— Allez, dit Boardman.
Hosteen poussa une manette et les robots se mirent en marche. Par les yeux électroniques de la machine, Rawlins eut sa première vision de la zone H du labyrinthe. D’abord, un mur dentelé ondulant vers la gauche, construit en une matière qui semblait être de la porcelaine bleue trop cuite et, de l’autre côté, une barrière de fils d’acier se balançant le long d’une épaisse muraille de pierre. Le robot évita ce treillis métallique qui, sous l’effet du léger déplacement d’air, se mit à frissonner et à onduler souplement ; puis la machine se rapprocha du mur de porcelaine, qu’elle suivit le long d’une courbe douce sur une vingtaine de mètres à peu près. À cet endroit, le mur s’enroulait sur lui-même, formant une sorte de pièce presque fermée. Lors de la quatrième expédition, deux hommes avaient emprunté cette voie. Ils étaient arrivés devant cette chambre ouverte ; l’un était resté dehors et avait été détruit ; l’autre était entré et avait été épargné. Le robot entra. Un instant plus tard, un jet de lumière rouge jaillit d’un détail de la fresque en mosaïque sur le mur et balaya toute la surface immédiatement autour de la chambre.
Rawlins perçut dans les écouteurs de son casque la voix de Boardman :
— Nous avons perdu cinq engins au moment où ils franchissaient leur porte. C’est exactement ce que nous avions prévu. Comment se porte le vôtre ?
— Il suit son itinéraire, répondit Rawlins. Jusqu’à présent, ça va.
— Il ne devrait pas tenir plus de six minutes. Depuis combien de temps est-il entré ?
— Deux minutes quinze secondes.
À présent, le robot était sorti de la pièce et traversait rapidement l’endroit ratissé par le flot de lumière. Rawlins déclencha les relais olfactifs et il reçut l’odeur d’air brûlé, chargé d’ozone. Devant, le chemin se divisait. Un tronçon était constitué par un pont de pierre à travée unique qui enjambait une vallée de flammes, et l’autre était un enchevêtrement précaire de blocs cyclopéens entassés les uns sur les autres. Le pont semblait être nettement plus sûr et pourtant le robot s’en détourna immédiatement et entreprit une progression difficile sur l’amoncellement instable. Rawlins posa la question sur cet étrange choix. L’ordinateur de l’appareil lui répondit que le « pont » n’existait pas ; c’était uniquement une illusion projetée dont la source était soigneusement dissimulée. Ned demanda néanmoins une simulation d’approche. Sur son écran apparut l’image du faux appareil. À peine engagé sur le pont, il piqua brusquement du nez. C’était horrible, l’illusion était parfaite. Comme l’engin se débattait pour conserver son équilibre, le pilier se déroba subitement, le précipitant dans un bouillonnement féroce. Charmant, pensa Rawlins, et il ne put maîtriser un frisson.
Pendant ce temps, le vrai robot avait escaladé les blocs et descendait, intact, sur l’autre versant vers une route rectiligne, saine d’apparence. Trois minutes et huit secondes s’étaient déjà écoulées. L’avenue était bordée de part et d’autre par d’immenses tours de cent mètres de haut, dépourvues de toute ouverture, construites en un minerai irisé, lisse et luisant, sur lequel se reflétait l’image moirée de l’engin lancé à toute vitesse. Quelques instants après la quatrième minute, il contourna habilement une sorte de chausse-trape brillante, constituée de pieux semblables à d’énormes dents entrecroisées, puis il esquiva une masse terrifiante qui vint s’écraser sur le sol à quelques centimètres de lui. Quatre-vingts secondes plus tard, il évita une trappe qui s’ouvrait sur des abîmes béants. Le piège fut suivi d’un autre que le robot déjoua tout aussi habilement : cinq monstrueuses lames tétraédriques qui jaillirent subitement du pavement. Enfin, l’appareil déboucha sur un trottoir roulant qui l’emporta vertigineusement. Il le quitta exactement à la quarantième seconde.
Tout ce chemin avait déjà été parcouru, il y avait longtemps, par un explorateur nommé Cartissant. En liaison constante avec une équipe restée à l’extérieur du labyrinthe, il avait relaté en détail sa progression et les difficultés qu’il rencontrait. Il avait tenu cinq minutes trente. Son erreur avait été de rester sur le trottoir roulant pendant plus de quarante secondes. Ses confrères, dehors, n’avaient plus entendu parler de lui et ignoraient ce qu’il était devenu.
Rawlins demanda une autre simulation et l’ordinateur lui retransmit le résultat de ses conjectures : le trottoir roulant s’ouvrait brusquement pour engloutir son passager. Pendant ce temps, le robot avançait rapidement vers ce qui semblait être la sortie de cette zone. De l’autre côté de l’ouverture, Rawlins pouvait voir une place, brillamment éclairée, gaiement décorée de petits ballons vermeils faits en une substance perlée et qui dansaient en l’air.
— J’entame la septième minute, Charles, dit Rawlins dans son micro, et tout semble continuer à marcher. Devant, on dirait une porte ouvrant sur la zone G. Peut-être devriez-vous prendre les commandes de mon écran.
— Je le ferai, si vous tenez encore deux minutes, répondit Boardman.
Le robot marqua un arrêt prudent devant cette entrée. Il se brancha sur son gravitron et accumula une charge d’énergie égale à sa masse. Il projeta cette boule d’énergie à travers l’ouverture. Rien ne se passa. Satisfait, l’engin avança. Il était à moitié engagé quand, subitement, avec une violence démentielle, les deux montants vinrent s’écraser l’un contre l’autre, telles les mâchoires d’une presse gigantesque, et broyèrent l’appareil. L’écran de Rawlins s’obscurcit aussitôt. Rapidement, il passa sur une autre longueur d’onde, et il reçut un choc en voyant l’appareil proprement coupé en deux, gisant à côté du piège mortel. Un homme aurait été littéralement broyé, se dit-il.
— Mon robot vient d’être détruit, rapporta-t-il à Boardman. Six minutes et quarante secondes.
— C’est bien ce à quoi nous nous attendions. Il nous en reste encore deux. Coupez votre circuit et regardez bien.
Il vit sur son écran une carte du labyrinthe, sur laquelle l’endroit où chaque robot avait été détruit était marqué d’une croix. En regardant attentivement, il repéra la voie suivie par la machine dont il était responsable, avec un petit X sur la porte broyeuse. Il ne put s’empêcher d’éprouver, tout en se moquant de lui, une sorte d’orgueil enfantin à constater que son engin avait pénétré plus loin que la plupart des autres. Il n’en restait pas moins que deux robots continuaient encore à avancer. L’un se trouvait à l’intérieur de la seconde zone du labyrinthe, et l’autre était en train de franchir un passage menant à cette même zone.
Le plan disparut et il fut connecté avec un des robots. Habilement, la machine, de la hauteur d’un homme, se frayait un chemin à travers les dédales baroques du labyrinthe. Elle dépassa une colonne dorée qui vibrait en produisant une étrange mélodie en une clé inconnue, puis une fontaine de lumière, puis une sorte de toile d’araignée géante composée de fils métalliques étincelants, puis des monceaux d’ossements de toutes formes.
Le robot poursuivait sa marche en avant et Rawlins n’avait que de brefs aperçus des ossements, mais il était sûr qu’ils n’étaient pas tous humains. Ici gisaient des téméraires venus de toutes les galaxies.
L’excitation le gagnait progressivement. Il se sentait à ce point relié avec le robot qu’il avait l’impression de cheminer lui-même à l’intérieur du labyrinthe, évitant les pièges mortels les uns après les autres, et en lui grandissait un sentiment de triomphe au fur et à mesure que passait le temps. Quatorze minutes s’étaient maintenant écoulées. Cette seconde zone du labyrinthe était moins tortueuse que la première : de larges avenues spacieuses, de belles colonnades, de longs passages clairs rayonnant autour des artères principales. Il se détendit ; l’agilité de l’appareil et la sensibilité des moyens de détection le rassuraient et lui procuraient une certaine fierté. C’est à cet instant qu’un élément du pavement se redressa brusquement, entraînant le robot dans une chute vertigineuse vers un broyeur titanesque qui le réduisit en miettes.