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— On en a déjà parlé. Nos… rapports actuels n’effacent rien.

— Il m’a dit que votre liaison avait été marquée par la violence…

— Pas la nôtre : celle de l’Homme-Clou. Les victimes se multipliaient. Ça le rendait… malade.

Morvan lui avait servi les mêmes bobards : « témoignages concertés », en langage PJ.

— À part son enquête, il trempait dans des magouilles ?

— Ton père cherchait le tueur et s’occupait de faire régner l’ordre à Lontano. Il ne s’est jamais mêlé d’autre chose.

— Jusqu’à ce qu’il hérite des mines de manganèse.

— C’était bien après, quand l’affaire était réglée.

— Sur ses investigations, qu’est-ce que tu savais ?

— Rien. Il n’en parlait jamais. Il se méfiait de tout le monde.

— Même de toi ?

— Surtout de moi. Il était convaincu que les Blancs protégeaient le tueur parce qu’il était un des leurs, un colonialiste exploiteur. C’était absurde mais à l’époque, il avait de vraies convictions de gauche. Il voulait libérer l’Afrique.

— Au cours de l’enquête, il n’a rien commis d’illégal ?

— En Afrique, rien n’est illégal et il avait tous les droits. Une seule chose comptait : trouver l’assassin.

Erwan essaya de la provoquer :

— L’homme qui t’a appelée, la victime de mon meurtrier, était lui aussi un tueur.

Aucune réaction. Il se dit avec ironie que Maggie avait un point commun avec Ludovic Pernaud : la passion pour le film fraîcheur.

— Il a sans doute rempli un contrat quelques jours avant sa mort, continua-t-il. Je pense qu’il a agi sur ordre de papa.

Elle n’eut pas l’air étonnée. Elle n’avait pas besoin de ce genre de soupçons pour savoir que son mari était un assassin. Elle-même n’était qu’une survivante.

— Le contrat visait un type qui préparait un livre sur la Françafrique, insista-t-il.

— Et ton père aurait ordonné son… élimination, simplement pour ça ?

— Il pouvait découvrir un secret sur lui.

— Tu es devenu fou.

Elle avait dit cela avec un vrai accent de sincérité mais tout était simulé. Elle était au courant des activités occultes de son mari. Aujourd’hui, Erwan pensait même qu’elle n’y était peut-être pas étrangère.

11 h 30. Il devait y aller. Il se leva et se dirigea vers l’entrée.

— Je comprends pas pourquoi tu me poses ces questions, reprit-elle en le suivant.

Il se retourna brutalement :

— Depuis dix jours, un homme se prend pour l’Homme-Clou. On en est à trois victimes, cinq si on compte celles de Sainte-Anne. La plupart ont un lien avec papa. Le tueur venge Thierry Pharabot, tu piges ? (Il lui saisit les bras.) T’es sûre que t’as rien à me dire ? Quelque chose qui me permettrait de l’identifier, d’éviter d’autres meurtres ?

— Non, je te jure…

Elle se tut tout à coup, les yeux fixes, la nuque tendue. En une seconde, elle eut son masque de victime consentante, prête à encaisser. Il la lâcha avec répugnance : il venait d’agir comme son propre père.

En descendant l’escalier, il rappela Audrey et lui ordonna de trouver, coûte que coûte, quelque chose qui confonde son père dans l’affaire Marot.

— En plus du reste ? demanda-t-elle, faisant référence à l’enquête en cours sur l’Homme-Clou.

— En plus du reste. Putain de dieu, fais-le tomber !

Franchissant le seuil de l’immeuble, il se repassa l’interview de sa mère et se dit qu’il fallait absolument qu’il se procure le dossier du procès de Pharabot. Le seul moyen d’en savoir plus sur l’affaire.

Une minute plus tard, il était dans la voiture.

— Ça s’est bien passé ? lui demanda Kripo.

— Fonce. J’en ai plein le cul de perdre mon temps.

121

Dans sa course contre la montre, il n’était pas sûr d’avoir fait le bon choix.

Avec l’attente à l’aéroport, les consignes de sécurité, le vol lui-même, il avait encore grillé deux heures. Pour couronner le tout, il s’était endormi dans l’avion. Un sommeil d’épileptique. Terreurs, convulsions, réveils en sursaut, puis de nouveau inconscience jusqu’à la crise suivante. Il n’avait pas lu une ligne.

Le contact avec le tarmac le réveilla pour de bon. Il pleuvait des lignes de verre sur la piste. Au bout, ses partenaires favoris, dans leur immuable ciré noir : Archambault, Verny et Le Guen.

Erwan ne leur avait pas dit pourquoi son adjoint et lui revenaient aussi vite. Ils traversèrent à nouveau la ville, entassés dans un véhicule de gendarmerie. En quelques mots, Erwan résuma la situation. Les nouveaux meurtres. Ses soupçons fétichistes. L’ADN de Pharabot sur le corps de Simoni.

Le silence dans l’habitacle en disait long. Soit ils ne comprenaient pas, soit ils comprenaient, et c’était pire.

La Cavale blanche. Ses bâtiments carrés posés sur des pylônes. Ses pelouses en forme de plaines. Ses familles en visite. Au deuxième sous-sol, ils retrouvèrent les fresques lugubres des murs de ciment.

Clemente les reçut dans la salle d’attente, où les poissons rouges et la machine à café n’avaient pas bougé. Pour une raison inconnue, le plafonnier ne fonctionnait plus et seule la lumière mouvante et bleutée de l’aquarium les éclairait.

— Café ? demanda le légiste près du distributeur.

Débarrassé de sa blouse, il avait retrouvé son allure de séducteur quinquagénaire : chevelure argentée et casual chic.

— C’est quoi cette histoire de changement de groupe sanguin ? demanda Erwan sans même répondre à la proposition.

Clemente leur désigna les fauteuils et le petit canapé. La brutalité du flic ne dispensait pas des bonnes manières. Tous s’assirent, en gardant leur ciré.

— Il n’y a qu’une explication : une greffe de moelle osseuse.

— Pour soigner son syndrome ?

— Non. On effectue surtout ce type de greffes pour traiter les leucémies.

— Di Greco avait un cancer du sang ?

— Son dossier médical ne le mentionne pas. Pas plus qu’il ne mentionne la greffe d’ailleurs. Ce qui est vraiment bizarre…

— Il aurait subi une opération clandestine ?

— Pas nécessairement : il a peut-être été soigné à l’étranger.

— Pour quoi ?

— Aucune idée.

Clemente ne cessait de regarder la machine à café. Finalement, n’y tenant plus, il se leva et en prit un.

— Il y a autre chose, reprit-il. Ce genre de greffes, même lorsque la moelle est bien tolérée, impose un traitement draconien, notamment la prise d’immunodépresseurs. J’ai fait de nouvelles analyses et j’ai retrouvé des traces notables de ces produits dans son sang. Di Greco a bien subi une greffe, je dirais ces trois dernières années.

— Vous avez repéré une cicatrice ?

— De telles opérations n’en laissent pas. On procède par injections. (Il se rassit et but quelques gorgées de café.) Un autre détail étrange : selon le rapport d’enquête, aucune boîte de ciclosporine, l’immunodépresseur, n’a été découverte dans sa cabine. Pour une mystérieuse raison, il tenait à garder secret son traitement.

Erwan lança un regard à Verny, qui confirma.

— Pourquoi ce type d’intervention modifie-t-il le groupe sanguin ?

— C’est la moelle osseuse qui produit les globules blancs, les globules rouges et les plaquettes. Autrement dit, quand on change de moelle, on change la machine à fabriquer le sang.

— L’ADN du sujet aussi dans ce cas ?

— Absolument. La moelle osseuse conditionne la production de toutes les cellules. C’est le système dans son ensemble qui est remplacé. Mais attention, il faut que la greffe prenne.