Выбрать главу

Petite victoire, songea Catelyn lorsque, achevée l’échauffourée, les adversaires survivants se furent fondus dans la nuit, victoire néanmoins. « Que pensez-vous de cela, Brienne ? interrogea-t-elle tout en descendant l’escalier à vis.

— Que lord Tywin nous a juste effleurés d’une pichenette, madame. Il est en train de nous tâter. Il cherche un point faible, un passage non défendu. S’il n’en découvre, il reploiera chacun de ses doigts et, d’un coup de poing, tentera de s’en ouvrir un. » Ses épaules se tassèrent. « Voilà ce que je ferais. Si j’étais lui. » Sa main se porta vers la garde de son épée, la tapota comme pour s’assurer qu’elle n’avait pas disparu.

Plaise alors aux dieux de nous seconder, se dit Catelyn. Elle n’y pouvait rien, de toute manière. Là-bas dehors, sur la rivière, c’était la bataille d’Edmure ; ici se trouvait la sienne à elle, dans le château.

Pendant qu’elle déjeunait, le matin suivant, elle manda le vieil intendant de Père, Utherydes Van. « Faites apporter à ser Cleos Frey un flacon de vin. Comme j’entends l’interroger sous peu, je lui veux la langue bien déliée.

— A vos ordres, madame. »

Peu après se présenta un courrier – un Mallister, comme en témoignait l’aigle cousu sur sa poitrine –, par qui lord Jason mandait nouvelle escarmouche et nouveau succès : ser Flement Brax avait tenté de forcer le passage à un autre gué, six lieues plus au sud, en abritant cette fois des fantassins derrière un peloton de lances compact, mais le tir parabolique des archers avait malmené ce dispositif, que les scorpions installés par Edmure en haut de la berge contribuaient pour leur part à disloquer en le lapidant. « Une douzaine de Lannister ont péri dans l’eau, ajouta le courrier, et les deux seuls qui manquèrent aborder ont eu promptement leur compte. » On s’était également battu, dit-il, en amont, sur les gués que tenait lord Karyl Vance. « Et l’adversaire y a payé ses échecs aussi cher. »

Peut-être avais-je sous-estimé la sagacité d’Edmure, se dit Catelyn. Quand ses plans de bataille faisaient l’unanimité de ses feudataires, à quoi rimait ma défiance aveugle ? Pas plus que Robb, mon frère n’est le gamin de mes souvenirs…

Escomptant que plus elle patienterait, plus il aurait de chances de s’imbiber, elle retarda jusqu’au soir sa visite à ser Cleos Frey. Dès qu’elle entra dans la cellule, il s’affala à deux genoux. « Je ne savais rien, madame, de cette histoire d’évasion. C’est le Lutin qui, sur ma foi de chevalier, je le jure !, a dit qu’un Lannister devait être escorté par des Lannister, et…

— Debout, ser. » Elle prit un siège. « Aucun petit-fils de Walder Frey ne s’abaisserait, je le sais, à se parjurer. » A moins d’y trouver profit. « Vous avez rapporté des conditions de paix, m’a dit mon frère ?

— Oui. » Il se jucha tant bien que mal sur pied. Il titubait passablement, nota-t-elle sans déplaisir.

« Je vous écoute », commanda-t-elle, et il s’exécuta.

Une fois au courant, elle dut convenir à part elle, les sourcils froncés, qu’Edmure avait dit vrai : pas l’ombre d’une véritable ouverture, hormis… « Lannister échangerait Sansa et Arya contre son frère ?

— Oui. Il s’y est engagé sous serment du haut du trône de Fer.

— Devant témoins ?

— Devant toute la Cour, madame. Et au regard des dieux. Mais j’ai eu beau le dire et le redire à ser Edmure, il m’a répondu que la chose ne pouvait se faire, que jamais Robb – Sa Majesté – n’y consentirait.

— C’est la vérité. » En quoi elle ne parvenait même pas à lui donner tort. Arya et Sansa n’étaient que des enfants. Tandis que, sitôt libéré, le Régicide redevenait l’un des hommes les plus dangereux du royaume. Cette route-là ne menait nulle part. « Vous avez vu mes filles ? Comment sont-elles traitées ? »

Il hésita, bafouilla : « Je…, oui, elles m’ont paru… »

Il cherche à me mystifier, devina-t-elle, mais le vin lui brouille la cervelle. « En laissant vos gens se jouer de nous, ser Cleos, articula-t-elle froidement, vous vous êtes vous-même privé de l’immunité du négociateur. Osez me mentir, et vous irez pendre au rempart en leur compagnie. Est-ce clair ? A nouveau, je vous le demande : vous avez vu mes filles ? »

Son front s’était emperlé de sueur. « J’ai vu Sansa à la Cour, le jour où Tyrion m’a informé de ses conditions. Belle à ravir, madame. Peut-être un – un rien pâle. Les traits tirés, en quelque sorte. »

Sansa, mais pas Arya. Cela pouvait signifier n’importe quoi. Arya s’était toujours montrée plus difficile à apprivoiser. Peut-être Cersei répugnait-elle à l’afficher en pleine Cour, de peur de ce qu’elle pourrait dire ou faire. Peut-être la tenait-on recluse, à l’écart des curieux mais saine et sauve. A moins qu’on ne l’ait tuée. Elle rejeta cette idée. « Vous avez dit Tyrion et ses conditions… C’est pourtant Cersei qui exerce la régence, non ?

— Tyrion parlait en son nom à elle comme au sien propre. La reine n’était pas présente, ce jour-là. En raison, m’a-t-on dit, d’une indisposition.

— Tiens donc. » Le souvenir l’assaillit du terrible voyage à travers les montagnes de la Lune et des manigances qui avaient permis au nain de lui chiper en quelque sorte les services du reître. Deux fois trop malin, celui-là… Sans parvenir à concevoir par quel miracle, après son expulsion du Val, il avait pu en réchapper, elle n’en était pas étonnée. Il n’a pris aucune part au meurtre de Ned, en tout cas. Et il s’est porté à mon secours, lors de l’attaque des clans. Si je pouvais en croire sa parole…

Elle ouvrit ses mains pour contempler les cicatrices qui en bourrelaient les doigts. Les marques de son poignard, se rappela-t-elle. Son poignard, glissé dans le poing du tueur payé par lui pour égorger Bran. Encore qu’il l’eût nié mordicus. Mordicus. Même après que Lysa l’avait claquemuré dans l’une de ses cellules célestes et menacé d’envol par sa porte de la Lune, mordicus encore. « Il en a menti ! dit-elle en se levant brusquement. Les Lannister sont de fieffés menteurs, tous, et le pire de tous est le nain. C’est son propre couteau qui armait l’assassin. »

Ser Cleos ouvrit de grands yeux. « Je ne sais rien de…

— Rien de rien », convint-elle en se ruant hors du cachot. Sans un mot, Brienne vint la flanquer. C’est plus simple pour elle, songea Catelyn avec une pointe acérée d’envie. Son cas personnel, Brienne le vivait en homme. Les hommes avaient une réponse invariable et toujours à portée, jamais ils ne cherchaient plus loin que la première épée. Autrement plus raboteuse et difficile à définir se révélait la route, lorsqu’on était femme, lorsqu’on était mère.

Elle dîna tard, dans la grande salle, en compagnie des garnisaires, afin de leur donner autant de cœur qu’il était en elle. Grâce aux chansons dont il ponctua l’intégralité du service, Rymond le Rimeur lui épargna l’obligation de converser. Il acheva par la ballade qu’il avait personnellement composée en y honneur de Robb et de sa victoire à Croixbœuf.