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Des acclamations délirantes emplirent la salle du Trône et, tout autour de Sansa fusèrent des « Margaery ! Margaery ! ». Les doigts crispés sur la main courante de bois, elle se pencha pour mieux voir. Tout en sachant ce qui allait venir, elle redoutait les paroles que proférerait Joffrey, craignait qu’il ne refusât de la libérer, même à présent qu’en dépendait le sort du royaume entier. Il lui sembla qu’elle se trouvait à nouveau sur le perron de marbre du Grand Septuaire, attendant de son prince qu’il lui accordât la grâce de Père et l’entendant, au lieu de cela, ordonner à ser Ilyn de le décapiter. Pitié, pria-t-elle de toute son âme, pitié, faites qu’il le dise, faites qu’il le dise.

Lord Tywin dévisageait son petit-fils. Lequel lui répondit par un coup d’œil maussade avant d’avancer relever ser Garlan Tyrell. « Par un effet de la bonté divine, me voici libre d’écouter mon cœur. J’épouserai votre chère sœur, et de grand gré, ser. » Il baisa la joue barbue de son vis-à-vis sous un ouragan d’ovations.

Elle en éprouva pour sa part une sensation bizarrement vertigineuse. Délivrée, je suis délivrée. Les yeux s’attachaient sur elle. Me garder de sourire, s’enjoignit-elle. La reine l’en avait assez chapitrée ; quels que fussent vos sentiments intimes, le monde n’en devait rien lire sur votre visage. « Gare à vous si vous humiliez mon fils, avait dit Cersei. M’entendez-vous ?

— Oui. Mais puisque je ne dois pas être reine, que va-t-il advenir de moi ?

— Cela reste à débattre. Pour l’heure, vous resterez à la Cour comme notre gage.

— Je veux rentrer chez moi. »

La reine avait manifesté son agacement. « N’auriez-vous toujours pas compris qu’aucun de nous ne fait ce qu’il veut ? »

J’y suis arrivée, pourtant, songea Sansa. Je suis délivrée de Joffrey. Je n’aurai pas à l’embrasser ni à lui donner ma virginité ni à lui faire ses enfants. A Margaery Tyrell, la pauvre, toutes ces corvées.

Quand le tapage se fut éteint, le sire de Hautjardin siégeait à la table du Conseil, et ses fils se trouvaient sous les baies parmi les chevaliers et hobereaux. Sansa s’efforça de feindre une désolation de répudiée tandis que l’on introduisait pour toucher leur récompense d’autres héros de la bataille de la Néra.

S’avancèrent de la sorte Paxter Redwyne, sire de La Treille, entre ses deux fils, Horreur et Baveux, celui-là boquillonnant par suite d’une blessure ; lord Mathis Rowan, doublet neigeux brodé d’arborescences d’or ; lord Randyll Tarly, maigre et déplumé, le dos barré par le fourreau joaillier d’un estramaçon ; ser Kevan Lannister, autre déplumé mais trapu, barbe taillée court ; ser Addam Marpheux, chevelu de cuivre jusqu’aux épaules, et les grands vassaux de l’Ouest Lydden, Crakehall, Brax.

Leur succédèrent quatre moindre-nés qui s’étaient distingués durant les batailles : ser Philip Pièdre, en tuant en combat singulier lord Bryce Caron ; le franc-coureur Lothor Brune qui, en se forçant passage au travers d’une centaine de Fossovoie pour capturer ser Jon de la branche verte et tuer ser Edwyd et ser Bryan de la rouge, s’était acquis le sobriquet de Croque-pomme ; le grison Willit, homme d’armes au service de ser Harys Swyft, si grièvement blessé en dégageant son maître écrasé par l’agonie de sa monture et en le défendant contre une meute d’agresseurs qu’on l’apporta sur un brancard ; enfin, un écuyer duveteux du nom de Josmyn Dombecq que ses quatorze ans tout au plus n’avaient pas empêché d’abattre deux chevaliers, d’en blesser un troisième et d’en capturer deux de plus.

Après que les hérauts eurent fini de détailler tous ces exploits, ser Kevan, qui avait pris place auprès de son frère, lord Tywin, se leva. « N’ayant plus cher désir que de rétribuer ces braves à la hauteur de leur mérite, Sa Majesté décrète ce que suit : ser Philip sera dorénavant lord Philip Pièdre, et à sa maison écherront les terres, privilèges et revenus de la maison Caron ; élevé à la dignité de chevalier d’ores et déjà, Lothor Brune se verra fieffé dès la guerre achevée d’un domaine et d’un manoir sis dans le Conflans ; en sus d’une épée, d’une armure de plates et d’un destrier de son choix dans les écuries royales, Josmyn Dombecq accédera à la chevalerie sitôt atteint l’âge requis ; quant au valeureux Willit, il recevra une pique à hampe cerclée d’argent, un haubert de mailles nouvellement forgé et un heaume à visière ; en outre, ses fils seront admis à Castral Roc auprès de la maison Lannister, l’aîné en qualité d’écuyer, le plus jeune en qualité de page, avec, sous réserve de bons et loyaux services, promesse d’être un jour adoubés chevaliers. Toutes décisions auxquelles acquiescent la Main du Roi comme les membres du Conseil restreint. »

Sur ce furent honorés les capitaines des vaisseaux de guerre royaux Prince Aemon, Flèche de rivière et Bourrasque, ainsi qu’une poignée de sous-officiers des Grâce divine, Pertuisane, Soyeuse et Bélier dont le titre de gloire le plus remarquable était, pour autant du moins qu’en pût juger Sansa, d’avoir survécu. Piètre motif à se glorifier… Le roi exprima de même sa gratitude aux maîtres de la guilde des alchimistes et lordifia Hallyne le Pyromant mais sans le doter, nota-t-elle, ni de terres ni d’un castel, ce qui rendait la lorderie de l’impétrant aussi factice que celle du castrat Varys. Autrement conséquente était celle que conféra Joffrey à ser Lancel Lannister, auquel advenaient les château, droits et propriétés de la maison Darry, éteinte en la personne d’un bambin qui avait péri au cours des affrontements, « sans laisser de descendance légitime ni d’héritier légal par le sang, n’ayant qu’un cousin bâtard ».

Ser Lancel ne se présenta pas pour recevoir son titre ; sa blessure, à ce qu’on disait, le menaçait de perdre le bras, voire même la vie. Le Lutin lui-même passait pour agoniser d’une formidable plaie au crâne.

A l’appel du héraut : « Lord Petyr Baelish ! », celui-ci progressa vers le pied du trône, tout atourné de tons roses et prune sous un manteau chamarré de moqueurs, et, non sans sourire, s’agenouilla. Exulte-t-il… ! A la connaissance de Sansa, Littlefinger ne s’était signalé durant la bataille par aucune espèce d’héroïsme mais, à l’évidence, il n’en escomptait pas moins une éclatante récompense.

Ser Kevan se leva derechef. « Sa Majesté désire que son loyal conseiller Petyr Baelish soit récompensé pour les services éminents qu’il n’a cessé de rendre à la Couronne et au royaume. Chacun sache en conséquence qu’à lord Baelish est offert, avec toutes les terres et revenus y afférents, le château d’Harrenhal pour en faire sa résidence et y exercer pleine et entière suzeraineté sur tout le Trident. Lui-même et ses fils et petits-fils étant appelés à conserver cette dignité et à en jouir pour jamais, les seigneurs riverains lui rendront hommage comme de droit. Ainsi consentent la Main du Roi et le Conseil restreint. »

Toujours à genoux, Littlefinger leva les yeux vers le roi. « Mille humbles grâces, Sire. Me voici tenu, je présume, d’œuvrer à me faire une postérité. »

Joffrey se mit à rire, et la Cour s’esclaffa. Seigneur suzerain du Trident, se dit Sansa, et sire d’Harrenhal, en plus. Elle ne voyait pas là de quoi se montrer si ravi ; toutes ces gratifications étaient aussi creuses que le titre d’Hallyne le Pyromant. Sur Harrenhal planait une malédiction, nul ne l’ignorait, et les Lannister ne le possédaient même plus. En outre, les seigneurs riverains étant les vassaux jurés de la maison Tully, de Vivesaigues et du roi du Nord, jamais ils n’accepteraient pour suzerain ce Littlefinger. A moins de s’y trouver contraints. A moins que mon frère et mon oncle et mon grand-père ne soient tous abattus et tués. Cette idée l’angoissa, mais elle s’accusa de sottise. Robb les a déconfits à chaque rencontre. Il déconfira lord Baelish de même, au besoin.