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Erwan chercha des objections mais le Vieux avait raison : impossible de repousser encore l’échéance. Il raccrocha et considéra le décor qui l’entourait.

Ils venaient d’accoster à l’embarcadère où les ETRACO de l’école étaient amarrés, un simple ponton cerné de roseaux, aux piliers rongés par la vase. Erwan s’était éloigné pour appeler son père — pas de réseau sur Sirling. Archambault rinçait le pont du Zodiac. Verny et Le Guen aidaient les techniciens scientifiques à décharger leurs mallettes. On aurait dit un retour de colo.

Il fit quelques pas vers le rivage et découvrit une côte touristique, ponctuée de jolies maisons blanches aux volets bleus, où des hortensias éclataient sur chaque seuil. Comment expliquer qu’avec tous ces témoins potentiels, personne n’ait « rien vu, rien entendu » ?

Il n’avait pas cru un mot des explications de son père mais ses soupçons ne tenaient pas non plus. Si le Vieux avait été impliqué dans ce meurtre — pour une raison inimaginable —, il n’aurait jamais laissé sur place un objet aussi personnel. Ou alors il s’en serait aperçu et n’aurait pas délégué son fils sur l’affaire. Un coup monté ? Ou simplement une autre bague, comme il le prétendait ?

Erwan s’orienta vers la plage, ôta ses chaussures et fit connaissance avec le sable humide. La marée était basse et quelques bateaux étaient échoués. C’était un spectacle triste, désolé, mais qui révélait une autre clé du pays : ces bateaux ne se contentaient pas de naviguer sur la mer, ces hommes de marcher sur le sable, un lien intime les unissait. Une sorte de fusion, de soudure ancestrale avec la terre bretonne.

Il vérifia ses messages. Muriel Damasse, Vincq, les parents de Wissa… Il ne voulait plus de contact d’aucune sorte. Seulement se concentrer sur l’enquête.

Il atteignit une crique cernée de pins et de cyprès. Des résidus charriés par le ressac s’y accumulaient : lambeaux de cordages, fragments de polystyrène, bois flotté…

Son portable sonna de nouveau. Il y jeta un coup d’œil prudent : Clemente, le légiste.

— J’ai du nouveau.

— À propos de quoi ?

— Les blessures.

Erwan observait au loin ses compagnons qui rejoignaient les voitures. Malles et valises disparaissaient dans les coffres.

— J’ai étudié les restes les mieux préservés, continua Clemente. Ceux dont je pouvais analyser les tissus, les lésions, les saignements. C’est effrayant : il y a des blessures partout. La plupart ont été provoquées par des armes blanches, des pointes, des lames.

— Vous en avez retrouvé des fragments ?

— Dans certaines plaies, oui.

— Vous les avez identifiés ?

— Non. La chaleur a fait fondre le métal et…

— Envoyez-les à Neveux, l’analyste criminel. Quoi d’autre ?

— Je vous confirme que ces actes de barbarie ont été commis alors que le gamin était vivant. Le visage surtout m’a frappé. Le tueur s’est… acharné dessus. On dirait qu’il a utilisé une pointe, un tournevis, un objet de ce genre, et qu’il a percé des trous dans les joues et les gencives. Il y a aussi une série de perforations sur une épaule…

Erwan ne sentait plus ses pieds enfoncés dans le sable froid. À cet instant, le soleil creva la masse des nuages et éclaboussa la crique. Les rochers se couvrirent de paillettes, les aiguilles des pins se mirent à pétiller de toutes leurs gouttelettes.

— Vous avez eu le temps d’étudier d’autres vestiges ?

— Une partie de l’abdomen. À l’intérieur, j’ai découvert quelques tissus intacts qui m’ont permis de pratiquer une analyse plus poussée. On lui a prélevé des organes.

— Quoi ?

— J’ai repéré des coupures très nettes de nerfs, de ligaments. On a tranché dans ces zones avec du matériel spécialisé.

— Un bistouri ?

— Ce genre-là, oui.

— L’assassin est médecin ?

— Il a certaines connaissances anatomiques, en tout cas. Mais impossible de dire s’il a suivi quinze années d’études ou s’il a été infirmier au front.

— Pourquoi « au front » ?

— Je dis ça comme ça. L’ambiance militaire.

Derniers claquements de portières. Erwan tourna la tête. Tout le monde était monté en voiture. Derrière les pare-brise, il devinait les paires d’yeux braquées sur lui. Il les fit patienter d’un signe de la main.

— Quels organes ont disparu ?

— Difficile d’être sûr. Le foie, la vessie, la prostate… Plus bas, c’est trop endommagé pour en tirer des conclusions précises mais je pense qu’on lui a prélevé aussi les organes génitaux. Ça collerait avec le reste.

— Quel reste ?

— Il a été violé.

— Comment pouvez-vous le savoir si cette partie est détériorée ?

— Pas à l’arrière. Je suis désolé pour ces détails mais la région anale porte la trace de multiples blessures. D’après la paroi interne du rectum et des sphincters, Wissa a subi un viol extrêmement brutal.

— De son vivant ?

— Sans doute : les tissus ont saigné.

Erwan revenait en terrain de connaissance : violences sexuelles, la mort substituée à l’amour, sauvagerie lancinante de l’homme…

— Vous avez trouvé du sperme ?

— Non. Il n’y a pas eu éjaculation. On a utilisé un outil, un instrument. Certaines entailles sur les fesses évoquent un engin multitranchant, une barre de fer hérissée de lames ou de clous. Comme les masses d’armes du Moyen Âge qui portaient parfois des ailettes très coupantes.

Connaissances médicales, ablation d’organes, utilisation d’instruments délirants : le scénario d’un lynchage improvisé s’éloignait. Bienvenue au tueur psycho. Erwan songea aux parents de Wissa qui allaient demander à lire le compte rendu d’autopsie.

Il revint sur l’aspect chirurgical qui rompait avec une violence chaotique :

— Il y aurait un intérêt à prélever ces organes ? Pour une greffe, par exemple ?

— Non. A priori, aucune condition d’asepsie n’était remplie pour préserver le… enfin, le matériel. Je pense plutôt que le gars a gardé ça pour sa collection personnelle. Le genre à se branler tous les soirs dans un bocal plein d’organes.

Le cynisme de Clemente revenait mais sa voix était lasse — rien de plus épuisant que la férocité humaine.

Le soleil avait disparu. La plage baignait maintenant dans un bain de plomb qui pesait sur chaque détail. Le paysage semblait avoir du mal à respirer.

— Vous pouvez mettre tout ça par écrit et me le mailer ?

— J’ai pas fini.

— Vous pensez pouvoir trouver autre chose ?

— Je vous le dirai demain matin.

— Appelez-moi dans la nuit à la moindre découverte. Vous avez vraiment fait du bon boulot.

— Dans certains cas, on aimerait mieux en rester là.

— N’oubliez pas d’envoyer les fragments de métal à Neveux.

Erwan raccrocha et rejoignit les voitures au pas de course. L’averse avait déjà repris.

— La substitute a appelé, prévint Archambault. Elle aimerait que vous…

— Plus tard. Elle m’emmerde.

Le gendarme s’engagea sur la départementale sans insister. La visibilité ne dépassait pas trois mètres. Les gouttes énormes s’écrasaient sur le pare-brise comme des bombes à eau. Cette marée aveuglante cadrait bien avec la confusion d’Erwan : impossible d’aligner une idée claire.

Il se rendit compte qu’Archambault avait repris la parole.

— Quoi ?

— Philippe Almeida vous attend à la base.

— Qui c’est ?

— Le médecin de Kaerverec : vous vouliez le voir…