— On ne peut rien présumer de la part du QG, mais ces trois transports d’assaut ont une capacité suffisante pour prendre à leur bord les notables, j’imagine, et c’est d’eux que s’inquiète probablement le gouvernement, déclara Timbal. Oh ! Et ils sont aussi censés embarquer la plupart de vos fusiliers.
— La plupart de mes fusiliers ? Pour quoi faire ? Retenir les foules qui chercheraient à se faire une place à bord ?
— Je n’en sais rien, amiral. » Timbal écarta les bras. « Ces ordres sont limpides. Soit vous les exécutez, soit vous les enfreignez. Pas moyen de les contourner. »
Geary opina pesamment. « Je vois. Parfait. Tsunami, Typhon et Haboob partent pour Unité avec… combien de fusiliers exactement ?
— Deux brigades sur trois plus leurs éléments de soutien. Deux mille cent au total. Le général Carabali doit les accompagner.
— Suis-je au moins habilité à choisir les brigades qui partiront et celle qui restera ? »
Timbal plissa les yeux comme pour accommoder. « Hmmm… non ! La première et la deuxième brigades partent avec les transports d’assaut. Vous gardez la troisième. Vous sentez à quel point on vous apprécie ?
— Pas pour le moment. » Mais, quand Timbal eut raccroché, Geary resta un moment assis dans sa cabine, renfrogné, à se demander d’où venaient vraiment ces ordres. Le gouvernement dispose de beaucoup plus de transports d’assaut que moi. Et de bien plus de fusiliers. Pourquoi tient-il tant à renvoyer les miens à Unité ?
Il appela Carabali. « Êtes-vous informée des ordres concernant les transports d’assaut et les deux tiers de nos fusiliers ?
— Oui, amiral. À l’instant même.
— Savez-vous pourquoi ils affectent vos première et deuxième brigades à Unité tandis que la troisième reste à Varandal ?
— Oui, amiral, répondit Carabali, l’air un tantinet penaude. Pendant que vous étiez en mission, j’ai reçu une requête m’exhortant à désigner celles de mes brigades les plus efficaces dans un assaut. En me fondant sur leur expérience respective et le nom de leur commandant, j’ai répondu que la troisième me semblait la mieux qualifiée. C’est sans doute pour cette raison qu’on l’a choisie pour rester à Varandal. Je vous ai envoyé un mémo à cet égard, mais, avec tout ce qui s’est passé, vous n’y avez peut-être pas prêté attention.
— Merci de me faire comprendre avec autant de tact que je suis passé à côté. On me laisse donc la meilleure brigade ?
— C’est un terme relatif, amiral, répondit Carabali non sans quelque raideur. Toutes le sont.
— Je vois. Et j’en conviens. J’aurais dû mieux choisir mes mots. Avez-vous une idée de ce que sera votre mission à Unité ?
— Non, amiral.
— Merci, général. Faites-moi savoir si vous avez besoin d’assistance pour les préparatifs de ce transfert. »
Il se radossa à la fin de la communication. Les questions qui l’agitaient étaient encore plus nombreuses qu’avant sa conversation avec Carabali. Je m’étais dit que j’aurais besoin de quelques-uns de mes fusiliers quand j’aurais localisé la base des vaisseaux obscurs. De gens qui sauraient s’emparer de leurs installations et les désactiver sans les détruire. Je tiens à disposer de cette preuve au cas où l’on prétendrait que les vaisseaux obscurs ne sont qu’une chimère, qu’ils n’avaient aucune existence officielle ou autre absurdité du même tonneau.
Si j’avais besoin des fusiliers pour mener cette mission à bien, je choisirais sans doute la troisième brigade, me semble-t-il. Et c’est précisément cette unité qu’on me laisse. Mais pourquoi le faire sans m’en parler ?
Et, quoi qu’il en soit, tant que je ne connais pas la localisation précise de la base des vaisseaux obscurs, tout cela ne rime à rien.
Ô mes ancêtres, cette fois, j’ai vraiment besoin d’un coup de pouce !
L’alarme de son écoutille annonça une visite.
Neuf
« Amiral. » Comme d’habitude, le général Charban donnait l’impression de ne pas entièrement réussir à maîtriser son exaspération. « Je viens de rentrer de mon séjour sur l’Inspiré. Pouvons-nous nous entretenir ?
— Bien sûr. Prenez un siège. Vous devez vous féliciter de ne pas nous avoir suivis à Bhavan, j’imagine.
— Je crois avoir une petite idée de ce que vous avez vécu, amiral. » Charban secoua la tête. « J’ai participé à quelques batailles des forces terrestres où j’ai prié pour qu’un miracle se produise. Par bonheur, les vivantes étoiles m’aiment bien, à moins que la fortune ne m’ait favorisé. Mais je n’aurais sûrement pas été capable, je crois, de garder courage dans une situation telle que celle que vous avez affrontée à Bhavan.
— Vous auriez probablement trouvé une inspiration, dit Geary. Une quelconque percée dans la question des Danseurs ? » demanda-t-il, nommant l’espèce extraterrestre qui évoquait le croisement hideux d’une araignée géante et d’un loup et qui, des trois que l’humanité avait découvertes à ce jour, paraissait la plus amicale. Dans la mesure où les deux autres – les mystérieux Énigmas et les Bofs à l’agressivité meurtrière (encore que mignons tout plein) – étaient de très dangereux ennemis, il n’en fallait pas beaucoup pour se montrer sous un meilleur jour envers les humains. Mais les Danseurs, à leur manière pour le moins tortueuse, semblaient bel et bien manifester une certaine bienveillance envers l’humanité.
Charban s’assit puis haussa les épaules. « Les percées se font d’autant plus rares que les Danseurs ne sont pas là pour converser avec nous. D’un autre côté, je n’ai pas non plus à me dépatouiller de réponses floues et sommaires de leur part à l’occasion de nos rapports quotidiens, si bien que ça pourrait être pire.
— Ça pourrait effectivement être pire, dit Geary. Les vaisseaux obscurs refusent de nous parler.
— Les Bofs aussi, et les Énigmas ne s’y résolvent que quand ils y sont contraints. Cela étant, on pourrait se dire que les hommes qui ont construit les vaisseaux obscurs devraient au moins nous témoigner un peu de respect. » Charban s’interrompit et fixa le plafond, le regard absent. « D’être resté à Varandal aura au moins eu l’avantage de me laisser le temps de phosphorer et, comme je ne tenais pas à le perdre à me tracasser pour ce qui se passait à Bhavan, je l’ai consacré à réfléchir aux Danseurs. Et plus particulièrement à leur périple.
— Pour retourner chez eux, voulez-vous dire ?
— Non, antérieurement. Ce crochet par le système stellaire de Durnan. Je n’ai pas voulu m’en ouvrir à d’autres parce que j’ignorais encore l’importance que ça pouvait avoir, et si vous ne teniez pas au secret. Puis-je voir votre carte stellaire ?
— Bien sûr. » Geary l’afficha et les étoiles se mirent à flotter entre eux comme des joyaux en suspension.
Charban se pencha pour ajuster l’échelle de la main et faire le point. « Là ! Voyons voir. Ah ! Regardez. » Des lignes apparurent. Dont une qui, partant de Varandal, reliait ce système à d’autres étoiles avant de revenir sur lui. « Voilà le chemin qu’ont emprunté les Danseurs en sautant d’étoile en étoile.
— Ils se rendaient à Durnan pour visiter les ruines d’une de leurs anciennes colonies, dit Geary.
— Oui, convint Charban, mais, outre la question de la présence d’une ancienne colonie des Danseurs dans ce secteur, se pose celle de la raison qui leur a fait emprunter cette route précise. » Il désigna à nouveau les lignes reliant les étoiles entre elles. « Ce n’était pas, comme on aurait pu s’y attendre, une route directe. Ni à l’aller ni au retour. »