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— Que penses-tu de mon projet d’association ?

— D’association ?

— Il faut les mettre à genoux. On doit trouver un moyen de…

— Laisse tomber. J’en suis plus là.

— Comment ça ? Pourquoi ?

— Peut-être mon plongeon de trois étages. Ou la tentative de meurtre. J’hésite, fit-elle rêveusement.

Sofia lui prit la main.

— Je te comprends, fit-elle d’un ton réprobateur qui disait le contraire. Mais on doit pas se laisser faire. Ces enfoirés nous manipulent depuis notre naissance et…

— Qu’est-ce que tu veux ? Les ruiner ? T’en as pas les moyens et tu te ruineras toi-même. Les dénoncer ? Qu’est-ce que tu peux prouver au juste ? Qu’ils ont arrangé ton mariage ? Ce n’est même pas un délit aux yeux de la loi française.

La comtesse se recula sur sa chaise, l’air déçu :

— Je te reconnais pas.

— Moi non plus, et ça me déplaît pas.

Sofia se leva sans prendre la peine de défroisser sa jupe. Un modèle Chloé que Gaëlle avait repéré avenue Montaigne. Pour la Ritale, s’était-elle dit, pas pour moi.

Sofia allait sortir quand elle se ravisa et revint sur ses pas. Son visage avait changé d’expression : toute colère ou déception s’était envolée.

— J’avais autre chose à te dire…

Enfin… Gaëlle sentait depuis le départ qu’elle n’était pas venue seulement pour prendre de ses nouvelles ni pour échafauder une conspiration contre leurs pères.

— J’ai couché avec ton frère.

— Vous êtes encore mariés, non ?

— Pas avec Loïc, avec Erwan.

Gaëlle éclata franchement de rire. Elle n’était pas étonnée : l’Italienne et le Facho s’étaient toujours plu — et sans doute reconnus — sans le savoir.

— Méfie-toi, plaisanta-t-elle, il cache bien son jeu mais il est encore plus cinglé que Loïc.

117

— C’est la seule solution.

— Sûr ?

— On ne peut pas les convaincre autrement.

— Alors, fonce.

Sept heures du matin. Morvan faisait les cent pas dans le bureau en demi-lune de Loïc. Dès qu’il avait appris l’agression de Gaëlle, il avait filé à Sainte-Anne. Il n’avait vu personne : la petite s’était rendormie, Erwan était parti. Depuis, il n’avait aucune nouvelle : ni de l’une ni de l’autre.

Dans un chaos de pensées contradictoires, il avait été réveiller Loïc pour régler au moins le bordel de Coltano. Il avait renoncé à son premier plan : renvoyer Gaëlle dans les draps des trois banquiers et les persuader que l’information avait fait long feu. Plus question de l’impliquer, elle avait son compte.

Il devait donc s’en remettre aux spécialistes. Selon Loïc, l’unique moyen de parvenir à leurs fins était de faire baisser le prix de l’action. Dans un premier temps, les trois acheteurs penseraient à une fluctuation avant la grande hausse puis se convaincraient que leur tuyau était bidon : il n’y avait pas de nouveaux gisements. Alors ils se dépêcheraient de vendre. L’inconvénient de cette stratégie était que Morvan devait fourguer ses actions au rabais pour provoquer artificiellement la chute. En d’autres termes, se ruiner lui-même pour sauver sa peau.

— Comment les Blacks seront-ils au courant ? s’inquiéta Grégoire.

— Comme d’habitude : par leurs conseillers financiers.

— Ils vont paniquer.

— On rachètera nos propres actions plus tard, et plus cher. Le cours se stabilisera.

Morvan sourit : un seppuku financier.

— Kabongo va m’arracher les couilles.

— Préviens-le, mets-le dans la combine. Quand les autres ne se méfieront plus, vous exploiterez pour de bon les nouvelles mines.

Le Vieux acquiesça : il préféra ne pas avouer que le processus était déjà lancé. Il marchait toujours, mains dans les poches. D’instinct, il se méfiait de ce genre de projections. Depuis qu’il avait démarré le business, il n’avait jamais vu une prévision se réaliser, dans aucun domaine. La vie a toujours plus d’imagination que l’homme.

En réalité, l’important était ailleurs : ils prétendaient discuter comme de solides hommes d’affaires mais ils étaient toujours en état de choc. En moins de vingt-quatre heures, Gaëlle avait voulu se suicider et avait échappé à une tentative de meurtre. Un tueur était dans la nature et il s’attaquait désormais directement au clan. Leurs calculs d’épicier ne pesaient pas lourd.

— Et les Luxembourgeois ? demanda Loïc. Ils vont suivre ?

— J’en fais mon affaire.

Il avait déjà appelé Montefiori : il marchait, aucun problème. Au passage, il l’avait interrogé sur les fameux clous convoyés par Heemecht. Pas au courant, avait prétendu l’Italien. Pourquoi pas ? Après tout, sa compagnie gérait des milliers de conteneurs par an. Mais un flic ne devait jamais exclure le hasard, c’était une difficulté supplémentaire.

— Qui sont ces types ? insista Loïc.

— C’est mes oignons, je te dis.

Loïc eut un geste vague de résignation. Morvan l’observait du coin de l’œil : son fils lui paraissait plus frais que d’habitude. Après la tentative de suicide de sa sœur, il avait sombré dans une apathie étrange. Le Vieux avait même redouté une nouvelle rechute — héroïne ou alcool. Mais la coke semblait avoir suffi à le remettre sur pied. À moins que Sofia lui ait déjà parlé et que la colère à propos de leur mariage arrangé ne demande qu’à exploser…

Dans tous les cas, on règle le problème Coltano et je m’occupe de toi, mon canard. Il avait déjà décidé d’expédier encore une fois Loïc dans une clinique spécialisée pour un sevrage en règle.

En parlant de clinique, il avait aussi réservé une place pour Gaëlle dans un institut à Chatou, les Feuillantines, qui prenait en charge de riches patients en dépression. Il connaissait l’endroit : il y avait lui-même fait plusieurs séjours. Pour la protéger, il y placerait ses propres hommes. Pas des flics ni des fonctionnaires : des gars à lui qui avaient plutôt l’habitude de gérer des coups d’État et des attentats terroristes.

Restait Erwan. Il n’avait pas encore eu l’occasion de l’engueuler mais il ne perdait rien pour attendre : le tueur ne cessait de se rapprocher de leur famille et il paraissait impuissant à l’arrêter ou à l’identifier.

— Donc je peux compter sur toi ? reprit-il en se plantant devant le bureau.

— Attention, fit Loïc en levant les mains, c’est pas du cent pour cent gagnant ! On va y laisser des plumes et j’arriverai peut-être pas à récupérer toutes nos actions. En plus, il faudra y aller mollo pour les rachats, afin de ne pas trop faire remonter le cours. Si mes prévisions sont justes, au moment de notre rapport annuel, l’action aura retrouvé son cours normal. Pas vu, pas pris…

Morvan se pencha au-dessus de la table :

— Le seul vrai risque, c’est que les Blacks découvrent les nouveaux gisements. Détourne leur attention, qu’ils croient à des magouilles boursières et oublient le terrain. Et surtout, qu’ils ne pensent pas qu’on a voulu les entuber. Si on perd notre chemise dans l’affaire, c’est pas grave : on se rattrapera sur le brut.

Tout en parlant, il précisait sa propre pensée. En réalité, il naviguait à vue, entre les conseils de son trouillard de fils, les menaces du clan Kabila et les agressions du Tueur aux clous.

Loïc planta son regard dans les pupilles de son père. Il avait les yeux si bleus qu’il était impossible de les contempler trop longtemps, comme le ciel, sous peine d’être pris de vertige. Morvan décida : Sofia ne lui avait pas encore parlé.