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Erwan évacua les autres : il voulait rester seul avec l’infirmier — et Verny, qui lui paraissait être un bon second pour un coup de force. Il congédia même Kripo — privé de dessert.

Arpentant la pièce, il attaqua direct, sans lever sa garde :

— C’est toi qui t’es occupé du transfert du corps de Pharabot ?

— Quoi ?

Erwan n’avait pas le temps de vérifier ses suppositions — tout au bluff :

— C’est toi qui es allé au crématorium du Vern ?

— Et alors ?

— Qu’est-ce qui s’est passé en route ?

— Mais… rien. Je vois pas ce que…

Erwan saisit le cylindre de silicone de son lobe gauche et l’arracha. L’infirmier hurla en se tenant l’oreille. Le flic balança le déchet par terre.

— Quand as-tu prélevé les cellules ?

— Mais vous êtes dingue !

L’homme à la crête gémissait mais Erwan pressentait un fond de jouissance dans sa plainte. Sans doute le genre à se faire pendre par des crochets à la manière d’une carcasse de bœuf.

— Comment ça s’est passé avec le corps ? hurla-t-il en lui attrapant le deuxième lobe. Qui t’a ordonné de faire les prélèvements ? Où les as-tu livrés ?

Il improvisait mais au regard de Plug, il comprit qu’il déroulait le bon fil. Il tordit un peu plus l’oreille. Fernandez se pencha en couinant. Au-dessus du voile rouge qui lui obscurcissait la vue, Erwan apercevait Verny prêt à intervenir à nouveau.

— Réponds, putain de dieu, ou je t’arrache celle-là aussi !

Fernandez se mit à sourire et le flic sut que la souffrance n’était pas la bonne voie. Il fit signe à Verny de lui filer son arme — le gendarme s’exécuta en tremblant. Erwan empoigna le calibre et écrasa le canon près de l’oreille valide de Plug :

— Tu connais la roulette afghane ? C’est comme la roulette russe, mais avec un calibre automatique.

— Qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes dingue ? Je… j’ai aucune chance !

— Sauf si j’ai pas armé la chambre.

D’un geste, il tira sur la culasse pour faire monter une balle imaginaire dans le canon et appuya sur la détente. Un jet d’urine inonda l’entrejambe de l’infirmier.

Erwan rendit le calibre au gendarme pétrifié. L’infirmier se protégea le visage de ses mains menottées et se mit à sangloter.

— La nuit du 23 novembre 2009, répéta le flic, j’écoute.

— C’était le lendemain… Je… j’ai transporté le corps avec un collègue jusqu’à la zone du Vern.

— Son nom ?

— Michel Leroy. Il travaille plus ici. Il a pris sa retraite.

— Il était dans le coup ?

— Non. Il a simplement accepté qu’on parte en avance ce matin-là.

— Pourquoi ?

— Parce que je voulais opérer dans la salle d’incinération, avant l’arrivée des techniciens.

— Ensuite ?

— On était au crématorium à l’aube. On a installé le corps puis j’ai demandé à Michel de m’attendre dans la voiture.

— Sous quel prétexte ?

— Aucun. Leroy s’est pas fait prier : il est allé finir sa nuit. J’ai pris les instruments que j’avais apportés et j’ai prélevé les échantillons.

— Sur quelle partie du corps ?

— Les cuisses. La meilleure zone pour recueillir des fibroblastes.

— Des quoi ?

— Des cellules situées dans le derme qui sont faciles ensuite à dédifférencier.

— Parle français.

— Des cellules qu’on peut rendre embryonnaires. On les transforme en cellules souches puis on les met en culture pour obtenir celles dont on a besoin.

Les lignées immortelles. Erwan imaginait, dans les fumées de l’azote liquide, la sève éternelle du Mal.

— Tu savais donc ce que tu étais en train de faire ?

— Je savais qu’il s’agissait de cellules. Et pas n’importe lesquelles. Celles de l’Homme-Clou !

Erwan se demanda si le quatuor n’avait pas promis à ce sous-fifre une injection aux frais de la princesse.

— Continue.

— J’ai placé les fibroblastes dans un conteneur isotherme et je suis reparti.

— Les gars des pompes funèbres n’ont pas tiqué sur les blessures ?

— J’avais préparé Pharabot. Je lui avais mis son plus beau costume. Ils ont rien trouvé à redire. À huit cent cinquante degrés, un corps grille de la même façon, à poil ou en costard.

Erwan vit passer les flammes devant ses yeux. Après le gel des cellules, le plus violent chaud et froid de toute sa vie. Le corps avait dû se consumer en près de deux heures — le temps réglementaire — mais le tueur n’était pas mort : ses cellules avaient survécu.

— Après ?

— C’est tout.

Erwan lui balança un coup à toute force sur la nuque. Fernandez tomba à genoux.

— Où t’as livré les cellules ?

— En Suisse. J’avais pris ma journée. J’avais des consignes précises. Franchir la frontière par Vallorcine puis rejoindre une clinique aux environs de Verbier.

— Qui t’a donné ces instructions ?

— Faites-moi sauter le crâne, je ne donnerai aucun nom.

Erwan les connaissait déjà.

— Dis-moi où est la clinique.

— Je m’en souviens plus.

D’un seul mouvement, il déchira le deuxième lobe.

— Quelle clinique ? hurla-t-il pour couvrir les gémissements du body-mod. Sinon, je te jure que je t’arrache un à un tous tes piercings. Je la trouverai de toute façon. Parle. Je gagnerai du temps et tu sauveras ta sale gueule de bouffon.

L’infirmier sanglotait à travers les cliquetis de ses menottes. Verny n’en menait pas large.

Erwan attrapa Fernandez par l’épaule et le remonta sur sa chaise :

— LE NOM, PUTAIN DE DIEU !

— La clinique de la Vallée… Un centre pour cancéreux…

Erwan sortit de la pièce empuantie d’urine et d’hémoglobine. Sur ses pas, Verny voulait parler mais sa voix chevrotait si fort qu’elle ne produisait qu’un caquètement de poule.

— Vous le coffrez pour de bon, ordonna Erwan en bifurquant dans les toilettes.

Il fit couler de l’eau glacée, arracha des serviettes en papier et tenta de nettoyer le sang sur sa cravate.

— Vos… vos méthodes sont plutôt…, bredouilla le gendarme.

— Oubliez tout ça, conclut Erwan en fermant le robinet. Vous prenez sa déposition et vous prévenez le parquet de Rennes. Vous envoyez le tout à Paris. Demain, la Bretagne redeviendra un havre de paix.

— Et vous ?

— Je pars en Suisse.

124

Dans sa chambre, Morvan vérifiait sur l’écran les opérations effectuées en ligne par Loïc. Potentiellement, près de la moitié de ses parts avaient déjà trouvé acquéreur. Il préférait ne pas regarder les prix et d’ailleurs, il n’avait jamais su combien ses actions valaient exactement. Une chose était sûre : son argent coulait comme du sang sur un champ de bataille. Coltano. Ses terres. Son minerai…

Il voyait surtout, en surimpression, les épisodes de l’existence chaotique de sa fille. Ses coucheries répugnantes. Sa manœuvre maladroite pour le détruire. Sa chute libre à travers les cimes d’automne. Son agression à Sainte-Anne…

Comment en était-on arrivé là ?

Il était capable de liquider le reste de sa fortune pour rattraper cette faute — une seule chose comptait dans le naufrage de sa vie criminelle : sa responsabilité de père. Personne ne l’avait jamais compris et il en éprouvait une sorte d’orgueil. Sa mission devait demeurer secrète, invisible, omnipotente…