— Vous avez reçu l’autorisation du parquet pour briser les scellés ?
— Aucun problème.
Erwan posa son sac et arracha les rubans. Kripo lui lança une paire de gants de latex. Il les enfila avant de saisir la clé que Verny lui tendait.
Un cube d’une douzaine de mètres carrés. Un lavabo dans un coin. Deux lits, encadrant une fenêtre, juste dans l’axe de la porte. Deux casiers en fer, comme ceux qui meublent les vestiaires de gymnase, faisaient office d’armoires. Près de chaque lit, un bureau. Sur l’un d’eux, plusieurs objets : ordinateur portable, réveil, téléphone mobile. Les effets personnels de Wissa.
— On a touché à rien, confirma Verny. Le copiaulé dort ailleurs. Il a pris toutes ses affaires.
— Foutez tout ça dans des sacs à scellés en attendant les techniciens. (Erwan remarqua le sol impeccable, les corbeilles à papier vides.) On a fait le ménage ici.
— Y a un tour parmi les élèves, expliqua Le Guen. Chaque matin, deux d’entre eux nettoient les chambres. Le samedi n’a pas failli à la règle. On savait pas encore que Wissa avait disparu.
— Les deux gars étaient donc des anciens ?
— Bien sûr. Pendant quarante-huit heures, les Rats… je veux dire les nouveaux n’ont plus accès aux bâtiments.
— Vous chercherez les mecs qui ont nettoyé ici.
— Vous avez un problème avec les poubelles, persifla le soldat.
Erwan ignora la remarque.
— Tu te trouves deux témoins et t’attaques la perquise, dit-il à Kripo. Pas d’étudiants ni d’instructeurs : des secrétaires, du personnel administratif. Fouille avec le maximum de précautions. J’y crois pas beaucoup mais on va tout de même demander aux techniciens de passer la piaule au peigne fin.
— Je saisis pas trop, là, intervint Verny. C’est pas du tout ce qu’on s’attendait à…
Le flic se tourna vers lui :
— Lieutenant-colonel, j’ai l’impression que vous comprenez pas la situation et j’ai pas les mots pour vous l’expliquer en douceur. Alors voilà : on reprend tout de zéro.
16
La chambre qu’on leur avait allouée était identique à celle de Wissa, avec une salle de bains en prime.
— Asseyez-vous.
Erwan avait demandé à Le Guen et Verny de les suivre. Les corbeaux attrapèrent les chaises derrière les bureaux et s’installèrent côte à côte, l’air remonté. La pluie frappait toujours les vitres, ciselant le temps en très fines unités.
— J’ai pas encore lu vos PV mais je suis sûr qu’ils sont nickel. Simplement, il y a mort d’homme. Un accident ou autre chose. On ne doit rien exclure. Pas même un meurtre avec préméditation.
Le Guen se dressa sur son siège :
— Mais d’où vous sortez des conneries pareilles ?
— C’est mon métier. Wissa était peut-être déjà mort quand on l’a placé dans le bunker. Peut-être savait-on que le Rafale allait frapper ce site. Un bon moyen pour effacer toute trace du crime.
— Personne ne pouvait connaître la cible avant la manœuvre, répliqua le gendarme.
— On va s’en assurer. Ce qu’il nous faut maintenant, ce sont des renforts. Où sont basés vos TIC ?
— Nos quoi ? demanda le Homard.
— Techniciens en identification criminelle, lui souffla Verny avant de répondre à Erwan : À Rennes. Je pense qu’ils pourront être là demain.
— Ce soir. Je veux entre autres un spécialiste paluches et moulages.
— On a un ANACRIM.
— Très bien. On pratiquera aussi des relevés organiques. Qu’ils se mettent au boulot cette nuit. D’abord la chambre de Wissa. Demain matin, Sirling. Vous avez des experts capables de bosser sur des sols mouillés ou même dans la flotte ?
— Des techniciens en investigation subaquatique, oui.
— Dites-leur d’apporter une pompe. Je veux draguer le trou creusé par le missile.
Le gendarme s’agita. Erwan arpentait la pièce, mains dans le dos, imitant malgré lui le colonel Vincq :
— Pour Wissa, Kripo s’occupera des fadettes mais il lui faut des petites mains. Combien de gendarmes pouvez-vous réunir avant demain matin ?
— Une dizaine.
— Parfait. Je veux aussi décrypter toutes les communications de la région. Tous les relevés des antennes relais du coin.
Verny siffla malgré lui. Erwan secoua la tête :
— Dans la lande, il doit pas y avoir eu un max d’appels.
— Et la réquise, pour les compagnies ?
— Le parquet la signera. On bénéficie du délai de flagrance et pendant une semaine, on a les mains libres. Pour l’ordinateur, vous avez quelqu’un de valable ?
— Un N’tech. Le meilleur de Bretagne.
N’tech pour « nouvelles technologies ». Erwan connaissait le jargon des gendarmes.
— Il est basé à Brest, continua Verny. S’il est pas en vacances, il peut être là avant ce soir.
— S’il est en vacances, trouvez-en un autre. On doit attaquer l’analyse de l’ordi dans les prochaines heures. Il décryptera les données, un de vos hommes les référencera et notera tout ce qui peut nous informer sur les relations de Wissa, ses goûts en matière de sexe et du reste.
— Pourquoi de sexe ? sursauta Le Guen.
— Parce que Internet est la plus grande machine à se branler que l’homme ait jamais inventée. Satisfait ?
— Je vois pas le rapport avec sa désertion.
— Arrêtons avec ça : ce scénario ne tient pas debout. Il n’y a aucune raison de penser que Wissa, passionné par sa formation de pilote et qui n’avait pas l’air spécialement trouillard, ait pris la mer pour éviter de faire des pompes ou de manger des croquettes pour chien. Sans compter tous les détails concrets qui ne collent pas.
Les gradés hochèrent la tête. On n’en parlerait plus.
Erwan se pencha vers eux, les mains en appui sur ses genoux, très coach sportif :
— Maintenant, vos missions spécifiques. Verny, vous envoyez un groupe du côté de l’embarcadère pour éclaircir cette histoire de bateau. Des gens vivent là-bas ?
— Des touristes. Des pêcheurs aussi, mais ils sont sans doute en mer.
— Faites-les rentrer. Ils ont des femmes, des enfants ?
— La plupart, oui.
— Je veux les PV avant demain soir. Appelez aussi la capitainerie de Kaerverec. Ils ont peut-être les moyens de savoir qui est sorti en mer cette nuit-là.
— J’en suis pas sûr.
— Eh bien, renseignez-vous ! Je veux aussi connaître la météo. Savoir si un bateau pouvait facilement accéder à Sirling. Le Guen, vous prenez deux gars avec vous et vous visionnez les bandes de vidéosurveillance de la base depuis vendredi.
Le Breton changea d’expression, jetant un regard en loucedé à Verny.
— Un problème ?
— Y a une tradition… Durant le bizutage, on coupe les caméras.
— Je le crois pas, ça, murmura Erwan. Pas de surveillance pendant quarante-huit heures ? Sur un terrain abritant des appareils militaires ?
— Les zincs sont à l’abri dans des hangars verrouillés et officiellement, les cours ont pas commencé. C’est une tolérance et…
— Vous avez peur d’enregistrer les saloperies de vos Renards ?
— C’est le contraire ! s’offusqua Le Guen. On veut protéger l’honneur des débutants ! Si jamais y en a un qui craque, autant pas laisser de traces.