Выбрать главу

— Putain !

Dehors, un homme agrippé au châssis de la fenêtre l’observait. Erwan attrapa son calibre, bondit et tenta d’ouvrir la vitre. Pas moyen. Cinq bonnes secondes pour piger le mécanisme latéral et débloquer enfin la poignée.

L’autre avait sauté à terre et détalait en direction du tarmac. Erwan évalua la hauteur : trois mètres au moins. Encore une prouesse de jeune homme.

Il rengaina, enjamba la pièce d’appui et se posta sur la gouttière : pas impossible mais après la corrida des thermes… Il sauta en ramassant son corps au maximum, atterrit sur le gazon, roula sur lui-même et se remit debout avec difficulté. Il avait mal partout. Ou plus exactement, pas une zone de son corps ne lui semblait indolore.

Qui était ce gars ?

Courir d’abord. La réponse au bout.

39

La nuit avait la gorge sèche.

Sur la lande, toute trace d’eau ou d’humidité avait été aspirée. Le ciel, l’air, la terre paraissaient près de se casser comme du verre.

Erwan n’avait jamais dépassé l’enceinte des bâtiments. Entre les deux édifices, il découvrit un paysage absolument plat, offrant sans doute, de jour, une visibilité jusqu’à la mer. Le fuyard se découpait comme une flamme noire dans le halo des projecteurs.

Erwan ne gagnait pas du terrain, il en perdait. Mais il était sûr de sa méthode. Sa proie n’avait pas d’autre choix que de foncer droit devant lui. Tôt ou tard, il se fatiguerait, alors Erwan le rattraperait. S’il avait renoncé aux sports de combat, il pratiquait toujours assidûment la course, et cette fois, pas question de se faire avoir.

Il sortit de la zone protégée par les hangars comme on sort de la rade d’un port et soudain, la nuit révéla sa vraie nature. Un vent furieux, craché par le large, faillit l’abattre au sol. Il récupéra son équilibre et repartit de plus belle. L’autre s’éloignait toujours, luttant contre les bourrasques, sautillant de droite à gauche, s’épuisant au fil de la piste. Il était vêtu d’un treillis militaire et d’un anorak noir : un homme de la base.

Erwan trouvait son rythme. Il progressait de trois quarts face au vent, déchirant la nuit comme un couteau tranche la toile d’une tente. Ses points de douleur se réveillaient mais ils lui semblaient se dissoudre dans la chaleur de son corps.

Trois cents mètres environ le séparaient de l’autre. Il n’accélérait toujours pas : il faisait confiance au décor. À droite et à gauche, les avions tremblaient sous leurs housses. Des câbles invisibles, des crochets ne cessaient de cliqueter, rappelant les drisses des voiliers qui tintinnabulent dans les ports.

Tarmac. Plus de projecteurs, seulement des veilleuses enfouies dans le gazon. L’espion montrait des signes de fatigue. Erwan allongea sa foulée. Le vent ne le freinait pas mais le nourrissait. Il se gorgeait des rafales, buvait leur fraîcheur.

Le fugitif à deux cents mètres. Ils couraient maintenant dans un silence oppressant. Les mâts et les avions étaient loin derrière eux. Ne restaient que le vent qui mugissait, le ciel qui lançait des traînées huileuses, irisées, façon aurores boréales, et leurs pas qui frappaient le ciment — tap-tap-tap-tap…

Cent mètres. Devant Erwan, la nuque et la coupe en brosse. Aucun moyen de l’identifier. Cinquante mètres. Il se ferma au monde extérieur et attaqua son sprint.

Trente mètres… Vingt mètres…

— HALTE !

En un mouvement réflexe, il tourna sur lui-même sans s’arrêter, cherchant la voix dans les ténèbres. Un soldat jaillit d’un fossé, FAMAS en main. La base de Kaerverec était soumise à une surveillance militaire. Comment avait-il pu oublier ça ?

Malgré lui, il ralentit. Erreur fatale. L’autre continua de plus belle, se fondant dans les ténèbres. Le flic voulut hurler quelque chose mais il était à bout de souffle. Il se plia en deux, mains en appui sur les genoux, crachant un gémissement. Chaque seconde creusait un peu plus la distance avec le fuyard. Une radio VHF retentit : le garde baissa les yeux vers sa ceinture.

Sans réfléchir, Erwan repartit à fond.

— ARRÊTE-TOI ! ARRÊTE-TOI OU JE FAIS FEU !

Roulements de pas, cavalcades autour de lui. Des sirènes, des grondements de moteur. L’alerte était donnée. Il courait toujours. Une détonation éclata dans le vide de la nuit. Tir de semonce.

— ARRÊTE-TOI !

Il essaya d’accélérer. Impossible. Il sentait, comme un mur, la limite de ses forces. Quelques foulées encore et il s’effondrerait sur le bitume. Nouvelles détonations. Des soldats largués par des véhicules. Des interférences, des codes hurlés aux quatre coins de la piste. Il reprit de la vitesse — la peur, le plus puissant des stimulants.

Une fois dans les bois, il ralentit malgré lui. Tout son corps était brûlé par l’acide lactique. L’adrénaline gorgeait son sang. À travers ses larmes, les arbres se déformaient, l’obscurité coulait entre les troncs comme du goudron. Derrière lui, la cavalerie arrivait. Il se dit qu’il était cuit mais déjà les fûts s’espaçaient : la forêt n’était qu’un mince ruban avant la plage.

Une levée sablonneuse, puis le fracas du ressac. Il tenait sa proie. Retrouvant un semblant d’espoir, il se hissa sur la dune et découvrit la marée haute. Les rouleaux se brisaient à quelques dizaines de mètres seulement devant lui.

Personne. Des sommations dans son dos. Erwan tomba à genoux quand un éclair blanc déchira le ciel. Un missile. Non, une fusée éclairante. La patrouille arrivait sur la plage et faisait la lumière sur la zone.

Il balaya la grève d’un regard. À deux cents mètres sur sa gauche, le fugitif se détachait. Erwan se releva et repartit alors que des flammèches retombaient déjà dans des chuintements.

Cinquante mètres. L’obscurité revenait. Trente mètres. Le fuyard titubait comme un ivrogne, penchant vers les flots, remontant sur le sable, toujours au bord de la chute. Dix mètres. Erwan s’élança et le plaqua au sol. Ils roulèrent dans l’écume. Il l’attrapa par le col et le retourna.

— Qui tu es ? hurla-t-il.

Pas de réponse. Il ne voyait qu’un visage noyé d’ombre. Les vagues remontaient vers eux et leur léchaient les membres. Le vent charriait une odeur de soufre.

— QUI TU ES ?

Erwan levait le poing quand une nouvelle fusée éclata. Dans le flash, il reconnut le visage : il l’avait déjà vu quelque part mais impossible de dire où.

— D’où tu viens ?

— J’m’appelle Frazier. J’suis du Charles-de-Gaulle  !

Un des officiers mariniers qu’il avait croisés sur le porte-avions, dans la lueur rouge des couloirs.

— Pourquoi tu m’espionnais ?

Le brasier blanc dans le ciel faisait osciller la plage. Erwan avait empoigné le marin par le col et le serrait à l’étouffer. Les soldats déboulaient de tous les côtés à la fois. Plus que quelques secondes pour lui tirer un mot.

— Parle, nom de dieu !

— La nuit de vendredi… j’ai vu quelque chose…

— Où ? Sur le Charles-de-Gaulle  ?

Une nouvelle fusée explosa.

— PARLE !

— Quelqu’un a pris la mer… Sur un ETRACO…

— QUI ?

Le flash passa dans les pupilles du jeune gars. Erwan voyait ses lèvres trembler. Derrière lui, l’écume se cuivrait et évoquait un métal en ébullition.

— LÂCHE-LE ET MAINS EN L’AIR !

— Qui a pris la mer ? QUI ?

— LÂCHE-LE OU ON TIRE !

Le flic leva les bras. C’était foutu. Sur la crête de sable, une ligne de soldats le tenaient en joue sur fond de pins scintillants de soufre.

À cet instant, Frazier se redressa et l’agrippa au col.

— Di Greco, lui cracha-t-il à l’oreille. Di Greco est parti à terre cette nuit-là !