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Il découvrit un gouffre : d’immenses cales déjà vides, d’une profondeur de six ou sept étages. Aucune trace du fugitif. Il emprunta une échelle de métal, lançant des coups d’œil par-dessus son épaule et apercevant, à l’autre extrémité du navire, les EVP qui s’envolaient toujours à une cadence infernale.

Nouvelle coursive. Succession de palettes. Il se cramponnait à la rampe quand il le repéra, plusieurs étages plus bas, traversant en diagonale une cale vide. Erwan trouva une autre échelle, s’accrocha aux barreaux et les descendit l’un après l’autre — pas moyen d’être plus rapide.

Une fois en bas, personne. À droite, une porte battait. Il se précipita. À l’intérieur, une nouvelle cale, bourrée de caisses qui n’attendaient que l’ouverture du plafond pour décoller et rejoindre la terre.

Claquement : on venait d’ouvrir puis de fermer une autre porte. Si le nord était devant lui, alors le bruit provenait du nord-ouest. Il emprunta une autre allée, à gauche, puis une autre encore, à droite. Elles étaient aussi étroites que les passerelles du pont, encadrées de boîtes solidement arrimées par des cadres de fer, eux-mêmes fixés par des boucles de métal.

Il trouva la porte, l’ouvrit et découvrit une énième passerelle qui surplombait une soute à demi remplie. Il joua encore une fois à l’équilibriste le long de la paroi, jusqu’à atteindre un sas. Descendre encore. Cette fois, il se retrouva dans une cellule rivetée et close baignée de lumière rouge. Des extincteurs. Une hache de secours. Des alarmes.

Sensation intime : il était là, seul avec son ennemi, dans des sous-sols qui puaient le fer, la graisse et la mer — selon les options, il allait y rester, découvrir un clandestin sous-alimenté, ou le tueur.

Sous ses pieds, une trappe. Il la déverrouilla avec un sinistre pressentiment. Se glissant dans une nouvelle écoutille, il songea, sans raison, à di Greco, à son crâne fracassé, au mot qu’il avait laissé : « Lontano »… Il atterrit dans une flaque de suie noire. Le couloir n’offrait qu’une possibilité : droit devant. Avancer dans ces cales gigantesques, c’était comme cracher dans le désert. Vain et dérisoire.

Le rôdeur connaissait le navire. Il l’emmenait sur son terrain — dans un piège qui allait se refermer sur lui. Plus un bruit de pas. Erwan se trouvait au cinquième ou sixième sous-sol, sans le moindre repère.

Nouvelle porte. Nouvelle salle immense et vide, éclairée par des veilleuses rouges. Un coffre-fort aux dimensions d’une piscine olympique. Il s’immobilisa et retint sa respiration, tendant l’oreille. En réalité, il ne pouvait plus bouger. Le moindre pas en avant et il était à découvert.

L’autre n’était pas loin, il le sentait. Les angles de l’espace baignaient dans l’ombre. Calibre en main, il avança sur la gauche en rasant le mur. Cet endroit n’était pas une cale : impossible de la décharger avant les autres, celles des étages supérieurs. Pourquoi était-elle vide ? L’idée que l’Apnea Gaillard n’était pas rempli à cent pour cent ne tenait pas debout. Quoi d’autre ?

Il n’avait pas fait cinquante mètres qu’il entendit claquer la porte qu’il avait franchie quelques secondes auparavant. Il se précipita pour découvrir le volant tournant à toute vitesse. Le système se bloqua dans un « klong » lugubre.

Il faillit éclater de rire : vingt ans de police pour se faire niquer comme un bleu. Il rengaina, attrapa le volant et essaya de l’actionner, en vain. Il observa les gonds, le châssis. Parfaitement étanches. Il se mit à courir le long de la paroi, espérant dénicher une autre issue.

Soudain, un bruit de cataracte explosa. Il leva les yeux et resta stupéfait. Dix mètres plus haut, des vannes lâchaient des colonnes d’eau dignes des chutes d’Iguaçu. Il était dans un ballast. Un de ces réservoirs qu’on remplit pour rééquilibrer l’assiette du navire ou le maintenir au niveau du quai à mesure qu’on décharge.

Refusant de paniquer, Erwan s’accrocha à son idée de départ : une porte qu’il pourrait encore ouvrir. Il reprit sa marche, en pataugeant. Les déversoirs, qui s’ouvraient l’un après l’autre, libéraient des milliers de mètres cubes dans un fracas assourdissant.

Mais ce n’était pas que de l’eau. Plutôt un magma puissant et sombre, tendance mazout, ou encore, au sortir des bouches, une masse jaunâtre rappelant les mousses vomies par quelque usine chimique.

Une autre porte, comme soudée au chalumeau. Erwan se retourna. Les trombes déferlaient sur lui. De l’eau déjà jusqu’à la taille. Froide ? Il ne savait pas tant son corps brûlait encore de la poursuite. Il se cramponnait au volant pour résister au courant qui l’entraînait. Un monstrueux lavabo dont on aurait ouvert la bonde. En fait, c’était le contraire : le niveau ne cessait de monter. La ligne sombre lui coupait maintenant la poitrine. Les blocs liquides s’abattaient comme des éboulis, provoquant des craquements sourds d’avalanche.

À bout de forces, il finit par lâcher prise et fut aussitôt emporté vers le centre du réservoir — l’œil de la tourmente. Goût de sel sur les lèvres, goût de mort dans la gorge. Il se mit maladroitement sur le dos — il n’avait jamais su faire la planche — et renonça à toute pensée, fixant seulement le plafond qui se rapprochait. Étrange sensation : il dansait une valse funèbre, tournant sur lui-même, s’élevant vers sa propre fin.

Tout à coup, il se dit qu’il y avait forcément ici un moyen de déclencher une alarme. Il chercha des caméras de surveillance. Aucune en vue. Des capteurs d’incendie ? Aucune utilité dans ces bassins. Les vagues le catapultaient maintenant contre le plafond alors qu’il s’efforçait de rester à la surface. Il ferma les yeux, vaincu. Il retournait aux eaux primordiales, il…

Les jauges. Le bassin en possédait forcément, non seulement pour surveiller le niveau de l’eau mais aussi pour en analyser la composition. Il avait lu ça quelque part : les vidanges des ballasts posent un problème de pollution. En relâchant en pleine mer des milliers de mètres cubes d’eaux souillées des ports, les grands navires perturbent les écosystèmes océaniques. La loi les oblige à analyser cette masse avant de la libérer.

Erwan plongea dans les remous. Les lampes rouges étaient toujours allumées, fantomatiques dans l’ombre liquide. S’il avait de la chance, les capteurs seraient installés près de ces veilleuses. En nageant plus bas, il échappa au vortex et atteignit une première lampe. À tâtons, il chercha une sonde ou un engin de ce type.

Il trouva — il ne savait pas à quoi servait ce truc mais des curseurs à quartz et des câbles laissaient supposer une connexion avec le monde extérieur. Il avait toujours son arme à la main. Il poussa sur ses jambes pour prendre un peu de recul, fit monter une balle dans la chambre et tira.

Il nagea encore, résistant à l’envie réflexe d’ouvrir la bouche. Ses poumons étaient saturés de gaz carbonique. À une trentaine de mètres, une autre lanterne brillait dans la tourbe. Encore une fois, il s’éloigna du mur et fit feu. Il espérait déclencher une alarme quelque part. Ou un système automatique qui ferait refluer les flots.

Il nagea de nouveau vers la droite. Le temps ne passait pas, il l’étouffait. Une barre noire lui descendait devant les yeux. Il savait qu’il ne pouvait plus remonter à la surface — il n’y avait plus de surface. Il savait qu’il ne devait pas respirer. Il savait…

Il voulut appuyer sur la détente mais il ouvrit la bouche.

97

Quand Erwan reprit conscience, il crut qu’il était en enfer.