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— Non.

— Tu connais son emploi du temps de ces jours derniers ?

— Non.

— À quand remonte votre dernier contact ?

— J’ai des carnets pour ça. Je te dirai.

— Essaie pas de m’enfumer, papa. Je t’ai évité la convoc au 36 pour Anne. Cette fois, tu risques d’y avoir droit.

— Je ne pourrai rien dire. Secret d’État.

Erwan ricana :

— T’as pas l’air de comprendre la nature de ton problème. Sur le premier site, le tueur a laissé ta bague. La deuxième victime était ta protégée. Maintenant, c’est un de tes cerbères qui est dégommé. Ta théorie de la vengeance est devenue une réalité. Alors, joue franc jeu avec moi.

— T’as une bien grande gueule ce matin. Occupe-toi de ton frère et rappelle-moi.

Il raccrocha violemment et demeura quelques secondes immobile. Son fils avait raison. Pernaud, après Anne et la bague. Au Mayombé, les minkondi sont des fétiches vengeurs. On les utilise pour contrer un sorcier ou se venger de lui. À l’évidence, c’était lui, Grégoire Morvan, que l’assassin prenait pour un démon à combattre.

Il boucla sa valise. Cette nouvelle catastrophe le confortait dans son départ pour Florence. S’il devait y rester, autant régler les seules affaires qui comptaient pour lui : celles de ses enfants.

En descendant l’escalier de service, il eut une pensée pour Pernaud. Sa mort avait dû être atroce mais à la différence d’Anne, lui était formaté pour une telle fin. Morvan ne l’avait jamais apprécié mais le facho n’avait pas froid aux yeux. Solitaire, criminel, à moitié fou : un guerrier utile.

Qu’on établisse qu’il travaillait pour lui ne serait pas dramatique — l’État le couvrirait. Mais Erwan pouvait remonter jusqu’à la disparition de Jean-Philippe Marot. Or personne n’avait ordonné ce « suicide ». Affaires personnelles…

Sur le trottoir, il héla un taxi et s’engouffra à l’intérieur.

— Roissy. Terminal 2G.

90

Erwan arriva au 36 à 9 heures pétantes. Il s’était décapé au gant de crin pour finalement sortir de sa salle de bains rouge comme un homard. Il s’était rasé, parfumé, avait revêtu un nouveau costume — il ne savait pas quand il rentrerait de nouveau chez lui. Il était passé à la boulangerie et avait englouti trois croissants en roulant vers le bureau. Malgré le coup de fil de son père qui l’avait mis en rogne, il se sentait encore d’humeur conquérante — depuis combien de temps n’avait-il pas fait l’amour avant d’aller au boulot ?

Dans la salle de réunion, ses champions l’attendaient. Tonfa était encore à l’IML mais le groupe s’était enrichi d’un nouveau membre : Levantin, le coordinateur de la police scientifique, qui affichait un air réjoui. C’était un grand gaillard aux cheveux d’Apache, regard clair sous des sourcils ombrageux, avec une démarche de fier paysan de retour des champs. Tout le monde l’appréciait, sauf la Sardine, qui le jalousait. Ce que Favini obtenait des femmes à force de blagues, d’invitations, de cadeaux, Levantin le gagnait en un sourire.

Il lança sur la table un sac à scellés qui produisit un bruit métallique.

— Les clous d’Anne Simoni ont fini par parler, fit-il en enfilant des gants de latex.

Avec précaution, il ouvrit le sac, saisit une des pointes et l’exhiba à la lumière. D’un signe de tête, Erwan fit signe à Audrey de lui envoyer des gants.

— La composition du métal est spécifique à l’Afrique centrale mais il y a plus. On voit ici que la tête porte un poinçon. Ces clous étaient utilisés il y a plus de cinquante ans par une société aujourd’hui disparue : la CBAO, Compagnie belge d’Afrique occidentale, implantée principalement au Zaïre. Ce sont des sortes… d’objets de collection.

— Comment sont-ils arrivés en France ?

— L’analyse a mis en évidence du sel et d’autres micro-organismes marins sur la rouille. A priori, ils ont voyagé par cargo.

Erwan en attrapa un : tordu, usé, corrodé.

— Selon toi, ils viennent de RDC et le tueur les a récupérés d’une façon ou d’une autre dans un port français ?

— C’est l’explication la plus probable. À moins qu’il les ait lui-même rapportés d’Afrique.

Instinctivement, il excluait la piste d’un tueur congolais.

— Où arrivent ce genre de marchandises ?

— À Marseille. Je me suis permis de passer quelques coups de fil.

Levantin avait trop regardé Les Experts. Ce n’était absolument pas dans ses attributions de mener ainsi l’enquête. Le Beau Brun ne leur laissa pas le temps de râler :

— Selon les services du port de Fos, des caisses de vieille ferraille importées de RDC sont de temps en temps acheminées par un groupe international d’origine luxembourgeoise, Heemecht. (Il consultait ses notes sur un cahier.) Plusieurs conteneurs partis de Matadi, le port du Bas-Congo, arrivent justement cet après-midi dans les bassins ouest de Fos.

— Ils contiennent des clous ?

— Aucune idée. Mais ça vaudrait le coup de vérifier. Soit notre prédateur se fournit à la source, au moment du déchargement, soit il passe par un revendeur européen. Visiblement, y a un marché pour ces métaux.

— T’as des noms ?

— Je pense que vous pouvez finir le boulot, répondit-il en leur faisant un clin d’œil.

— On s’y colle. T’as bien bossé. Et les tessons, les miroirs ?

— Rien. Ils pourraient provenir de n’importe où.

— Les fibres ?

— Du raphia. On étudie son origine.

— Des traces de salive ?

— Pour l’instant, non.

— Et en ce qui concerne le sang ?

Les membres de l’équipe tiquèrent : c’était quoi cette histoire du sang ? Erwan n’avait jamais évoqué devant eux un problème à ce sujet.

— On a effectué une quarantaine de prélèvements, un peu partout sur le corps. À cette heure, c’est toujours le groupe d’Anne Simoni qui est tombé.

— Continue. Tu me refais la totale sur le corps de Pernaud ?

— C’est en route.

Erwan songea à l’arrivage prévu au port de Fos. On pouvait imaginer que le tueur, par souci de mimétisme avec son modèle, ou pour une autre raison superstitieuse, tienne à utiliser des clous africains, mais de là à penser que les chargements d’aujourd’hui en contiennent et que le tueur vienne précisément se fournir ce soir…

Pourtant, même infime, l’opportunité d’un flag ne pouvait être négligée.

— Kripo, tu me prends un billet pour Marseille ?

— C’est toi qui y vas ?

— Je pars cet après-midi. Je rentrerai cette nuit ou demain matin.

Coups d’œil au sein de la troupe : depuis le début de l’enquête, Erwan n’avait pratiquement pas mis les pieds au 36.

— Et rue de la Voûte ? demanda-t-il à Levantin.

— Aucune empreinte à part celles de Pernaud. Pas d’échantillons organiques. L’assassin a pris ses précautions.

— L’analyse des cheveux retrouvés à l’intérieur du corps ?

— C’est une femme, une Caucasienne, blonde, mais elle n’est pas fichée au FNAEG. Les généticiens continuent leur analyse. L’ADN pourrait nous révéler quelque chose de spécifique : maladie, particularité chromosomique… Mais c’est peu probable.

Erwan se tourna vers Audrey :

— Le porte-à-porte, on en est où ?

— Personne a vu ni entendu quoi que ce soit. La plupart des voisins de Pernaud n’ont même pas reconnu son portrait. C’était l’homme le plus discret de la Terre.

— Vous aviez une photo ?

— Une reconstitution numérique d’après son cadavre.