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Cependant, les chasseurs n’approchaient qu’avec circonspection. Il se pouvait par crainte d’encaisser des flèches. Jon en compta quatorze, et huit chiens. Couverts de peaux tendues sur une armature d’osier, leurs boucliers ronds étaient ornés de crânes peints. Des heaumes rudimentaires de bois et de cuir bouilli dissimulaient les traits de cinq ou six d’entre eux. Les encadraient quelques archers qui, malgré la flèche encochée sur la corde de leurs petits arcs de bois et de corne, ne tiraient pas. Les autres n’étaient apparemment armés que de piques et de maillets. L’un balançait une hache de pierre taillée. Et ce qu’ils portaient de bribes d’armure, ils le devaient à quelque razzia ou à la dépouille de patrouilleurs, car ils ne pratiquaient ni l’extraction ni la fonte des minerais, et les forges étaient encore plus rares, au nord du Mur, que les forgerons.

Qhorin tira sa longue épée. Qu’après la mutilation de sa main droite il se fût appris à ferrailler de la gauche et, contait-on, avec encore plus d’habileté que précédemment contribuait à sa légende. Epaule contre épaule avec lui, Jon dégaina Grand-Griffe. Malgré l’intensité du froid, la sueur lui piquait les yeux.

Les chasseurs firent halte à une dizaine de pas en dessous de l’entrée de la grotte, et leur chef s’avança seul. Il montait une bête qui, à en juger d’après son aisance à gravir l’éboulis pour le moins abrupt, tenait de la chèvre plus que du cheval. Un cliquetis bizarre les précédait, qui s’expliqua finalement par le fait que tous deux étaient revêtus d’os. D’os de vache et d’os de mouton, d’os de chèvre, d’aurochs, d’orignac, d’énormes os de mammouth…, ainsi que d’os humains.

« Clinquefrac, salua de son haut le grand patrouilleur, avec une politesse glaciale.

— Eul’ s’gneur des Os, pour les corbacs », corrigea l’autre. Un crâne brisé de géant lui tenait lieu de heaume, et des griffes d’ours cousues côte à côte sur ses manches de cuir bouilli lui recouvraient les bras du haut en bas et de bas en haut.

Qhorin émit un reniflement. « Le seigneur, vois pas. Vois rien qu’un cabot accoutré de pilons de poulet qui font du barouf quand il bouge. »

Le sauvageon émit un sifflement colère qui fit se cabrer son cheval, et le barouf assourdit Jon ; fixés côte à côte comme autant de pendeloques, les os s’entrechoquaient et quincaillaient au moindre mouvement. « Mon barouf, c’ ’vec tes os, Mimain, que j’ vais, t’t à l’heure ! Te ferai bouillir la bidoche jusqu’à temps que tes côtelettes m’ servent d’haubert… Me taillerai des runes, ’vec tes ratounes, et ton crâne, je m’y mangerai ma bouillie…

— Veux ma carcasse ? Viens la prendre… ! »

Ce défi-là, Clinquefrac ne se montrait guère enclin à le relever. L’exiguïté de la position qu’occupaient les frères noirs réduisait presque à rien l’avantage du nombre ; pour les extirper de leur tanière, les sauvageons se verraient contraints de monter les y affronter deux par deux. Un cavalier grimpa néanmoins le rejoindre, une de ces amazones que, dans son jargon, leur peuplade appelait piqueuses. « On est dix-quatre et vous deux, corbacs, plus huit chiens contre votre loup, lança-t-elle. Combattre ou fuir, vous êtes à nous.

— Montres-y, commanda Clinquefrac. »

Elle farfouilla dans un carnier maculé de sang et brandit un trophée. Ebben. Qui, chauve comme un œuf, pendouillait de biais, tenu par une oreille. « Mort en brave, commenta-t-elle.

— Mais mort, conclut Clinquefrac. Vous pareil. » Il exhiba sa hache de guerre et la fit tournoyer au-dessus de sa tête. Du bel et bon acier, dont les deux lames miroitaient d’un éclat funeste. Pas homme à négliger ses armes, Ebben. Venus se masser auprès de leur chef, les autres sauvageons se répandirent en quolibets. Quelques-uns prirent Jon pour cible. « ’l est à toi, c’ loup, mon gars ? cria un adolescent maigrichon qui agitait un fléau de pierre. M’en f’rai un manteau d’ici c’ soir. » A l’autre bout du groupe, une piqueuse écarta ses fourrures en loques sur une lourde mamelle blême. « Y veut pas sa m’man, bébé ? Viens m’ sucer ça, petiot ! » Les molosses clabaudaient aussi.

« Cherchent à nous humilier pour qu’on fasse une connerie. » Le regard de Qhorin s’appesantit sur Jon. « Oublie pas tes ordres.

— ’paremment qu’y faut l’ver les corbacs ! aboya Clinquefrac par-dessus les vociférations. Fichez-y des plumes !

— Non ! » éructa Jon avant que les archers n’aient le temps de tirer. Deux pas le jetèrent vers l’adversaire. « Nous nous rendons !

— On m’avait bien prévenu que c’était couard, le sang de bâtard, entendit-il Qhorin Mimain déclarer froidement dans son dos. Le fait est, je vois. Va t’aplatir devant tes nouveaux maîtres, pleutre. »

Rouge de honte, il descendit jusqu’à l’endroit où se tenait, toujours en selle, Clinquefrac. Qui, du fond des orbites de son heaume, le dévisagea avant de lâcher : « Le peuple libre n’a que faire de pleutres.

— Ce n’est pas un pleutre. » Retirant son couvre-chef tapissé de peau de mouton, l’un des archers secoua sa tignasse rouge. « C’est le bâtard de Winterfell. Il m’a épargnée. Qu’il vive. »

Jon croisa le regard d’Ygrid et demeura muet.

« Qu’il meure, riposta le seigneur des Os. Le corbac est un fourbe noir. Pas confiance en lui. »

Sur son perchoir rocheux, l’aigle battit des ailes en claironnant sa rage.

« Y te hait, Jon Snow, expliqua Ygrid. Et pas pour rien. ’l était homme, avant que tu le tues.

— Je l’ignorais, avoua Jon, non sans candeur, tout en essayant de se rappeler les traits de sa victime, au col. Tu m’as dit que Mance me prendrait.

— Et y le fera, maintint-elle.

— Mance est pas là, coupa Clinquefrac. Etripe-le-moi, Ragwyle. »

Les yeux plissés, la piqueuse objecta : « Si le corbac veut rejoindre le peuple libre, il a qu’à montrer sa vaillance et nous prouver sa bonne foi.

— Demandez-moi n’importe quoi, et je le ferai. » C’était dur à sortir, mais il parvint à se l’arracher.

A l’éclat de rire qui le secoua, l’armure de Clinquefrac répondit par un fracas d’os. « Alors, tue le Mimain, bâtard.

— Comme s’il en était capable ! ricana Qhorin. Demi-tour, et crève, Snow. »

Déjà s’abattait son épée, mais il se trouva que Grand-Griffe bondit, bloqua. L’impact fut néanmoins si violent que Jon manqua lâcher la lame bâtarde et dut reculer, titubant. Quoi qu’ils exigent, tu ne devras pas barguigner. Assurant sa prise à deux mains, il fut assez prompt pour contre-attaquer, mais le patrouilleur balaya sa botte d’un simple revers dédaigneux. Et ils poursuivirent de la sorte, avançant, reculant tour à tour, environnés de leurs manteaux noirs, la prestesse du cadet compensant l’effroyable vigueur et les estocades gauchères du grand aîné. Semblant surgir de partout à la fois, le fer de Mimain grêlait à droite, à gauche et menait Jon, tel un fantoche, où il voulait, menaçant sans trêve de le déséquilibrer, l’éreintant si bien qu’il sentait déjà s’engourdir ses bras.

Et, lors même que les mâchoires de Fantôme se furent refermées sur l’un de ses mollets, Qhorin se débrouilla pour ne pas perdre pied, mais la seconde qu’il consacra à se démener fournit l’ouverture, Jon pointa, pivota, le patrouilleur s’était rejeté en arrière, et il sembla un instant que le coup ne l’avait pas touché, mais, soudain, tout un collier de larmes rouges, aussi rutilantes que des rubis, lui cercla la gorge, le sang gicla à gros glouglous, et Qhorin Mimain s’effondra.