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Il fit plonger la formation de croiseurs de combat sous l’ennemi avant le contact, tandis que les deux formations de cuirassés gardaient le cap, tant et si bien que, quoi que fissent les vaisseaux obscurs, ceux de l’Alliance pourraient au moins placer quelques frappes.

« Pas d’engagement. »

Geary s’aperçut que tout le monde sur la passerelle évitait de le regarder. Il lui semblait deviner comment réagissaient aussi les matelots des autres vaisseaux. Quelque chose clochait sérieusement et il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Aurait-il perdu son sang-froid ? Craignait-il à ce point de perdre cette bataille qu’il se refusait aux pertes inévitables pour l’emporter ?

Pourtant, il ne se conduisait pas différemment. Il cherchait à frapper l’ennemi. Et comment diable les vaisseaux obscurs pouvaient-ils continuer à rater les siens si, par quelque mécanisme inconscient, lui-même reproduisait une sorte de schéma interdisant à ses vaisseaux de s’approcher à portée d’armes ? Il n’en était peut-être pas conscient, mais les vaisseaux obscurs, eux, finiraient par s’en apercevoir, en tireraient profit et l’écraseraient la prochaine fois.

« Amiral ? » Tanya le fixait d’un œil ostensiblement et inhabituellement soucieux.

« Quelque chose cloche, dit Geary. Aucune des passes de tir ne marche.

— Nous devons nous rapprocher à portée d’engagement.

— Je le sais !

— Amiral, insista Desjani en y mettant son intonation la plus officielle, il faut les frapper sans tenir compte des risques.

— J’ai déjà prouvé que j’étais prêt à en prendre, commandant ! aboya Geary.

— Se rapprocher est dangereux, mais si nous ne…

— Capitaine Desjani, je ne me suis jamais efforcé davantage, dans aucune autre bataille, d’engager le combat avec l’ennemi ! » Il reporta rageusement le regard sur son écran tandis que Desjani, de son côté, retombait dans le silence et scrutait fixement le sien. Qu’est-ce qui ne marche pas ? se demanda-t-il. Aurais-je mis à côté de la plaque tant de fois d’affilée ? Ai-je manqué à plusieurs reprises l’engagement ? Comment est-ce possible ?

Pas par hasard.

« Malédiction ! » Au seul ton de la voix de Geary, Desjani se retourna. « Ce n’est pas de notre faute. Nous n’engageons pas le combat durant ces passes de tir parce que les vaisseaux obscurs évitent délibérément de se trouver à notre portée.

— Ils esquivent le combat ? » Tanya consulta encore son écran, déglutit puis inclina la tête de son côté. « Toutes mes excuses, amiral. Je n’avais pas envisagé cette éventualité, mais vous avez certainement raison.

— Personne ne l’avait envisagée, commandant. En raison de l’impitoyable cruauté de leurs tactiques précédentes. Mais ce sont des tactiques, et les tactiques peuvent évoluer en fonction de la situation. Pour l’heure, les vaisseaux obscurs doivent avoir une bonne raison d’éviter le combat, tout comme nous avions une bonne raison de chercher à l’engager.

— Mais pourquoi voudraient-ils… » Elle écarquilla les yeux. « Ils se contentent tout bonnement de nous occuper et de nous garder sur le qui-vive en nous forçant à contrer constamment leurs manœuvres. Afin de gagner du temps et de nous maintenir dans cette région de l’espace.

— Jusqu’à l’arrivée de leurs croiseurs de combat, conclut Geary d’une voix aussi lugubre que son humeur. Et, là, ils nous frapperont de toutes leurs forces. »

Huit

Les vaisseaux obscurs se retournaient pour engager de nouveau le combat, mais Geary fit virer ses formations pendant leur dernier mouvement, ne stabilisant leurs vecteurs que lorsque les cuirassés ennemis se trouvèrent derrière ses propres vaisseaux, lesquels visaient une interception des croiseurs de combat obscurs qui désormais les précédaient. Ceux-ci freinaient à un rythme qui aurait déchiqueté des bâtiments de la Première Flotte. Quand ils atteindraient la position où les unités de Geary en découdraient avec les cuirassés, ils fileraient assez lentement (si du moins la vélocité de 0,1 c vaut d’être qualifiée de lente) pour engager à leur tour le combat avec les forces de l’Alliance.

« Qu’est-ce qu’on fabrique ? demanda Desjani.

— On change la donne, répondit Geary. Nous avons sous-estimé leurs IA. Sortons d’abord du piège où elles ont cherché à nous enfermer. Ensuite… »

Une alerte sonna sur son écran.

« Le Téméraire vient de perdre une autre unité de propulsion », rapporta le lieutenant Castries.

Geary écrasa ses touches de com. « Téméraire, pouvez-vous encore tenir le rythme de votre formation ? »

L’image du capitaine Ulrickson lui rendit son regard. « On mourra s’il le faut en essayant. Les réparations sont en cours. »

Détermination et vœux pieux étaient sans doute admirables, mais, en consultant ses données, Geary prit conscience que ni l’une ni les autres n’étaient des substituts convenables à une unité de propulsion principale endommagée. Si le Téméraire ne pouvait pas suivre, il faudrait l’abandonner ou sacrifier la flotte pour le protéger.

Desjani fixait son écran ; son visage ne trahissait aucune émotion.

« Il nous reste une demi-heure avant que d’autres manœuvres ne soient indiquées, déclara Geary au capitaine Ulrickson. Je tiens à ce que le Téméraire soit capable de suivre à ce moment.

— Entendu, amiral.

— Il nous reste une chance, affirma Geary à Desjani une fois la communication terminée. Les croiseurs de combat obscurs cherchent à nous rejoindre là où nous serons aux prises avec leurs cuirassés.

— Autant dire qu’ils fileront trop vite quand nous les atteindrons puisque nous nous dirigeons tout droit sur une interception de leurs croiseurs de combat, conclut-elle. Mesdames et messieurs, lança-t-elle à ses observateurs d’une voix plus forte, quelle est la règle numéro un de la manœuvre au combat ?

— Ne jamais pousser son vaisseau jusqu’aux dernières limites de ses capacités, répondirent en chœur les lieutenants Yuon et Castries.

— Parce que ?

— Parce qu’une fois qu’on l’a poussé jusqu’à ses dernières limites il n’a plus rien à vous offrir.

— Exactement. » Desjani désigna son écran d’un geste dédaigneux. « Ces croiseurs de combat obscurs ont basé leur approche sur la décélération maximale qu’ils peuvent endurer, ce qui signifie qu’ils ne peuvent plus ralentir assez vite maintenant que nous nous en rapprochons. » Elle baissa la voix pour s’adresser au seul Geary. « Malheureusement, nous ne pourrons pas non plus les frapper quand ils nous dépasseront.

— Non. » Il jaugeait la situation. Les cuirassés obscurs arrivaient derrière ses formations, mais ils accéléraient à un rythme supérieur à celui que ses propres cuirassés pouvaient soutenir, d’autant que le Téméraire claudiquait. La succession de passes de tir avortées avait maintenu les unités de Geary dans une proximité relative de l’adversaire, du moins en termes de distances spatiales, de sorte que les cuirassés ennemis n’étaient plus très éloignés et se rapprochaient encore. Même si le Téméraire réussissait à remettre en état une seule au moins de ses unités de propulsion principale, Geary ne pourrait pas les éviter très longtemps.

Les croiseurs de combat obscurs passeraient près de la formation de l’Alliance à une vitesse de rapprochement combinée de 0,25 c, soit trop vite pour espérer porter de nombreux coups au but. Cela étant, comme l’avait constaté Desjani, les vaisseaux de Geary ne pourraient pas non plus les frapper. Dès lors, tant les cuirassés que les croiseurs de combat ennemis se retrouveraient juste derrière la Première Flotte.