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Or, lorsque la porte s’ouvrit bruyamment dans son dos, l’individu qui pénétra, Bran ne le connaissait pas. Il portait un justaucorps de cuir écaillé de disques de fer, un poignard à la main et une hache en bandoulière. « Que faites-vous ici ? s’alarma Bran, vous êtes dans ma chambre ! dehors ! »

Theon Greyjoy apparut à son tour. « Nous ne venons pas te faire de mal, Bran.

— Theon ?» Le soulagement lui donnait le vertige. « C’est Robb qui t’envoie ? Il est là, lui aussi ?

— Robb est au diable vauvert. Il ne saurait t’aider.

— M’aider ? » Sa cervelle s’embrouillait. « Tu veux me faire peur, Theon.

— Prince Theon, désormais. Nous sommes tous deux princes, Bran. Qui l’eût dit ? Ç’a l’air d’un rêve, n’est-ce pas ? Je ne m’en suis pas moins emparé de votre château, mon prince.

— De Winterfell ? » Il secoua farouchement la tête. « Non non, tu n’as pas pu !

— Laisse-nous, Werlag. » L’homme au poignard se retira. Theon se posa sur le lit. « J’ai fait franchir le rempart à quatre de mes gens équipés de cordes et de grappins, et ils n’ont plus eu qu’à nous ouvrir une poterne. A l’heure qu’il est, le compte des vôtres doit être à peu près réglé. Je vous assure, Winterfell est mien. »

Bran ne saisissait toujours pas. « Mais tu es le pupille de Père…

— Et, dorénavant, vous et votre frère serez mes pupilles. Dès la fin des combats, mes hommes assembleront dans la grande salle ce qui restera de vos gens pour que nous leur parlions, vous et moi. Vous leur annoncerez m’avoir rendu Winterfell et leur ordonnerez de servir leur nouveau seigneur et de lui obéir comme à l’ancien.

— Non pas, dit Bran. Nous vous combattrons et nous vous bouterons dehors. Jamais je n’ai capitulé, tu ne pourras me faire affirmer le contraire.

— Ceci n’est pas un jeu, Bran, cessez donc de faire le gosse avec moi, je ne le souffrirai pas. Le château est à moi, mais ces gens sont encore à vous. Pour leur obtenir la vie sauve, le prince ferait mieux d’agir comme indiqué. » Il se leva, gagna la porte. « Quelqu’un viendra vous habiller et vous emporter dans la grande salle. D’ici là, pesez chacun des mots que vous prononcerez. »

L’attente ne fit qu’empirer le désarroi de Bran. Assis sur sa banquette, près de la fenêtre, il ne pouvait détacher ses yeux des sombres tours qui se découpaient par-dessus les murailles noir d’encre. Une fois, il se figura entendre des cris, derrière la salle des Gardes, et quelque chose qui pouvait passer pour des cliquetis d’épées, mais il n’avait pas l’ouïe aussi fine qu’Eté, ni son flair. A l’état de veille, rompu je demeure, mais, dès que je dors et que je suis Eté, rien ne m’empêche de courir et de me battre et d’entendre et de sentir.

Il s’était attendu qu’Hodor viendrait le chercher, Hodor ou quelque servante, mais c’est sur mestre Luwin, muni d’une chandelle, que se rouvrit la porte. « Bran, bredouilla-t-il, tu… – tu sais ce qui s’est passé ? On t’a dit ? » D’une estafilade au-dessus de l’œil gauche lui dégoulinaient tout le long de la joue des traînées de sang.

« Theon est venu. Il prétend que Winterfell est à lui, maintenant.

— Ils ont traversé les douves à la nage. Escaladé les murs avec des cordes équipées de grappins. Surgi tout trempés, ruisselants, l’acier au poing. » Il se laissa tomber sur le siège, près de la porte, étourdi par un nouvel afflux de sang. « Panse-à-bière était dans l’échauguette, ils l’y ont surpris et tué. Ils ont aussi blessé Bille-de-foin. J’ai eu le temps de lâcher deux corbeaux avant leur irruption chez moi. L’un pour Blancport, qui s’en est tiré, mais une flèche a descendu l’autre. » Il fixait la jonchée d’un air hébété. « Ser Rodrik nous a pris trop d’hommes, mais je suis aussi coupable que lui. Je n’ai pas prévu ce danger, je… »

Jojen, si, songea Bran. « Autant m’aider à m’habiller.

— Oui. Autant. » Au pied du lit, dans le gros coffre bardé de fer, il préleva sous-vêtements, tunique, braies. « Tu es le Stark de Winterfell et l’héritier de Robb. Allure princière s’impose. » Ils y œuvrèrent de conserve.

« Theon prétend que je lui fasse ma reddition, reprit Bran pendant que le mestre lui agrafait au manteau sa broche favorite, une tête de loup d’argent et de jais.

— Il n’y a là rien d’infamant. Un bon seigneur doit protéger ses gens. Cruels parages enfantent peuples cruels, Bran, souviens-t’en constamment durant ton face-à-face avec les Fer-nés. Le seigneur ton père avait fait de son mieux pour policer Theon, mais trop peu et trop tard, je crains. »

Le Fer-né qui vint les prendre était un magot charbonneux et courtaud, barbu jusqu’à mi-torse. Sans précisément excéder ses forces, la corvée de charrier Bran ne le ravissait manifestement point. Une demi-volée de marches plus bas se trouvait la chambre de Rickon. Lequel, on ne peut plus grincheux qu’on l’eût réveillé, trépignait : « Je veux Mère ! avec l’opiniâtreté futile de ses quatre ans, je la veux ! et Broussaille aussi !

— Madame votre mère est loin, mon prince. » Mestre Luwin lui enfila une robe de chambre par-dessus la tête. « Mais nous sommes là, Bran et moi. » Il lui prit la main pour l’entraîner.

A l’étage inférieur, un type chauve armé d’une pique plus haute que lui de trois pieds poussait devant lui les Reed. Le regard de Jojen s’attarda sur Bran, telles deux flaques glauques de chagrin. D’autres Fer-nés talonnaient les Frey. « Voilà ton frère sans royaume, lança Petit Walder. Terminé, le prince, plus qu’un otage.

— Comme vous, répliqua Jojen, et moi, et nous tous.

— Qui te cause, bouffe-grenouilles ? »

La pluie qui avait repris eut tôt fait de noyer la torche qu’un de leurs gardes brandissait devant. Tandis qu’on traversait précipitamment la cour, ne cessait de retentir le hurlement des loups dans le bois sacré. Pourvu qu’Eté ne se soit pas blessé en tombant de l’arbre…

Theon Greyjoy occupait le grand trône des Stark. Il s’était défait de son manteau. Un surcot noir frappé d’or à la seiche couvrait son haubert de maille fine. Ses mains reposaient sur les têtes de loup sculptées dans la pierre des accoudoirs. « Il est assis dans le fauteuil de Robb ! s’étrangla Rickon.

— Chut », souffla Bran, conscient de l’atmosphère menaçante que son frère était trop jeune pour percevoir. Bien que l’on eût allumé quelques torches et fait une flambée dans la vaste cheminée, la salle demeurait quasiment plongée dans l’obscurité. Les bancs empilés le long des murs interdisaient à quiconque de s’asseoir. Aussi les gens du château se pressaient-ils, debout, par petits groupes muets de peur. Il y discerna la bouche édentée de Vieille Nan qui s’ouvrait et se fermait convulsivement. Deux gardes portaient Bille-de-foin, la poitrine nue sous des bandages ensanglantés. Tym-la-Grêle pleurait éperdument, la panique faisait hoqueter Beth Cassel.

« C’est quoi, ceux-là ? demanda Theon devant les Reed et les Frey.

— Les pupilles de lady Catelyn, tous deux nommés Walder Frey, expliqua mestre Luwin. Et voici les enfants d’Howland Reed, Jojen et sa sœur Meera, venus de Griseaux renouveler leur allégeance à Winterfell.

— Des présences intempestives, jugeraient d’aucuns, mais qui m’agréent fort, commenta Theon. Ici vous êtes, ici vous resterez. » Il libéra le trône. « Apporte ici le prince, Lorren. » La barbe noire obtempéra en le balançant sur la pierre comme un sac d’avoine.