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— Les gendarmes y sont allés, continuait Kripo, et se sont faits recevoir à coups de fusil d’assaut. Ça se profile comme un bon vieux Fort Chabrol. On y a repéré aussi une voiture à plaques diplomatiques — elle appartient à l’ambassade du Nigeria. Irisuanga est sans aucun doute avec eux.

Deux handicapés et un colosse à cornes. Trois greffés possédés par l’esprit d’un tueur en série. Trois désespérés coincés comme des rats.

— Verny est là-bas ?

— Avec toute sa clique. Ils attendent le GIGN.

Erwan ne pouvait croire que l’affaire s’achève ainsi. Un bouquet final où les points se compteraient en morts et blessés.

— Qui les a appelés ?

— Ordre supérieur. Ça vient de Paris.

— Qui dirige l’intervention ?

Kripo toussa.

— Ton père.

Encore une fois, le Vieux aux commandes. Mais comment pouvait-il déjà être au courant ?

Kripo devina ses pensées :

— Un simple télex de l’état-major. Il a aussitôt pris les choses en main. J’ai pas les détails mais il semblerait que Valls lui-même lui ait filé les clés du camion.

Voilà pourquoi, depuis la fin d’après-midi, son père ne l’avait plus appelé. Il préférait gérer l’affaire seul, sans l’aide ni la complicité de son propre fils.

— Il vous a contactés ? demanda-t-il sur un coup d’intuition.

— Ouais, moi. Tout à l’heure.

— Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Qu’il ne voulait pas voir nos gueules sur le terrain.

— C’est tout ?

Kripo hésita encore :

— Il m’a demandé un point détaillé de l’enquête.

— Tu lui as donné ?

— Mais… oui. Je lui ai tout expliqué. L’histoire de la greffe, José Fernandez, la clinique de la Vallée. Enfin tout, quoi…

Erwan hocha la tête. Ce finale obéissait à une logique profonde : l’Homme-Clou s’était réincarné dans la peau de trois déments et c’était une fois encore, quarante ans après le premier combat, Morvan qui allait s’y coller.

— Je peux être à Chamonix dans une heure. Envoie-moi un hélicoptère au poste de gendarmerie.

127

L’aube se levait et Morvan, fusil à pompe Ithaca en main, gilet pare-balles compressant sa bedaine, se répétait qu’il n’avait plus l’âge pour ce genre de conneries. En même temps, il ne pouvait pas se contenter de diriger les opérations à distance, depuis une berline officielle.

Il avait passé les dernières heures de la nuit planqué dans un trou, aux côtés des gendarmes les plus téméraires, à ressasser les informations qu’il avait glanées et dont il admirait secrètement la démence et la témérité : quatre hommes — dont le pauvre di Greco —, fanatisés par Thierry Pharabot, avaient décidé de s’incarner dans cet esprit du Mal ; joignant les actes à la folie, ils avaient détruit leur propre moelle osseuse puis s’étaient fait greffer ses cellules médullaires. Qui dit mieux ?

Les trois survivants étaient maintenant enfermés dans une maison de corsaire aux volets bleus qui ressemblait, trait pour trait, à celle qu’il avait lui-même achetée à Bréhat, à la fin des années 80. L’ironie était partout.

Le vrai coup de chance — si on peut dire — était qu’il avait été prévenu de l’assassinat des deux gendarmes en fin d’après-midi par un télex de l’état-major. Ça signifiait qu’Erwan ne serait pas au courant avant plusieurs heures et qu’il pourrait lui-même contrôler le dispositif. D’ailleurs, quand le fait divers avait définitivement basculé dans la catastrophe — maison assiégée avec échanges de coups de feu, médias sur le coup —, le ministre lui avait officiellement confié la direction des opérations. Il avait décollé à minuit du Bourget et s’était farci plus de deux heures et demie en Eurocopter Dauphin, tout en communiquant par radio avec le procureur de la République de Rennes et le préfet de Quimper. Le GIGN volait dans son sillage vers le Finistère.

Les gendarmes du cru n’avaient pas attendu son arrivée pour agir. Les maisons voisines (la zone était fortement touristique) avaient été évacuées, le site sécurisé sur un kilomètre à la ronde, les routes barrées. Les Cruchot s’étaient assurés que le terrain autour de la maison n’était pas piégé — personne ne mesurait le degré exact de dangerosité des tueurs — et avaient creusé des tranchées pour y planquer hommes et matériel — le champ sans clôture qui entourait la maison ne comportait aucun relief, ni arbre ni rocher pour se mettre à couvert. Maintenant, à sept heures du matin, ils étaient à peu près tous enterrés. Deux escouades de la gendarmerie départementale et une brigade mobile formaient deux arcs de cercle afin de fermer la zone et empêcher toute fuite.

Morvan avait de la lecture. Parmi les documents qu’on lui avait procurés, la liste des armes que possédait Redlich. L’ethnologue et le sculpteur devaient transporter cet arsenal quand les gendarmes les avaient arrêtés. Le boiteux avait paniqué et tiré dans le tas. Aucun doute sur leur profil psychologique : fanatiques de la mort, terroristes de la terreur.

Le jour pointait, bleu craie. La matinée allait être belle. Morvan sortit la tête et observa, à deux cents mètres, la maison muette. Rien n’y bougeait, volets fermés, portes closes. Autour de lui, il voyait dépasser les têtes des gendarmes qui portaient pour la plupart le bonnet réglementaire au front brodé d’une grenade qui s’enflamme. Il devinait la colère de ces poilus d’occasion. Personne n’avait envie de se prendre une prune pour des meurtres qui avaient été commis à Paris, signés par des tueurs bons pour l’asile. Chacun attendait l’arrivée du GIGN — des gars qui au moins avaient l’habitude de ce genre d’affrontements et bandaient pour l’adrénaline.

Morvan se rassit et considéra ses compagnons de tranchée. Il avait accepté d’emmener avec lui un flic de l’OCRVP (Office central pour la répression de la violence faite aux personnes) spécialisé dans le problème des sectes. Une concession au ministre, qui avait insisté pour qu’un expert soit présent. Passons.

Il y avait aussi trois combattants qui n’étaient pas des inconnus pour Morvan. Le lieutenant-colonel Verny avait dirigé l’investigation sur Kaerverec aux côtés d’Erwan. Les deux autres, qui n’avaient rien à foutre là, étaient des militaires : Simon Le Guen, capitaine instructeur à l’état-major de Kaerverec 76, Luc Archambault, lieutenant de la gendarmerie de l’air, chargé de la sécurité militaire de la base. Eux aussi avaient collaboré aux investigations d’Erwan — et ce dernier baroud était la conclusion de leur enquête. C’étaient les seuls qui n’avaient pas la tremblote et qui scrutaient la cible d’un regard déterminé. Ils étaient sortis frustrés de l’affaire di Greco et ils tenaient leur revanche.

7 h 20. Que foutait le GIGN ? Il avait suivi par radio la progression des gars depuis Paris. Ils avaient fait un stop à Brest pour étudier leur plan d’attaque. Carte d’état-major de la région, plan de la baraque trouvé au cadastre, profil psychologique des suspects, logiciel regroupant toutes les données, etc. Morvan avait fait la même chose, mais dans son trou. Il n’était pas sûr d’être parvenu aux mêmes conclusions. Le GIGN privilégierait la négociation. Du temps perdu. Depuis qu’ils étaient barricadés dans la maison, les trois cinglés n’avaient contacté personne. Ils n’avaient pas d’otages et ils voulaient, à coup sûr, mourir les armes à la main.