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— Un dragon de tissu monté sur des bâtons, expliqua-t-elle. Les histrions s’en servent au cours des représentations pour donner quelque chose à combattre aux héros. »

Ser Jorah se renfrogna.

Elle n’en poursuivit pas moins : « Sienne est la chanson de la glace et du feu, disait mon frère. Je suis certaine que c’était mon frère. Pas Viserys, Rhaegar. Il avait une harpe à cordes d’argent. »

Le front de ser Jorah se creusa pour le coup si profondément que ses sourcils se rejoignirent. « Le prince Rhaegar jouait en effet d’un tel instrument, convint-il. Vous l’avez donc vu ? »

Elle hocha la tête. « Lui et une femme alitée qui donnait le sein à un nouveau-né. En lui affirmant que l’enfant était le prince des prédictions, mon frère l’invitait à le nommer Aegon.

— Il eut en effet le prince Aegon, son héritier, de son épouse Elia de Dorne, admit ser Jorah. Mais si c’était là le prince promis, la promesse alla se fracasser contre un mur en même temps que son crâne par la grâce des Lannister.

— Je n’oublie pas, dit-elle tristement. Ils assassinèrent aussi la fille de Rhaegar. Rhaenys, elle se nommait, comme notre aïeule, la sœur d’Aegon. Manquait une Visenya, mais Rhaegar n’en assurait pas moins que le dragon avait trois têtes. En quoi consiste la chanson de la glace et du feu ?

— J’en entends parler pour la première fois.

— C’est l’espoir d’obtenir des réponses qui m’a conduite chez les conjurateurs, et je n’en ai rapporté que cent nouvelles interrogations. »

Les rues se peuplaient à nouveau. « Place ! » criait Aggo, tandis que Jhogo humait l’atmosphère d’un air défiant. « Je la sens, Khaleesi, lança-t-il. L’eau vénéneuse. » La mer et ce qu’elle portait inspiraient à tous les gens de sa race une invincible répulsion. Ils s’interdisaient tout contact avec une eau que les chevaux refusaient de boire. Ils y viendront, trancha Daenerys. J’ai bravé leur mer avec Khal Drogo. A eux maintenant de braver la mienne.

Qarth était l’un des plus vastes ports du monde, et l’abri de son immense rade une orgie de couleurs, de vacarme et d’odeurs bizarres. Gargotes, entrepôts, tripots bordaient joue contre joue le dédale de ses ruelles avec bouges à filles et temples voués à des dieux singuliers. Tire-laine et coupeurs de gorges, changeurs et vendeurs de sorts grouillaient au sein du moindre attroupement. L’ensemble du front de mer ne formait jusqu’à l’horizon qu’un prodigieux marché sur lequel se poursuivaient la vente et l’achat jour et nuit, et, pour qui ne manifestait aucune curiosité sur leur origine, les marchandises y coûtaient cent fois moins qu’au bazar. Aussi voûtées que des bossus sous les jarres vernissées qui leur harnachaient le dos, des vieilles couturées de rides vous proposaient des eaux de senteur ou du lait de chèvre. Vous coudoyiez entre les échoppes des matelots issus de cinquante nations qui, tout en sirotant des liqueurs épicées, blaguaient dans des idiomes aux sonorités extravagantes. Et des odeurs de sel, de poisson frit, de miel et de goudron bouillant, d’encens, d’huile et de sperme vous étourdissaient partout.

Contre un liard, Aggo acquit d’un galopin une brochette de souris laquées qu’il grignota tout en chevauchant. Jhogo s’offrit une poignée de cerises blanches dodues. Plus loin s’étalaient de beaux poignards de bronze, du poulpe sec et des objets d’onyx, ailleurs se vantaient un élixir magique irrésistible fait d’ombre-du-soir et de lait de vierge, voire même des œufs de dragon que l’on pouvait suspecter n’être que cailloux peints.

Comme on longeait les grands quais de pierre réservés aux bateaux des Treize, Daenerys vit le somptueux Baiser vermillon de Xaro décharger des coffrets de safran, d’oliban, de poivre. A côté, barils de vin, balles de surelle et ballots de fourrures zébrées empruntaient la passerelle de La Fiancée d’azur, appareillage le soir même avec la marée. Plus loin, la foule assaillait une galère de la Guilde, Le Soleil en gloire, à fin d’enchères à l’esclave. Il était de notoriété publique que cette denrée se négociait au meilleur compte dès le débarqué de la cargaison, et les flammes flottant à ses mâts proclamaient que le navire arrivait tout juste d’Astapor, sur la baie des Serfs.

Sachant n’avoir rien à espérer des Treize ni de la Fraternité Tourmaline ou des Epiciers, Daenerys parcourut d’un trait sur son argenté les lieues et les lieues que couvraient leurs môles, docks et magasins pour gagner tout au bout du havre en fer à cheval la partie où les navires en provenance des îles d’Eté, de Westeros et des neuf cités libres avaient l’autorisation d’accoster.

Elle démonta près d’une fosse au fond de laquelle un basilic mettait à mal un énorme chien rouge, sous les vociférations d’un cercle de parieurs. « Aggo, Jhogo, vous gardez les chevaux tandis que je vais voir les capitaines avec ser Jorah.

— Bien, Khaleesi. Nous aurons l’œil sur vous pendant votre tournée. »

Quel bonheur que d’entendre à nouveau parler valyrien, et même la langue des Sept Couronnes, se dit-elle en approchant du premier bateau. Marins, portefaix, marchands, tout s’écartait sur son passage, assez intrigué par cette mince jouvencelle aux cheveux d’argent qui, vêtue à la façon dothrak, marchait escortée d’un chevalier. Malgré le jour torride, ser Jorah portait par-dessus son haubert de mailles le surcot de laine vert frappé à l’ours noir Mormont.

Cependant, ni sa beauté à elle ni ses taille et vigueur à lui ne suffiraient à impressionner les gens dont ils convoitaient les bateaux.

« Ah bon ? une centaine de Dothrakis avec tous leurs chevaux, vous-même, ce chevalier et trois dragons ? » Le capitaine du gros cotre L’Ardent ami s’étrangla de rire et les planta là. En apprenant qu’elle était Daenerys du Typhon, reine des Sept Couronnes, le Lysien du Trompette prit une mine de merlan frit pour lâcher : « Mouais, comme je suis, moi, lord Tywin Lannister et chie de l’or toutes les nuits. » Le quartier-maître de la galère myrote Esprit soyeux déclara les dragons trop dangereux ; leur haleine risquerait à tout moment d’embraser ses gréements. Pour le propriétaire du Faro pansu, les dragons, passe, mais les Dothrakis, non. « Des barbares aussi mécréants dans ma panse ? jamais. » Apparemment plus traitables, les deux frères qui commandaient les vaisseaux jumeaux Vif-argent et Chien gris les invitèrent à monter prendre un verre de La Treille rouge. Touchée d’abord par leur exquise courtoisie, Daenerys faillit reprendre espoir, mais les tarifs qu’ils finirent par annoncer se révélèrent fort au-dessus de ses moyens, voire de ceux qu’eût pratiqués Xaro. Le Petto cul-pincé comme L’Aguicheuse étaient trop petits, Le Bravo faisait voile vers la mer de Jade, et le Maître Manolo semblait à peine capable de naviguer.

Comme ils se dirigeaient vers le bassin suivant, la main de ser Jorah s’aventura au creux des reins de Daenerys. « On nous suit, Votre Grâce. Non, ne vous retournez pas. » Il la conduisit galamment vers la baraque d’un dinandier. « Voilà de la belle ouvrage, ma reine ! s’exclama-t-il en s’emparant d’un grand plat comme pour le lui faire admirer. Regardez donc comme il miroite, au soleil… »

Le cuivre jaune en était effectivement si lustré qu’elle y vit nettement reflété son visage…, puis, ser Jorah l’ayant orienté vers la droite, ce qui se trouvait derrière elle. « Lequel est-ce ? souffla-t-elle, le poussah basané ou le vieux à la canne ?