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— Ces pointes, tu penses qu’elles proviennent d’une arme ?

— J’en sais rien. Ce sont des débris trop infimes.

— Et l’ADN de la salive ?

— Rien à en tirer. Les échantillons sont pollués.

— T’as reçu les pointes de Clemente ?

— Je les attends.

— Rappelle-moi dès que tu les auras regardées de près.

— Dernier truc : au fond du trou, on a aussi découvert des bouts de miroir. Soit le tueur s’en est servi pour infliger ses mutilations, soit il en a besoin pour lui-même.

— C’est-à-dire ?

— Se maquiller, se coiffer, je sais pas. Il s’est passé dans ce bunker quelque chose… d’inimaginable.

Erwan était d’accord mais il s’abstint de tout commentaire — chez les flics comme partout ailleurs, moins on en dit, plus on a l’air malin. Il raccrocha après l’avoir remercié. Aussitôt, la vibration reprit dans sa main. Il allait finir par choper la maladie de Parkinson.

— C’est moi.

Le Padre en personne.

— J’allais t’appeler, dit Erwan, j’ai pas eu le temps de rédiger la synthèse de…

— Ton frère est en garde à vue.

— Quoi ?

— Ce con s’est fait accrocher avec douze grammes de coke. Je sais pas qui est derrière ça mais…

Un tueur qui volait des organes, suçait ses instruments de torture, violait avec des armes acérées… Face à une telle démence, les frasques du petit frère millionnaire ne pesaient pas lourd.

— Tu lui as envoyé un avocat ?

— Non. Une nuit en cellule, ça lui fera pas de mal.

— Tu vas en rester là ?

Rire tonitruant. Le rire d’un ogre qui n’aurait pas mangé depuis longtemps.

— Je t’appelle pour savoir si tu connais quelqu’un aux Stups.

— Plus maintenant mais je peux me renseigner, je…

— Laisse tomber. Il faut que tu rentres.

— Pour torcher mon frère ?

— J’ai un mauvais pressentiment : rentre.

— Je dois boucler cette affaire.

— Où t’en es au juste ?

— Il faut oublier le bizutage. Et même ma théorie du lynchage. On a affaire à un tueur dément. Sans doute un des pires meurtriers du début du siècle.

— Qu’est-ce que c’est que ce verbiage ? T’es flic ou journaliste ? Bon dieu, accroche-toi aux indices et retrouve l’enfoiré !

— Donne-moi la nuit.

— Quand je t’appelle demain matin, t’es sur l’autoroute.

38

Erwan raccrocha et considéra un instant le mobile au creux de sa paume. À la différence du Vieux, il savait qui était à l’origine du coup des Stups.

Il composa un numéro de mémoire et attaqua sans préambule :

— Qu’est-ce que t’as foutu avec Loïc ?

— Je t’avais prévenu.

— T’es en train de briser une famille.

— Elle est bonne.

Sofia perdait beaucoup de son charme au téléphone : elle avait une voix aigre, trop aiguë.

— Je sais pas ce que tu cherches mais les enfants ont besoin de leurs deux parents.

— Économise-toi pour l’audience, répliqua-t-elle. Vos discours ne pèseront pas lourd face à mon dossier. C’est ce que vous dites chez les flics, non ? « Des faits, rien que des faits. »

Malgré lui, il admira son aplomb : elle était de taille à affronter les Morvan.

— Pourquoi ne pas vous entendre ? Renoncer au divorce pour l’instant ? Vous réfléchissez et…

Elle éclata de rire :

— Vous vous êtes toujours crus les plus forts mais la loi est la même pour tous : c’est une Italienne qui va vous le prouver.

— Tu peux t’organiser avec Loïc…

— Non. Je veux un accord en bonne et due forme.

Il révisa mentalement ses arguments : une plaidoirie improvisée.

— De toute façon, après deux ans de séparation de corps, tu obtiendras le divorce pour altération définitive du lien conjugal.

— Tu es bien renseigné.

— Votre séparation prend la tête à tout le monde.

— Tu veux dire à toi et ton père.

— Peu importe. Vous êtes déjà séparés depuis un an, encore une année et…

— Trop long. Pendant ce temps-là, mes enfants sont ballottés entre deux domiciles et ils vivent la moitié du temps sans règle ni horaire.

— Tu noircis le tableau. Il n’y a pas que Loïc. Il y a Maggie, Gaëlle…

— Une hippie à moitié givrée et une…

— Tais-toi !

Elle marqua une pause. Il l’entendait tirer sur sa cigarette et imaginait son visage voilé par les volutes bleutées.

— Concrètement, qu’est-ce que tu espères avec les Stups ? reprit-il.

— Si Loïc signe une conciliation selon mes conditions, je ne citerai jamais son arrestation.

— C’est une garde à vue !

— Selon mon avocate, avec douze grammes dans les poches, il peut être inculpé pour trafic illicite et recel aggravé.

— Toi aussi t’es bien renseignée. Et s’il refuse ?

— J’invoque la faute grave.

— Quelle est la différence entre les deux options ? Tu gagnes à tous les coups.

— S’il accepte, il pourra voir les enfants régulièrement. Si nous allons devant le juge pour faute, il ne les verra plus : on ne confie pas des mômes à un trafiquant.

Il essaya de déglutir. La bile lui brûlait l’œsophage.

— Pourquoi te faire confiance ?

— D’abord, parce que vous avez pas le choix. Ensuite, parce que je pense aussi que nos enfants ont besoin de leur père.

— Je vais parler à Loïc.

— Tu aurais dû le faire quand je te l’ai demandé.

— Ça ne te gêne pas d’agir comme un maître chanteur ?

Nouveau rire :

— C’est Machiavel qui l’a dit, et il était de chez moi : on doit s’adapter à son ennemi. Loïc est un être faible mais ton père est un homme dangereux contre lequel je dois me protéger.

Beaucoup plus dangereux que tu ne penses… Si elle continuait à ce rythme, il était capable de foutre un contrat sur sa tête. Mais elle bénéficiait d’une assurance vie : Morvan voulait que ses petits-enfants grandissent auprès de leur mère.

Tout à coup, il fut pris d’une terrible lassitude. Qu’ils se démerdent entre eux, les deux parrains, la sorcière italienne et le défoncé bouddhiste… D’ailleurs, pourquoi s’opposer à ce divorce ? Loïc, malgré ses bonnes intentions, était un père déplorable. Quant au Vieux, personne ne comprenait pourquoi l’officialisation de cette rupture le mettait dans tous ses états. Il n’avait jamais pu encaisser Sofia et haïssait le ferrailleur florentin.

Erwan allait raccrocher quand elle proposa :

— Et si on dînait ensemble à ton retour ?

— Pour quoi faire ? demanda-t-il sur la défensive.

Elle rit encore, d’un rire franc et moqueur. Dans ces cas-là, son timbre baissait de plusieurs degrés et on y percevait tout à coup les accents rauques des chansons italiennes.

— D’habitude, j’ai plus de succès.

— Excuse-moi : dînons ensemble, bien sûr.

— Quand ?

— Dans quelques jours, hasarda-t-il.

— Appelle-moi à ce moment-là. Je vais demander à mon avocate si j’ai le droit de te parler.

Elle raccrocha sans qu’il sache si elle plaisantait ou non. Troublé, il empocha son cellulaire et se replongea dans ses recherches. Il allait cliquer sur une ligne portant sur les navires amiraux quand un bruit lui fit tourner la tête.