Выбрать главу

Il reprit son souffle comme un apnéiste au bord de la syncope.

— Pour moi, risqua-t-il, t’es la fille de toutes les nuits.

Elle rit encore, retrouvant sa voix de gorge, celle des chansons italiennes :

— N’en fais pas trop tout de même.

— Je voulais juste te dire…

— Plus tard. Maintenant, ouste : va attraper tes assassins.

Il obtempéra. Chambre. Pantalon. Veste. Elle se tenait derrière lui, les bras croisés. Il se sentit obligé de se justifier :

— Je vais prendre une douche chez moi. Faut que je me… reconstitue.

Elle lui posa la main sur le sexe :

— N’oublie rien au moment de l’assemblage.

Charme exquis de l’aristocratie : elle pouvait prononcer n’importe quelle obscénité, faire n’importe quel geste, ses actes étaient toujours élégants, raffinés. Ils infusaient dans la réalité aussi naturellement que des feuilles de thé dans de l’eau bouillante.

— Et Loïc ?

La question lui avait échappé alors qu’il fourrait son portable dans sa poche et fixait son holster. Il ne l’avait pas encore rappelé.

— Loïc, c’est mon affaire.

— C’est aussi mon frère.

— Je crois qu’on sera d’accord toi et moi pour ne rien dire pour l’instant.

Il acquiesça en enfilant sa veste.

— Je risque plus gros que toi sur ce coup-là, ajouta-t-elle. S’il apprenait ce qui s’est passé cette nuit, il serait beaucoup plus fort face aux juges.

— Adultère contre garde à vue, la balle au centre.

— Exactement.

Il sortit de la chambre et remonta le couloir. Elle le suivait d’un pas silencieux, à la manière d’un félin parfaitement intégré à son biotope.

— Je voulais te parler d’un truc, dit-elle dans le vestibule. La soirée ne m’en a pas laissé le temps.

— Quoi ?

— Mon avocate fait actuellement l’estimation de notre patrimoine, pour le divorce.

— Vous êtes en séparation de biens, non ?

— Non. Au début de notre mariage, c’était…

— Le grand amour ?

— Oui… On voulait fusionner tout ce qu’on avait. Et surtout faire chier nos pères.

Il sentit une morsure au fond du ventre. Il avait toujours été jaloux de son frère mais aujourd’hui, il lui semblait qu’il en avait le droit. La douleur lui parut simplement plus aiguë, et aussi plus juste.

— Elle s’est procuré des documents pour évaluer la fortune de Loïc. Elle est tombée sur un truc bizarre : ton père a déjà préparé son héritage.

— Ça n’a rien d’étonnant.

— Il prévoit de léguer à Loïc toutes ses parts de Coltano. Avec ta sœur, vous vous partagerez le reste des biens.

— Comment tu peux savoir ça ?

— Je te dis que mon avocate est une fouille-merde. J’ai pas les détails.

— Je suppose qu’il a fait une donation stricte qui t’exclut du testament.

— Justement, non. Les documents stipulent que tout me reviendra aussi à moi, selon la règle de la communauté réduite aux acquêts.

— T’as vu ces papiers ?

— Pas encore. C’est étrange, non ?

Il posa la main sur la poignée de la porte blindée :

— Je vais me renseigner. Je te rappelle.

Une touche humoristique aurait été la bienvenue pour briser la gravité de ces adieux mais il n’était pas inspiré. Sofia opta pour la version sans parole — le baiser, beaucoup mieux.

89

Morvan était rentré à l’aube avec une seule idée : repartir.

La gravité de la situation exigeait une réunion en haut lieu, à Florence. À huit heures du matin, épuisé, courbaturé, il était arrivé dans son repaire et avait aussitôt préparé de nouvelles affaires. Douché, rasé, il buvait un café en essayant de remettre de l’ordre dans ses projets.

Son plan à propos des nouvelles mines, à peine ébauché, était déjà éventé. Il ne comprenait toujours pas d’où venait la fuite. Pas un seul salarié sur le terrain n’était au courant. Aucun investissement n’avait pu le trahir. Son blitzkrieg minier se déroulait à des centaines de kilomètres de Lubumbashi, dans une zone non sécurisée. Un enrichissement éclair avant de céder la place à sa propre compagnie et d’entrer dans une phase conventionnelle d’extraction. Il pouvait le faire.

En Afrique, on peut tout.

Mais maintenant, il devait compter avec Kabongo, et finalement, ce n’était pas si grave. La complicité de l’Africain rendrait l’opération sur le terrain plus sûre. Ils siphonneraient, d’un commun accord, la part du gouvernement et se partageraient le butin. Ce qui le mettait en rage, c’était pourquoi le projet de départ avait capoté.

Loïc soupçonnait les géologues et il avait tort. Clau était mort et rien ne prouvait que sa disparition soit suspecte. Quant aux deux autres, il avait réussi à les contacter de Kinshasa, la veille au soir — rien à signaler. L’information avait filtré d’ailleurs.

Il fallait que le trader, Serano, livre le nom de ses commanditaires. Ensuite, on irait les interroger pour obtenir leur source. Quand Morvan aurait le nom de la taupe, il saurait comment agir.

Son téléphone vibra : Erwan, enfin.

— Je t’ai appelé je ne sais combien de fois !

— Excuse-moi. L’enquête me prend cent pour cent de mon temps et…

— Je t’appelais pas pour ça. Il faut que tu aides ton frère.

— Quoi ?

— Ce matin, il va aller interroger un opérateur de marché. Je veux que tu l’accompagnes.

— Tu crois que j’ai que ça à faire ?

— C’est très important. Y a eu des fuites au sein de Coltano et seul ce gars peut…

— J’en ai rien à foutre. J’ai déjà perdu une nuit à retrouver ma sœur, c’est pas pour griller une nouvelle matinée avec…

— Ça te prendra une heure. Loïc posera les questions. Ta présence suffira pour intimider le mec.

Erwan eut un rire forcé :

— Le méchant qui ne dit rien ?

— Si tu le fais pas, ça pourrait mal tourner pour Loïc.

— Il est impliqué dans les fuites ?

— Non, mais nos amis africains le soupçonnent. Aide-le. Tu lui dois bien ça.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Même à l’autre bout du fil, Morvan perçut le changement de timbre : son fils n’avait pas la conscience tranquille. Il se promit d’en trouver la raison.

— Tu es l’aîné, répondit-il posément. Le maillon fort de la famille. Que tu le veuilles ou non, tu es responsable de ton frère.

— Je l’appellerai ce matin, capitula Erwan.

— L’enquête, où t’en es ?

— On a un nouveau meurtre.

— Quoi ? J’ai reçu aucun télex !

— On a pas encore rédigé la dépêche.

— C’est vous qui l’avez découvert ?

— Grâce aux échantillons organiques dans le corps d’Anne Simoni.

— Qui c’est ?

— Un dénommé Ludovic Pernaud.

Morvan encaissa le coup. Son homme à tout faire. Celui qui avait liquidé Jean-Philippe Marot. Voilà pourquoi il ne donnait plus de nouvelles.

— Tu le connais ? reprit Erwan.

— Le nom me dit quelque chose.

— Arrête tes conneries, papa. Le type était une barbouze.

— Faut que je vérifie.

— Tu contrôles depuis quarante ans toutes les opérations souterraines de l’État. Ce type travaillait pour toi, oui ou non ?

À quoi bon mentir ? Autant que chacun gagne du temps.

— Oui.

— Que faisait-il ?

— Des basses besognes.

— Tu témoignerais à ce sujet ?