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— Pas mes messages, cousin. Tes comptes en Suisse. Ainsi que ceux de ton fils.

— Donne-moi ça !

Il tendit le bras mais Luzeko l’esquiva, avec une dextérité inattendue pour un prétendu infirme.

— Tu crois être le seul à avoir des dossiers, toubab ? (Il lut posément son écran.) Tu savais que Loïc avait toujours un compte commun avec sa femme ? Pas très raisonnable, vu leurs rapports…

Morvan arma son poing :

— Enculé de Nègre !

La gueule noire d’un.45 l’arrêta. Grande Chaleur braquait un calibre dans sa direction.

— Assieds-toi et écoute-moi bien.

Morvan se laissa retomber sur sa chaise.

— On se contente pas de casser quelques gueules gare du Nord. On a nos réseaux, nos alliés, nos renseignements. C’est toi qui nous as appris ça, Morvan.

— Pourquoi vous menacez mon fils ?

— Je te dis que c’est pas nous. (De sa main gauche, il saisit la feuille aux plis coagulés et la balança au visage du flic.) Une langue de bœuf ? Un mot écrit en p’tit nègre ? Pour qui tu nous prends ? Quand ton fils passait son bac à moitié bourré, j’étais déjà à Sciences po !

Morvan empocha la lettre, faisant mine de capituler. Il se leva et lissa son costume. La seconde suivante, il balançait un tranchant de la main, façon shomen uchî, sur le poignet du connard qui lâcha son arme sans un cri. De son autre main, le Vieux le souleva du sol. Pas mal pour ton âge.

Il sortit à son tour son portable, tout en maintenant sa prise. Luzeko n’esquissa pas le moindre geste pour se défendre. Le flic lui fourra l’écran sous le nez :

— Moi aussi, j’ai mes renseignements. Tu sais ce que c’est, ma couille ? La prochaine charrette de la Cour pénale internationale. Souris : t’es en tête de liste !

— Qu’est-ce… qu’est-ce que tu racontes ?

— Personne n’a oublié ton passé dans la brousse.

— Des mensonges !

Le flic desserra son étreinte et éclata de rire :

— Tu sais que le cannibalisme, c’est excellent pour la vigueur sexuelle ? Ma parole, avec ce que t’as bouffé là-bas, tu dois en avoir des petits bâtards dans la forêt !

— Nquilé, tu…

— Ta gueule. Si tu suis pas mes ordres, je me ferai un plaisir d’aller témoigner à La Haye.

— Qu’est-ce que tu veux au juste ?

— Trouve-moi les enfoirés qui ont écrit ce message et démerde-toi pour savoir qui se cache derrière.

Il recula de deux pas. Il était toujours possible que Grande Chaleur tente quelque chose mais il rajustait simplement sa minerve.

— Je te donne quarante-huit heures. Un mot de moi et ton nom disparaît de cette liste.

— Je t’appelle ?

— C’est ça, pour me filer la vérole. Je viendrai en personne recueillir ton « auguste parole », prévint-il en marchant vers la porte.

Une fois dehors, il s’essuya le visage et la nuque avec des Kleenex. Son costume puait la transpiration et les miasmes de joint : il était bon pour retourner se changer. Merde.

Sur le boulevard de Strasbourg, ils étaient déjà tous là, à pied d’œuvre, groupés autour de la bouche de métro. Coiffeurs-défriseurs. Glandeurs professionnels. Marchands de bitume. Dealers en tous genres, sans doute armés pour éviter de se faire braquer. Une fusion indémerdable entre survie et pognon, trafic et fainéantise, violence et joie de vivre. Putains de Blacks… Au fond, Morvan les aimait bien.

D’un geste, il effaça le texte qu’il avait exhibé sous le nez de Luzeko : une simple liste de flics promus et leur mutation. Il n’y avait pas d’enquête internationale sur le Katanga. Personne n’était pressé d’initier là-bas la moindre investigation. La seule priorité était l’exploitation des mines.

Avec le recul, il se dit que Luzeko avait dû bluffer lui aussi. Ses données ne devaient être que sa dernière facture de costumes donnée au pressing.

Deux caïds en carton. Deux trouillards qui avaient tant de choses à se reprocher qu’il suffisait à chacun d’allumer un mobile pour que l’autre chie dans son froc. Lamentable.

À cet instant, le portable vibra dans sa main. Erwan.

31

— Qu’est-ce que tu racontes ?

Erwan répéta ses explications : le trou du missile, les recherches, la découverte de la chevalière. Au téléphone, il ne pouvait pas la jeter au visage de son père, mais l’esprit y était.

— Calme-toi, fit Morvan de sa voix de stentor. Tu es flic. Ton rôle est d’analyser les faits.

— Tous les flics ne trouvent pas un indice pareil sur une scène de crime.

— C’est pas la mienne.

— Tu oublies que je la connais bien. Le blason de la famille. L’aigle et la feuille de fougère.

— La mienne est à mon doigt.

— Vraiment ? Tu as toujours prétendu qu’il n’y en avait qu’une. Les symboles de notre clan !

— J’ai menti.

Erwan se tut. À toute chose malheur est bon : un voile tombait.

— C’est du toc, avoua Morvan. Une babiole vendue sur n’importe quel marché du Finistère ou des Côtes-d’Armor.

— Pourquoi nous avoir raconté ça ?

Erwan se calmait : mieux valait un mensonge qu’un meurtre.

— Parce que vous avez toujours méprisé vos racines. J’ai cru qu’avec cet objet, j’allais donner du crédit à vos origines bretonnes.

Erwan prit un ton ironique :

— Tu veux dire que la dynastie des Morvan-Coätquen n’existe pas ?

— Elle existe mais on a jamais été une lignée d’aristocrates. De simples pêcheurs. Ce qui ne nous a pas empêchés de participer à la chouannerie.

— Pourquoi je te croirais aujourd’hui alors que tu mens depuis notre naissance ?

— Je te répète que la chevalière est à mon doigt. Tu peux vérifier sur Internet ou chez n’importe quel marchand de souvenirs, on peut se la procurer partout. Je l’ai achetée après la naissance de Gaëlle, dans les années 80.

— Je ne peux croire à un hasard.

— Ton rôle n’est pas de croire mais de trouver. Tu vas faire une analyse ADN ?

Son mea culpa terminé, Morvan avait déjà repris son ton autoritaire.

— Inutile. On l’a exhumée de la boue. D’ailleurs, toute la scène baigne dans son jus. Aucune chance de dénicher quoi que ce soit.

— Tu m’as donné aucune nouvelle. La version bizutage ne tient plus ?

— Je parlerais plutôt de lynchage : Wissa Sawiris a été assassiné, après avoir été torturé. Il était mort avant que le missile ne l’atteigne.

— Qu’est-ce que tu sais d’autre ?

Erwan ne put lui livrer que des suppositions : l’étudiant supplicié dans la lande, la dépose du corps au fond du bunker par le ou les tueurs.

— Des suspects ?

— Les élèves de Kaerverec. Soit ils ont pété les plombs, soit ils ont voulu éliminer un témoin gênant.

— Témoin de quoi ? Il y aurait eu préméditation ?

— Tout est possible. J’exclus pas non plus un tueur de l’extérieur qui passait par là. Le genre Francis Heaulme.

— Tu nages complètement, quoi.

Erwan ne répondit pas, il devait avant tout éclaircir cette histoire de chevalière.

— T’as rédigé une synthèse ? reprit son père.

— Pas encore mais ça sera vite fait.

— Et la conf’ de presse ?

— Impossible aujourd’hui : pas assez de biscuits.

Morvan, de plus en plus Commandeur :

— Je veux un rapport détaillé par mail pour ce soir. Tu donnes rien à la substitute avant que je l’aie lu. Je m’arrangerai avec elle. Conférence de presse demain matin, dernier carat, quel que soit le degré d’avancement de l’enquête.