisseaux obscurs. Quelque chose que vous auriez été le seul à remarquer. »

Vitali fixa la table d’un œil noir. Mais, manifestement, sa colère n’était pas dirigée contre Geary ni contre sa question. « Ce dont j’ai été témoin et qui m’incite à mettre en cause leur… raisonnement, c’est la réaction de ce second croiseur de combat juste avant d’atteindre Ambaru : il a battu en retraite pour rester avec son collègue blessé. Personne ne s’y attendait. » Il fit le tour de la tablée du regard, le visage fermé, comme pour mettre chacun au défi de le démentir, mais nul ne s’y aventura. « Combien de temps attendriez-vous, amiral ? demanda-t-il à Geary. Combien de temps avant de prendre conscience que l’ennemi ne réagit pas comme vous l’avez envisagé ?

— C’est une question légitime », dit Geary. Il marqua un temps de réflexion, conscient de tous les regards posés sur lui. « Nous devons prendre deux choses en compte, reprit-il. La première, c’est que je n’aurais jamais recouru à cette tactique. Si j’avais disposé de la supériorité des vaisseaux obscurs en matière de maniabilité et de puissance de feu et su que la flotte était sous le coup d’autant de travaux de maintenance, ce qui implique aussi qu’elle était éparpillée sur une vaste étendue de ce système stellaire au lieu d’être concentrée pour le combat, j’aurais chargé pour infliger autant de dommages que possible. »

Desjani sourit d’un air approbateur.

Vitali hocha la tête. « C’est exact. Ils se montrent plus prudents que vous ne l’êtes. Ça ne suggère certainement pas que l’amiral Bloch ait ordonné ces tirs à Bhavan ou, tout du moins, qu’il ait planifié cette action.

— C’est aussi la vieille doctrine s’agissant d’affronter un puissant adversaire, affirma Geary. Peut-être leur sert-elle de modèle tactique. La seconde chose dont il faut se souvenir, c’est que les IA qui contrôlent les vaisseaux obscurs ne sont pas réellement humaines. Elles se comportent seulement comme des humains. N’est-ce pas ? demanda-t-il à la cantonade. Ce n’est pas poussé par un impératif moral ou une quelconque loyauté que ce deuxième croiseur de combat a rebroussé chemin pour rester près de son collègue blessé. Mais parce que son programme le lui imposait. »

Casia, le commandant du cuirassé Conquérant, se massa le menton. « Il n’agissait pas en humain, il simulait le comportement qu’il attribuait aux hommes. C’est bien ce que vous voulez dire, non ? Comme vous-même auriez réagi dans cette situation, amiral. » Casia lui décocha un regard aigu. « Auriez-vous battu en retraite si vous aviez commandé ce second croiseur de combat ? »

Geary fronça les sourcils, désarçonné. « Je n’y ai pas vraiment réfléchi.

— Vous n’en auriez pas eu besoin, affirma Badaya avec assurance.

— Qu’est-ce qui vous rend si sûr de ça ? demanda Casia, l’air sincèrement curieux.

— Le fait que nous en ayons été témoins. » Badaya pointa Geary du doigt. « Il connaît la mission. Il ne nous abandonne pas mais ne s’abandonne pas non plus à de vaines décisions. Il est disposé à accepter des pertes.

— Quel exemple en donneriez-vous ? »

Si peu diplomate et si asocial qu’il fût, Badaya réussit à prendre une mine embarrassée. « Le Riposte. »

Geary mit quelques secondes à se rendre compte qu’il avait fermé les yeux et qu’il luttait pour refouler les émotions qui l’avaient assailli. Il prit une profonde inspiration, les rouvrit et se focalisa sur Badaya, lequel fronçait les sourcils, de désarroi mais aussi de défi.

Tanya avait l’air prête à lui mordre le nez.

« Vous avez raison, déclara Geary, brisant le brusque silence, surpris lui-même de son propre calme. J’ai un peu de mal à le reconnaître, mais vous avez raison. Aux yeux de tous ceux qui n’y auraient pas prêté attention, la propulsion du Riposte avait déjà souffert de très sérieux dommages quand j’ai assumé le commandement de la flotte à Prime. Lorsque j’ai pris la décision de la lancer dans une longue retraite, le commandant du Riposte (Michel Geary, son propre petit-neveu et le frère de Jane Geary) s’est porté volontaire pour retenir nos poursuivants syndics assez longtemps pour permettre à la flotte de s’échapper.