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Morvan n’entendait plus rien. On était passé au langage des signes. Jadis, il avait appris ces codes mais il avait tout oublié. Il était condamné à suivre l’opération comme un vulgaire spectateur.

Nouveaux coups de feu. Bref arrêt sur image. Tout se remet en marche, avec tirs en retour des gendarmes. Les rafales claquent. Des matériaux s’écorchent, éclatent : mottes de terre côté commando, granit, bois et ardoise côté maison.

Morvan risqua encore un regard : on évacuait Verny. Ça défouraillait dans tous les sens. Archambault et Le Guen tiraient avec la sûreté de militaires entraînés. Le spécialiste des sectes était tétanisé au fond de la cavité, mains serrées sur son 9 mm. Morvan lui-même était dépassé. Sa dernière intervention datait des années 80. Que foutait-il ici, nom de dieu ?

Non. Le cadavre bouge encore, mon général. Il se redressa, arracha son oreillette, fit monter une balle dans son fusil à pompe et commença à tirer. En une seconde, il se sentit intégré au combat. Il tuerait ou serait tué mais la cohésion de l’instant ne serait plus remise en cause.

La fusillade ne cessait pas. Le ciel semblait rayé par les stridences. L’odeur de poudre saturait les narines. Il rechargea. Se préparait à envoyer une nouvelle salve quand il aperçut des attaquants parvenus au mur d’enclos. Deux binômes de part et d’autre du portail, un genou au sol, fusil en joue. Le plus dur restait à faire : atteindre la maison.

Par l’entrebâillement des volets, des flammes jaillissaient, sporadiquement, sans qu’on puisse apercevoir les tireurs. Difficile de croire qu’ils avaient affaire à un homme en chaise roulante, un boiteux et un mutant à crête de métal.

Les commandos se coulèrent dans le jardin, deux par deux, les premiers filant à droite, les seconds à gauche. Une seconde plus tard, des nuages de fumée s’échappèrent du jardin derrière le mur. Les grenades lacrymogènes allaient éloigner les forcenés, permettant aux artificiers de plastiquer chambranle et châssis.

Soudain, une détonation occulta tout. Une gigantesque flamme s’éleva. Le mur d’enclos devint une gerbe de gravats et de poussière. Morvan crut d’abord à une maladresse des gars : le plastic leur avait explosé entre les mains. Mais l’explosion était trop forte. Les débris de pierre noire, les fragments de verre retombaient dans l’air, mêlés de chair humaine et de fragments de kevlar.

— Nom de dieu ! hurla Archambault en se levant d’un bond.

L’instant d’après, il avait le visage emporté par une balle. Il s’écroula au fond de la tranchée. Ses mâchoires n’étaient plus qu’un gargouillis noirâtre. Morvan lâcha son fusil et plaqua ses deux mains sur la plaie. Ses doigts virèrent au rouge. Les yeux du gendarme au blanc. C’était fini.

Il dressa ses paumes maculées de sang, de débris de dents et de muqueuses, et les observa. Lentement, il revint aux autres : Le Guen s’était jeté sur le corps en bredouillant des prières. Le flic de Paris vomissait.

Mais surtout, Erwan, son propre fils, se dessinait à travers la brume et les débris d’herbe brûlée. Debout au bord de leur tranchée, il tenait son calibre à deux mains, prêt à plonger dans la fosse, quand le spectacle d’Archambault défiguré l’avait stoppé. Il restait immobile, aussi visible que l’obélisque de la Concorde.

— BAISSE-TOI ! hurlan Morvan en l’agrippant par le pan de sa veste.

Erwan chuta dans la cavité sans quitter des yeux le cadavre d’Archambault. Il paraissait en état de choc. Morvan lui appuya sur la tête alors que les balles sifflaient toujours.

Il lança un coup d’œil vers la maison — le mur avait disparu, le potager avait pris feu, les flammes commençaient à dévorer le lierre et les hortensias. Un homme rampait dans la fumée en se tenant la cuisse qui s’achevait par un moignon. Il réalisa qu’Erwan n’était plus là.

Morvan saisit son fusil à pompe, ramassa des chargeurs et les fourra dans ses poches. L’instant d’après, il filait à la rescousse de son fils qui courait vers la maison.

129

L’atmosphère n’était plus qu’un agglomérat de poussière et de fumée. Les balles miaulaient de toutes parts, tissant un filet invisible au-dessus de leurs têtes. Erwan enjambait les gravats du mur quand Morvan l’attrapa par l’épaule.

— Qu’est-ce que tu fous ? cria son fils en se retournant.

Fourrant son fusil sous son bras gauche, Morvan dégaina son Beretta et lui tira une balle au ras de l’aine — de quoi le mettre hors jeu durant l’intervention. Erwan plaqua ses deux mains sur sa blessure avant de s’écrouler parmi les moellons.

Gaëlle.

Loïc.

Milla.

Lorenzo.

Pas question de les abandonner sans un homme à la maison.

Morvan glissa le calibre dans son dos et partit sans se retourner, tout en armant son Ithaca. La porte d’entrée, éventrée, ressemblait à une gueule hérissée de crocs. Il la franchit avec un seul credo : pas de quartier.

Il découvrit un décor rustique — tomettes, poutres, meubles de bois ciré — entièrement dévasté, couvert de plâtre. Il disposait de moins de deux minutes pour tuer tout le monde ou mourir. Son instinct lui fit tourner la tête à droite : un diable noir, un FIM-92 Stinger à l’épaule, se tenait dans le coin de la pièce.

Il fit feu en se jetant à terre. Son fusil permettait le slamfire — en maintenant le doigt sur la détente, on tirait en rafale…

Quand il toucha le sol, il avait vidé son magasin. À la même seconde, le missile tiré par le Black atteignit le mur derrière lui. Big-bang de lumière et de pierre. Il se releva d’un bond : les flammes lui cuisaient le dos. Il lâcha son fusil et dégaina son 9 mm. Aucune visibilité. Il agita son bras gauche pour balayer la fumée et avança. Le Nigérian n’avait plus de tête, son abdomen dégueulait de viscères, déjà asséchés par la poussière.

Il arma la chambre de son flingue.

— Où vous êtes, enculés ? hurla-t-il en repartant vers la pièce adjacente. Montrez-vous !

Il tira en l’air pour donner plus de poids à ses mots et manqua de se prendre un morceau de plafond qui s’effondrait en retour. Il n’entendait plus rien d’une oreille mais était bien décidé à continuer en mono.

— OÙ VOUS ÊTES, PUTAIN ?

Il titubait dans la tourmente, les deux poings serrés sur son flingue, quand un coup de feu retentit dans son dos. Il se retourna, bras tendus : personne. Il baissa les yeux. Le coup était parti de son Ithaca. Une cartouche coincée dans la chambre et les flammes, en mordant l’objet, avaient déclenché le tir. Tué par son propre fusil, voilà une belle mort.

À la même seconde, une nappe blanchâtre se déchira sur sa droite et révéla Redlich qui braquait un.45 dont la gueule paraissait aussi large que la bouche d’un lance-flammes. La posture et la sûreté du bras révélaient le tireur aguerri.

Morvan appuya sur sa détente sans même songer à plonger — ses réflexes se succédaient maintenant comme les balles dans un canon, l’un après l’autre s’il vous plaît. La force de recul du calibre lui fit traverser à nouveau le seuil mais il ne cessait de tirer, sans rien voir. Quand la fumée se dissipa, Redlich était allongé, loin, très loin, couvert de gravats et de sang.

Et de deux. Ces sorciers n’avaient donc pas tant de pouvoir.

Un cercle de feu se formait autour de lui. Il l’enjamba et partit inspecter la cuisine. Personne. Le troisième était en haut. Il s’élança dans l’escalier, palpa les poches de sa veste, trouva un nouveau chargeur. L’arme était chaude comme une brique sortant du four. Lui-même étouffait sous son gilet pare-balles.