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— Y aura pas de problème.

— On peut attaquer la recherche FAED dès ce soir, ajouta Neveux. Et celle de la FNAEG demain matin.

Le flic se sentait mieux avec ces enquêteurs : des gendarmes certes, mais des traqueurs de tueurs comme lui.

— Qu’est-ce qu’on cherche au juste ?

— On saura quand on aura trouvé.

Neveux eut un geste vague — « C’est vous qui voyez » — et remit sa capuche :

— Le point à minuit. Si je vous dis : « Ça brûle », c’est que je manque de vocabulaire.

Ils abandonnèrent le coordinateur et regagnèrent leur chambre-commissariat. Kripo avait déjà installé les ordinateurs, déployé la doc, épinglé des cartes aux murs. Un portrait de Wissa trônait en bonne place, histoire que chacun se souvienne que le puzzle avait été un jeune homme à la peau de pêche et à la volonté d’acier.

Point rapide avec Verny : le gendarme n’avait rien trouvé du côté des faits divers anciens ni des libérés récents dans la région.

— Et les instituts psychiatriques ?

— Y a une UMD à quarante bornes d’ici…

Les unités pour malades difficiles sont des asiles psychiatriques pour criminels : 50 % hôpital, 50 % prison, 100 % terrifiants. Au fond du cerveau d’Erwan, une hypothèse se ralluma : un tueur dans la lande, sans le moindre rapport avec l’école.

— Je les ai contactés : rien à signaler, ajouta Verny.

— Comment s’appelle l’hosto ?

— L’institut Charcot.

— Continuez à gratter dans cette direction.

L’officier eut un mouvement brusque des épaules, comme si son pull le démangeait.

— Quelle direction ? J’ai dû manquer un épisode parce qu’aux dernières nouvelles, on enquête sur un élève qui s’est planqué dans…

— J’ai parlé au légiste. Wissa était mort avant que le missile n’explose.

— Mort ? Mais comment ?

— A priori, torturé et mutilé.

Verny passa un doigt sous le col de son pull. Incrédule, il regardait tour à tour les deux flics, en quête d’explications.

— Pour l’instant, on garde l’info pour nous, dit simplement Erwan.

— Torturé et mutilé…

— Sur l’embarcadère, du nouveau ?

— Hein ? Non. On a interrogé les voisins et passé le quai au peigne fin. Sur le littoral, on frappe à toutes les portes. On a aussi contacté la capitainerie : ils savent rien.

Il parlait d’une voix creuse, l’air abasourdi.

— Le Guen ?

— Il planche sur le passé et l’entourage de Wissa, répondit le gendarme. On en saura plus tout à l’heure.

— Archambault ?

— Sur la route du retour. Torturé et mutilé… Faut prévenir l’état-major.

— Non. Le rapport d’autopsie n’est pas rédigé. On a la nuit pour avancer.

— Mais… à quoi ça nous sert ?

— À éviter les contraintes : je ne veux personne dans mes pattes, et surtout pas des gradés avec des conseils et des discours ronflants. Continuez à chercher tout ce qui pourrait être lié à une violence de ce calibre dans la région. Et retrouvez-moi la trace du bateau qui est allé à Sirling !

Verny partit sans un mot. Sur le seuil, il s’arrêta, se retourna et, sans doute pour se rassurer, les gratifia d’un salut militaire.

Erwan ne répondit pas. Cette raideur commençait à lui peser. Base trop petite, uniformes trop serrés, cerveaux trop étroits… Surtout, depuis le matin, il n’avait pas vu une femme. Même à la BC, qui n’était pas précisément un salon de coiffure, on croisait toujours des petits culs à reluquer.

Il regarda sa montre puis fit signe à Kripo :

— On reprend l’audition.

21

Les renards ne lui apprirent rien non plus. Ils n’étaient même pas les fachos antipathiques qu’Erwan imaginait. Aussi sonnés que les première année, ils se raccrochaient aux valeurs de leur école et de l’armée en général. Ils faisaient corps, non par solidarité ni culpabilité mais pour préserver leur propre identité.

Quant à repérer parmi eux un ou plusieurs bourreaux capables de torturer jusqu’à la mort un jeune homme, impossible. Erwan avait aussi jeté aux orties les mobiles, disons, classiques pour un flic de terrain : vol, crime raciste, rivalité amoureuse, pulsions sexuelles morbides… Sans pouvoir encore expliquer son feeling, il sentait que ce meurtre avait à voir avec la souffrance pure — et l’esprit de la maison, c’est-à-dire de l’école.

La seule information qu’il avait pu soutirer était la suite des opérations prévues si la mort de Wissa n’avait pas tout interrompu. Dans l’ordre du sadisme et de la cruauté inutile, le standard demeurait élevé. Après le cercle de la chasse (les taches de couleur réalisées au paintball conditionnaient des gages qui surviendraient durant l’année scolaire), la matinée devait s’organiser autour du cercle de la mer. Une course où les Rats devaient nager durant un kilomètre, lestés de pierres et « parés » de colliers d’algues et de méduses. Erwan imaginait assez bien les EOPAN épuisés, la peau à vif, essayant de couvrir la distance dans l’eau glacée, avec des pierres sur le dos et des méduses leur envoyant des décharges urticantes.

L’après-midi devait s’achever sur une mystérieuse épreuve, le no limit, également surnommée le « cercle de sang ». Ça promettait. Mais à ce sujet, les Renards étaient restés évasifs. Pour les uns, il s’agissait d’une étape facultative. Pour les autres, c’était l’EOPAN lui-même qui définissait jusqu’où il voulait aller sur ce terrain. Erwan supposait une sorte d’échelle de la souffrance sur laquelle l’élève testait ses propres limites. Les Renards étaient tous d’accord sur un point : le cercle de sang avait été conçu et préparé par le BE (bourreau exclusif), un dénommé Bruno Gorce, leader des Renards de la promotion. Selon eux, il était le plus énergique — c’est-à-dire le plus vachard — et le plus autoritaire — traduisez : le plus cruel. Erwan avait compris qu’il s’agissait de l’excité qui hurlait : « Vous êtes finis à la pisse ! » Hasard des interrogatoires, il était le dernier de sa liste.

Un flic doit toujours se méfier des jugements expéditifs mais Gorce avait vraiment la gueule de l’emploi. Même carrure que les autres, même coupe en brosse, même visage inexpressif mais sous les sourcils qui se rejoignaient comme deux amarres, brillait une étincelle supplémentaire. Il s’approcha de la table vêtu d’un battle-dress couleur camouflage, un foulard orange glissé dans son col. Il porta la main à sa tempe en claquant des talons, raide comme une trique.

— Lieutenant Bruno Gorce, EOPAN troisième année à la base aéronavale de Kaerverec 76, responsable du BDE et de l’association des officiers sous contrat de…

— Assieds-toi.

Gorce tiqua au tutoiement. Après deux heures de coupes en brosse et d’idées biseautées, Erwan était mûr pour un interrogatoire à la dure. Le Renard en chef faisait un candidat idéal. Il s’installa sur la chaise et se tint aussi droit que lorsqu’il était debout. Il paraissait sanglé dans un corset de certitudes.

— C’est donc toi le fameux BE ?

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Je veux dire : bourreau exclusif. Je veux dire : bel enfoiré.

Déstabilisé, Gorce toussa :

— C’est moi.

— Parle-moi du no limit.

Il balança un regard oblique à Erwan. Il s’attendait sans doute à une audition plus formelle, centrée sur Wissa Sawiris et son « accident ».

— J’ai pas à parler de ça.

— Pourquoi ?