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— Ho, ho, ho, mais qui voyons-nous venir ? fit-il d’une voix théâtrale. Le maître de la place Beauvau, the Punisher en personne. Que nous apportez-vous là, grand maître ?

Morvan plaqua sur le bureau l’ordonnance du proc et siffla entre ses dents :

— Torche-toi avec ça. Tu sors mon fils du dépôt, là, tout de suite, et j’essaie d’oublier ton nom.

Le commandant fit tomber ses pieds sur le sol, simulant une fatigue exagérée, puis ouvrit un tiroir. L’un après l’autre, il lança sur le bureau des sachets de coke, eux-mêmes empaquetés dans des enveloppes à scellés transparentes. Toutes étiquetées « Loïc Morvan ».

— Douze grammes, fit-il en changeant de ton, ça fait un peu beaucoup pour une consommation personnelle, non ? Je parlerais plutôt de trafic illicite de stupéfiants. Ou encore d’éléments constitutifs de recel aggravé.

— Tu peux pas étouffer quelques grammes, non ?

Kursanoff prit un air offusqué : ses yeux sombres parurent reculer au fond de ses cernes.

— Depuis quand les Stups s’assoient sur des quantités pareilles ?

— Depuis que tout l’étage se talque le pif. Putain, me la joue pas incorruptible ou je vais vraiment m’énerver !

Le flic se leva et contourna son bureau. Il ne devait pas dépasser un mètre soixante-dix ni peser plus de soixante kilos. Pourtant, il ne manifestait aucune peur face au colosse :

— Les temps ont changé, papa. Tu peux plus arriver ici et faire ta loi. Les barbouzes, c’est bon pour les livres d’histoire.

Grégoire comprit enfin qu’il n’était pas en position de force. D’abord, il venait chercher son fils — le péché de sa chair. Ensuite, il se sentait mal à l’aise sur le terrain de la drogue — le seul ennemi qu’il n’avait jamais su vaincre.

— Écoute, répondit-il plus calmement, cette GAV te mènera nulle part. C’est pas mon fils qui va te permettre de pêcher quoi que ce soit. Alors, on déchire le PV, restitution de la fouille et…

— Je suis pas d’accord, fit l’autre d’une voix de velours. Je compte plutôt la prolonger. J’ai déjà l’ordre de perquise à son domicile.

— Putain, mais à quoi tu joues ? s’emporta Morvan. C’est juste un financier qui s’envoie une ligne de temps en temps pour tenir le coup !

— La porte est derrière toi. Et c’est moi qui vais essayer d’oublier que t’es venu ici pour nous menacer.

Morvan recula d’un pas. Il cadrait déjà la fenêtre et ses barreaux, conçus pour empêcher les tox de se suicider : ces grilles feraient un splendide filet de réception pour le têtard en treillis kaki.

Il allait bondir quand il eut une nouvelle inspiration. Des couilles, mais aussi de la cervelle. Sa mémoire d’éléphant, qui lui avait si souvent servi, se mit enfin en marche.

Kursanoff : ce nom n’était pas courant et il l’avait déjà entendu ici même, au 36. Celui d’un schmitt de sa génération qu’on avait gentiment poussé à la retraite quand on avait découvert qu’il dirigeait en loucedé une chaîne de hammams à pédés. Un triste sire de la Brigade des mœurs qui avait plus contribué à la propagation des mycoses rue Sainte-Anne qu’aux arrestations dans le 1er arrondissement.

Avec un peu de chance, un membre de sa famille.

— J’ai connu jadis un Kursanoff, fit-il pensivement. J’espère que t’as aucun lien avec lui.

L’OPJ ne répondit pas mais son visage se figea. Sa pâleur s’accentua et ses cernes s’assombrirent.

Son père, à tous les coups.

— C’était la belle époque, continua-t-il avec perfidie. Le temps où on laissait chacun faire son business et…

— Putain de salopard…

Morvan fut plus rapide : il lui enserra le poignet pour l’empêcher de dégainer. De son autre main, il lui attrapa la gorge et lui écrasa la tête sur le bureau. De la cervelle, mais aussi des couilles. Il appuya davantage, faisant passer le têtard du blanc au vert puis du vert au rouge. Quand l’autre devint violacé, il relâcha son emprise et lui murmura à l’oreille :

— Va chercher mon fils, enfoiré. Sinon, demain, tout l’étage saura que ton père suçait des bites de mineurs dans son bain à la turque.

Dix minutes plus tard, Loïc arrivait dans son costard froissé, penaud et honteux comme un gamin qui sort de colle. Dès qu’il le vit, Morvan sentit sa colère s’évanouir. Il était toujours émerveillé par la beauté de son fils — il ne pouvait s’empêcher d’en éprouver une fierté viscérale.

Ils franchirent le porche sans un mot. D’un signe de tête, Morvan désigna la voiture qui les attendait plus loin, en double file. Le chauffeur était déjà au garde-à-vous.

— Papa…

— Monte.

— Non, laisse-moi t’expliquer…

— C’est bon. J’attends pas ces connards pour savoir ce que tu te fous dans le pif.

— Je veux te parler d’autre chose.

Morvan se figea. À nouveau, il fut sidéré par la régularité des traits de Loïc et la fraîcheur qui y persistait, malgré la drogue, malgré l’alcool, malgré tout.

— C’est Sofia, papa…

— Quoi, Sofia ?

— C’est elle qui m’a donné. Elle et son avocate ont monté un dossier contre moi. Avec des détectives, tout ça. Tu la connais pas. Elle est capable de tout. Elle…

Morvan chassa d’un signe le chauffeur et ouvrit lui-même la portière à son fils.

— On s’en fout. Ils vont détruire les traces de ta GAV et…

— Elle m’a menacé, papa.

S’arrêtant de nouveau, il comprit enfin qu’il était arrivé trop tard :

— Qu’est-ce que t’as fait ?

— J’ai signé la conciliation de divorce. Je ne…

Loïc n’acheva pas sa phrase : Morvan venait de lui balancer une gifle à toute volée.

C’était la première fois qu’il levait la main sur un de ses enfants.

49

— Qu’est-ce que tu fous, bordel de dieu ?

La voix du Centaure en colère. Celle qui résonnait à travers les murs de la cuisine quand il dérouillait leur mère. Erwan s’était enfin décidé à rappeler son père.

— Je poursuis l’enquête.

— Putain, mais tu te sors la tête du cul au moins ? T’es au courant qu’il y a le feu dans toute la Bretagne ?

— Les choses sont compliquées et…

— J’ai toujours pas reçu la moindre synthèse.

— On a un nouveau mort sur les bras.

— Qui ?

— L’amiral di Greco.

Un blanc. Erwan eut l’impression d’avoir frappé son père en plein ventre. Soudain, il comprit ce qu’il aurait dû deviner depuis longtemps : les deux hommes se connaissaient.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Suicide.

— Impossible.

Erwan sourit : il pouvait encore compter sur son instinct, même s’il toussait un peu à l’allumage.

— Vous vous connaissiez ?

Pas de réponse.

— C’est lui qui t’a appelé ?

Enfin, le Vieux concéda :

— Quand j’étais flic au Gabon, il dirigeait la flotte qui protégeait les puits de pétrole de Port-Gentil. Il m’a appelé le week-end dernier, quand on a retrouvé le cadavre sur l’île.

Les prédateurs se tiennent toujours les coudes. Lors de sa visite sur le CDG, di Greco ne l’avait pas affranchi. Le goût du secret. Ou pire encore…

— Tu étais resté en contact avec lui ?

— Pas vraiment. On se voyait de temps en temps.

— À quelles occasions ?

— Des remises de médailles. Des cérémonies officielles. Des conneries.