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Coursive au-dessus du salon. Le feu hurlait en bas mais pour l’instant, il était hors d’atteinte. Vamos.

Première pièce : rien.

Deuxième pièce : rien.

Troisième pièce : la salle de bains, d’une fraîcheur inattendue.

Il avait fait le tour de l’étage : où était Lartigues ? Il imaginait l’infirme, les mains crispées sur un fusil d’assaut ou quelque autre engin de guerre. Le tuer, même si le seul moyen était de plonger avec lui et son fauteuil dans le brasier.

Quarante ans auparavant, il avait épargné l’Homme-Clou : on voyait le résultat.

Il revint sur ses pas. Ses yeux ruisselaient de larmes. Son visage n’était plus qu’un masque de poussière brûlante. Il essuya ses paupières et s’arrêta net : Lartigues était devant lui, au bout du couloir, ratatiné dans son fauteuil. Ses mains, des griffes crochetées sur un fusil Remington. À vue de nez : une capacité de trois ou quatre coups, en réarmement manuel. À supposer qu’il sache s’en servir, il n’aurait le temps, en rechargeant, que de tirer une ou deux fois avant que Morvan soit sur lui.

Il avança. Soit le fusil contenait des cartouches à gerbe de plombs et Lartigues avait une chance de le toucher, mais avec quelques chevrotines seulement. Soit il était chargé de cartouches uniques, de celles qu’on utilise pour le sanglier, et les probabilités de faire mouche chutaient au plus bas — en revanche, s’il était atteint à la tête, Morvan serait décapité.

Lartigues fit feu et fut projeté en arrière. Le mur à gauche de Grégoire s’effrita en une dizaine de trouées. Des plombs. Il se rua vers l’infirme qui, calé contre l’angle, rechargea et tira à nouveau. Encore raté. Le sculpteur ricanait et pleurait à la fois, semblant rétrécir à vue d’œil. Il actionna la culasse et appuya encore sur la détente : le Vieux n’était plus qu’à trois mètres.

La giclée de métal l’atteignit à l’épaule gauche mais il ne tomba pas. Il allait faire feu quand il eut une autre inspiration. Il balança son flingue, se jeta sur Lartigues, attrapa les deux accoudoirs du fauteuil et les tira vers lui afin de placer le handicapé dans l’axe idoine. D’un coup de pied, il le propulsa dans l’escalier en flammes. Un remake de la scène célèbre de Kiss of Death, où Richard Widmark pousse une infirme dans l’escalier, version brasier. Lartigues hurla mais Morvan n’entendit que le cri du feu qui le dévorait.

Il voulut rire à son tour. Tout ce qu’il fit, ce fut de dégringoler avec le plancher qui venait de s’ouvrir sous ses pieds.

Il atterrit dans un espace déjà consumé, cendres plutôt que braises, et perçut un souffle frais à travers sa fièvre. Il était à genoux, à peu près indemne, capable de se relever face à un mur effondré qui lui offrait le grand sourire pur et bleu du matin. Sans savoir comment, il se retrouva à dévaler la pente de cailloux qui prolongeait l’arrière de la maison. Herbe grise, rochers verts, cailloux mauves…

Il s’arrêta in extremis, juste avant le gouffre.

Il pensait à son fils, de l’autre côté de la baraque, qu’on avait dû secourir. Il pensait à Gaëlle, à l’abri dans sa clinique de Chatou, surveillée par des flics en armes. À Loïc, qui devait dormir après avoir vendu à perte la fortune familiale. Il pensait à ses deux petits-enfants, Milla et Lorenzo, auprès de leur mère, la Vierge de glace, qui consumait pour eux toute la chaleur dont elle était capable.

Alors seulement il se rendit compte qu’il était en feu — plus précisément son gilet pare-balles, lui dévorant les flancs et les épaules. Il plongea sa main parmi les flammèches et parvint à arracher les bandes adhésives du corset. Il le balança dans le vide en se souvenant que la notice certifiait que le kevlar était ignifugé. Mon cul.

Il éclata de rire : on ne pouvait décidément compter que sur soi.

III

L’AUTRE

130

D’après ce que Gaëlle avait compris, durant la fusillade dont tous les médias parlaient depuis le matin, Erwan avait été blessé par balle sans qu’on sache qui avait tiré. Il avait été transféré en hélicoptère jusqu’à Paris, à la Salpêtrière. Tout ça pour constater que la blessure était bénigne. Le projectile n’avait frôlé que l’aine gauche, au-dessus de l’os iliaque.

Son père, le vrai héros de l’opération, s’en était lui aussi tiré à bon compte. Il avait profité de l’hélico du SAMU pour filer à l’anglaise, laissant le procureur de la République et le préfet de région s’exprimer à propos de l’assaut dont le bilan était lourd — Gaëlle ne se souvenait déjà plus du nombre de victimes, ni dans un camp ni dans l’autre, mais les forcenés étaient tous morts.

Le plus jouissif, c’était de voir à présent le clan réuni dans une chambre d’hôpital, exactement comme deux jours auparavant, avec cette fois Erwan dans le rôle du patient à choyer. Elle avait eu le droit — merci, papa — de quitter la clinique des Feuillantines pour venir embrasser son frère et les découvrait là, fidèles à eux-mêmes, dignes d’une chanson de Jacques Brel. Morvan, une attelle autour du bras gauche, parlait au téléphone. Loïc lisait ses textos, renfrogné dans son fauteuil. Sa mère, l’air plus allumée que jamais, installée près du lit, faisait des messes basses au blessé qui trônait comme un calife dans son lit.

Gaëlle se pencha vers lui et l’embrassa sur la joue :

— Comment tu te sens ?

— Comme après un match.

— Dans les tribunes, tu veux dire ?

Elle avait lu qu’il avait été blessé avant l’assaut, mené par son père seul.

— Très drôle.

Elle avait beau avoir abandonné ses projets de parricide, de suicide et autres joyeusetés, elle ne pouvait devenir du jour au lendemain une petite sœur modèle. Elle lui serra le bras et s’excusa pour cette vanne gratuite.

— Mes gars sont pas avec toi ? lui demanda son père en guise de bonjour.

— Ils sont en bas. Ils fument une clope. Y a plus de danger de toute façon, non ?

Morvan lui envoya un regard noir et reprit sa conversation téléphonique.

— T’as raison, fit-il à l’adresse de son interlocuteur. C’est mort pour ma gueule.

Tendu, il semblait s’agiter dans un bourbier inextricable alors qu’elle aurait plutôt pensé qu’il croulerait sous les félicitations. La situation était sans doute plus compliquée qu’elle ne l’aurait cru. Quoi qu’il en soit, une fois encore, le grand Morvan avait prouvé qu’il était un héros capable du meilleur grâce aux pires méthodes.

Un père justicier, un frère blessé. L’honneur du clan était sauf.

S’asseyant au bord du lit, elle y alla de sa question débile :

— Alors c’est bon, tout est réglé ?

— Ils sont morts, si c’est ta question.

— Combien ils étaient ?

Erwan lui offrit une petite synthèse où il était question de quatre adorateurs de l’Homme-Clou (les médias n’en évoquaient que trois, on avait sorti du lot un dénommé di Greco), de greffes de cellules, de magie noire, de meurtres rituels, de vengeance… Un peu compliqué à suivre, mais son grand frère avait l’air en pleine forme, prêt à battre de nouveau le bitume. À vingt-neuf ans, elle commençait tout juste à se l’avouer : elle avait de plus en plus besoin de lui.

— Donc tout est fini ? insista-t-elle.

— Pas pour moi. Je dois me farcir les queues.

— Sois poli.

— Ça veut dire que je dois boucler tous les PV, toute la paperasse.

— C’était une blague.

Erwan sourit avec un temps de retard, comme d’habitude.