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Le Fort Chabrol était aussi un suicide by cops.

Morvan était de bonne humeur. Il avait perdu une fortune, — Loïc le lui avait confirmé dans la nuit —, il allait peut-être se prendre une bastos tirée par les réincarnations de son pire ennemi, mais il se sentait léger, vigoureux, fusil en main et 9 mm glissé au creux des reins. Les conspirateurs étaient identifiés : aucune trace de vengeance divine. Une affaire entre hommes, qu’il avait secrètement prévu de descendre, dans la confusion du combat. Alors, il pourrait repartir du bon pied pour les quelques années qui lui restaient.

Il se rendit compte qu’il chantonnait à voix basse :

— Qui voit Ouessant voit son sang, qui voit Molène voit sa peine, qui voit Sein voit sa fin…

— Ils sont là.

Verny était concentré sur son oreillette. Morvan leva la tête et aperçut au loin, le long de la plaine brillante de rosée, les combattants arc-boutés qui avançaient en un ensemble parfait, agiles comme des danseurs. Gilet pare-balles en kevlar, casque à visière blindée, Glock à la ceinture et fusil d’assaut entre les mains — d’où il était, il n’était pas sûr du modèle : Famas, Sig Sauer ou Heckler & Koch.

— Qui dirige les opérations ?

— On l’appelle le « numéro un ». Ils ne donnent jamais leur nom en intervention.

Les conneries commençaient.

— Dites-lui de venir ici.

128

Malgré sa cagoule, il reconnut tout de suite Philippe Gallois. Il l’avait rencontré lors d’une démonstration de la force d’intervention à Versailles et se souvenait d’un cul-terreux champion de tir et fanatique de Sarkozy. Engoncé dans son gilet pare-balles, oreillette au tympan et calibre au poing, le colonel possédait un atout majeur : le calme.

Présentations. Un curieux mélange de respect et de mépris réciproques.

— Comment vous voyez les choses ? demanda Morvan par courtoisie.

— Pas terrible. J’ai aucun point surélevé où poster mes tireurs. Aucun moyen d’avancer à couvert.

— Je parlais pas du décor : comment comptez-vous opérer ?

— On doit d’abord négocier.

— Je suis d’accord, mentit Morvan.

— Nos experts psychologiques…

— Laissez tomber vos experts. Je connais ces salopards. En tout cas, je connais le tueur dont ils s’inspirent. Ils se croient protégés par des forces magiques. Il faut leur parler le langage qu’ils…

— Notre négociateur va arriver.

— Le négociateur, c’est moi.

— Vous rigolez ou quoi ? Vous êtes ici en tant qu’émissaire du ministre de l’Intérieur. Vous n’avez rien à faire sur le terrain.

— Je connais le dossier. Je connais leur psychologie. Je…

Gallois regarda sa montre :

— On attend notre homme.

Sa cagoule lui donnait l’air encore plus borné. Morvan avait l’impression d’être en conférence avec Fantômas dans une tranchée à Verdun. Super.

— D’après mon rapport, reprit l’autre, on n’a perçu aucun bruit, aucun mouvement depuis plusieurs heures. Ils se sont peut-être fait sauter le caisson.

— Ils n’ont pas fait tout ça pour en finir maintenant.

— Qu’est-ce qu’ils veulent alors ?

— Laissez-moi entrer en contact avec eux.

— Pas question. On ne nous paye pas pour laisser des civils se faire canarder.

— J’y vais, dit Verny. C’est moi qui dirige le groupe de recherche sur cette enquête. Je serai le plus crédible. Vous restez en back-up.

Gallois l’observa un instant, Morvan l’évalua de son côté : un courtaud à l’air déterminé, qui ne parlait pas à la légère. Les cinglés allaient le tirer comme un lapin. L’assaut serait ordonné. Lui pourrait faire alors ce qu’il avait à faire.

Mais la vie du gendarme, c’était trop cher payé.

— S’il s’approche, seul et sans arme, demanda-t-il au colonel, comment pouvez-vous le couvrir ?

— Le dos de la baraque est à l’aplomb de la falaise. Impossible de les prendre à revers. On peut juste les cerner par les côtés. Après ça, on utilisera les fumigènes, les lacrymos, les multibangs pour les neutraliser.

Le nouveau truc à la mode : le son. Les grenades, en plus de projeter des éclats et des gaz, produisaient maintenant des détonations de plus de cent quatre-vingts décibels — de quoi paralyser l’adversaire.

Gallois jeta un coup d’œil vers la maison. Le jour qui se levait ne cessait de révéler la difficulté de la cible, plantée sur un terrain découvert.

— Y a le problème du muret.

Le bâtiment était cerné par une enceinte d’un mètre de hauteur environ. Une fois passé ce mur, Verny disparaîtrait de leur champ de vision. Impossible de le protéger.

— Vous êtes bien décidé ? insista le chef du groupe.

Le lieutenant-colonel détacha son arme et se plaça sur les genoux, prêt à sortir de l’excavation.

— Je garde mon gilet sous ma veste.

— J’avertis mes gars. Je vous donne le top par radio.

Sans attendre de réponse, Gallois se hissa à la surface et galopa jusqu’au trou suivant.

— On peut trouver une autre solution, essaya encore Morvan alors que Verny fermait son anorak.

— Non, vous le savez comme moi.

Morvan se tourna vers Le Guen et Archambault. Visages tendus, muscles et os jouant sous la peau. Derrière eux, les combattants se multipliaient au ras de la plaine, déferlant sur la terre comme une pluie noire.

Verny fit un geste qui se voulait rassurant :

— Au moindre signe hostile, je me replie.

Il se pencha pour mieux écouter son oreillette : l’opération commençait. Il se leva pour de bon et sortit. Au même instant, deux ombres jaillirent d’une autre trouée et se glissèrent parmi les herbes. Morvan se décida à fixer son oreillette et entendit les directives du numéro un — désormais, tout ce qui avançait vers la maison aux volets bleus était sous ses ordres.

Verny était parvenu à cent mètres de la bâtisse quand le premier tir le fit tomber. Le deuxième coup de feu siffla dans l’air comme une flèche de cristal. Aussitôt après, une rafale. Les salopards possédaient des fusils-mitrailleurs.

Morvan voulut sortir de la tranchée pour récupérer l’officier mais déjà les gars du GIGN s’étaient précipités. Nouvelles détonations. Il priait pour que les forcenés n’utilisent pas des cartouches en carbure de tungstène, capables de percer le kevlar.

Tête baissée, les gendarmes traînaient Verny par les bretelles de son gilet. De son poste, Morvan voyait qu’il était encore conscient. Aucune trace de sang. Ils avaient visé la poitrine protégée. Un signe de bonne volonté ?

L’équipe de secours dégringola dans la tranchée. Verny suffoquait. On lui arracha les sangles velcro. Il avait mal vu : le gendarme était touché, sa gorge pissait le sang. Il observa la plaie. A priori, la balle avait seulement effleuré la chair du cou côté gauche. À quelques millimètres, c’était la carotide : Verny serait déjà mort. La guerre était déclarée.

En guise de confirmation, l’ordre de Gallois dans l’oreillette :

— On passe à l’assaut.

Sa voix soufflait dans l’écouteur comme une turbine.

— Envoyez-moi plutôt un toubib ! grogna Morvan tandis que Le Guen prodiguait les premiers soins à Verny.

Les gendarmes allaient tomber comme des mouches. Des morts, des sanctions, des semaines de critiques dans les médias. La merde en version maximale.

Il se redressa et vit Gallois — du moins, il pensait que c’était lui — qui faisait tournoyer son bras en l’air. Les ombres se mirent en mouvement aux quatre coins du champ. Au moins une vingtaine d’hommes, avançant en binômes, le premier braquant un bouclier balistique, le second tenant son fusil d’assaut.