— Je connais. Gardée, comme toutes les autres.
— Eh bien ? tu n’oublieras pas les épées ?
— J’ai jamais dit que je venais.
— Non. Mais, si tu viens, tu n’oublieras pas les épées ? »
Il fronça le sourcil. « Non, lâcha-t-il enfin, je parie que non. »
Rentrée au Bûcher-du-Roi comme elle en était sortie, elle gravit le colimaçon, furtive et attentive à étouffer ses pas. Sitôt dans sa cellule, elle ôta sa tunique pour s’habiller soigneusement : sous-vêtements doubles, chausses bien chaudes et sa tunique la plus propre. A la livrée de lord Bolton. Sur la poitrine étaient cousues les armes parlantes de Fort-Terreur : l’écorché. Après avoir lacé ses chaussures, elle drapa ses maigres épaules dans une cape de laine qu’elle se noua sous le menton. Après quoi, silencieuse comme une ombre, elle redescendit l’escalier jusqu’à la porte de la loggia devant laquelle elle s’immobilisa, l’oreille aux aguets. Silence total. Elle poussa lentement le vantail.
La carte de basane se trouvait toujours sur la table, à côté des reliefs du dîner. Elle la rafla et en fit un mince rouleau qu’elle enfila dans sa ceinture. Elle prit également la dague de lord Bolton qui traînait par là. Juste au cas où Gendry se dégonflerait.
Un cheval hennit tout bas lorsqu’elle se faufila dans les ténèbres des écuries. Les palefreniers roupillaient. Elle agaça les côtes de l’un d’eux du bout de l’orteil jusqu’à ce qu’il se mette sur son séant et, pâteux, bafouille : « Hé ? Qu’y a ?
— Lord Bolton demande trois chevaux sellés et harnachés. »
Le valet se jucha sur pied tout en épluchant la paille qui lui hérissait la tignasse. « Bouh, à c’te heure ? ch’vaux, tu dis ? » Il loucha vers l’emblème Bolton. « Veut faire quoi, de ch’vaux, dans l’ noir ?
— Lord Bolton n’a pas pour habitude de se laisser questionner par les serviteurs. » Elle se croisa les bras.
Il demeurait comme fasciné par l’écorché. Il en connaissait la signification. « Trois, tu dis ?
— Un deux trois. Des chevaux de chasse. Vitesse et sûreté du pied. » Elle l’aida à trimbaler selles et harnais, qu’il n’ait pas besoin d’éveiller les autres. Elle espérait qu’on ne le maltraiterait pas, par la suite, mais ne se faisait guère d’illusions.
Le plus dur était de mener les montures à travers le château. Elle demeura le plus possible à l’ombre du mur de courtine. Ainsi les sentinelles qui arpentaient le chemin de ronde ne l’apercevraient-elles qu’à condition de regarder juste en dessous. Et le feraient-elles, qu’importe ? Je suis l’échanson personnel de messire, après tout. La nuit était glaciale et humide, une nuit d’automne. De l’ouest accouraient des nuages qui dissimulaient les étoiles, et la tour Plaintive répondait aux rafales par des mugissements lugubres. Sent la pluie… Propice ou néfaste à leur évasion ? Elle ne savait.
Personne ne la vit, et elle ne vit personne, hormis un matou gris et blanc qui, sur le mur d’enceinte du bois sacré, s’immobilisa pour cracher vers elle, suscitant par là le souvenir de Père et du Donjon Rouge et de Syrio Forel. « Je t’attraperais si je le voulais, lui jeta-t-elle à voix basse, mais je dois partir, chat. » Le matou déguerpit sur un dernier crachat.
La tour des Spectres était la plus en ruine des cinq tours gigantesques d’Harrenhal. Elle se dressait, sombre et désolée, derrière les vestiges chaotiques d’un septuaire où seuls venaient prier les rats depuis près de trois siècles. C’est là qu’elle se posta pour voir si Tourte et Gendry la rejoindraient. L’attente lui parut interminable. Les chevaux se mirent à grignoter les herbes folles qui surgissaient des monceaux de pierre, pendant que les nuages achevaient de gober la dernière étoile. Arya tira la dague et l’aiguisa pour s’occuper les mains. A longs effleurements tendres, ainsi que le lui avait enseigné Syrio. Le crissement régulier lui rendit son calme.
Elle les entendit venir bien avant de les apercevoir. Tourte, qui haletait comme un bœuf, trébucha dans le noir et, en s’éraflant le jarret, jura de manière à réveiller la moitié d’Harrenhal. Gendry se montrait plus discret, mais les épées qu’il charriait ferraillaient à chacun de ses mouvements. « Je suis là. » Elle se dressa devant eux. « Silence, ou on va vous entendre. »
Les garçons la rejoignirent cahin-caha parmi les amas de ruines. Gendry portait sous son manteau de la maille huilée, vit-elle, et son marteau de forgeron lui battait le dos. La bouille ronde et rouge de Tourte prétendait s’enfouir dans un capuchon, il tenait sous l’aisselle gauche une grosse forme de fromage et à la main droite un sac de pain. « Y a un garde, à ta poterne, chuchota Gendry, je t’avais bien dit.
— Restez avec les chevaux, répondit-elle. Je vais m’occuper de lui. Vous arrivez dès que j’appelle. »
Gendry acquiesça d’un signe, mais Tourte : « Ulule comme une chouette quand tu veux qu’on vienne.
— Je ne suis pas une chouette, répliqua-t-elle. Je suis un loup. Je hurlerai. »
Toute seule, elle se glissa dans l’ombre de la tour des Spectres. Elle allait bon train pour se préserver de la peur, et cela lui donnait l’impression que Syrio Forel marchait à ses côtés, ainsi que Yoren et Jaqen H’ghar et Jon Snow. Elle n’avait pas pris l’épée que Gendry lui destinait. Plus tard. En l’occurrence, la dague irait mieux. Une bonne lame effilée. Percée dans un angle de l’enceinte au bas d’une tour de défense, la poterne était la plus modeste d’Harrenhal : rien de plus qu’une porte étroite de chêne massif et clouté de fer. Aussi n’y postait-on qu’un homme, mais encore fallait-il également compter avec les sentinelles nichées en haut de la tour comme avec celles qui faisaient les cent pas au rempart. A elle d’être, quoi qu’il advînt, silencieuse comme une ombre. Il ne doit pas pousser un cri. Quelques gouttes éparses s’étaient mises à tomber. Elle en sentit une s’écraser sur son front puis dégouliner lentement le long de son nez.
Loin d’essayer de se dissimuler, elle approcha le garde ouvertement, comme si lord Bolton en personne la lui envoyait. Il la regarda venir d’un air intrigué. Quelle mission pouvait bien amener un page dans ces parages au plus noir de la nuit ? Un homme du Nord, s’aperçut-elle tout en avançant, très grand, très mince, et emmitouflé dans une pelisse élimée. Ce qui compliquait tout. Rouler un Frey ou l’un des Braves Compaings ne la tracassait pas, mais un des gens de Fort-Terreur… Ils avaient servi Roose Bolton leur vie durant, le connaissaient plus à fond qu’elle. Si je lui dis que je suis Arya Stark et lui ordonne de me laisser passer… Non. C’était trop risqué. Il était bien du Nord, mais pas de Winterfell. Il appartenait à Roose Bolton.
Au moment de l’aborder, elle écarta les pans de son manteau pour bien mettre en évidence l’emblème à l’écorché. « Lord Bolton m’envoie.
— A c’te heure ? Pour quoi faire ? »
Sous la fourrure se discernait le miroitement de l’acier. Aurait-elle assez de force pour transpercer la cotte de mailles ? Sa gorge, il me faut sa gorge, mais il est trop grand. Une seconde, elle ne sut que dire. Une seconde, elle ne fut plus à nouveau qu’une petite fille, une petite fille effarée, la pluie coulant sur son visage comme des larmes.
« Il m’a chargée de remettre à chacun de ses gardes une pièce d’argent, en récompense de leurs bons et loyaux services. » Les mots semblaient surgir de nulle part.
« D’argent, tu dis ? » Il ne la croyait pas mais avait envie de la croire, l’argent étant après tout l’argent. « Donne, alors. »