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— Demande aussi au toubib de vérifier si la cage thoracique ne contient pas des corps étrangers.

— Du genre ?

— Des ongles, des cheveux qui pourraient être ceux d’une victime à venir.

Nouveaux regards dans l’assistance. Impossible de retenir plus longtemps les informations bretonnes. Sans compter ses marques au visage qui nourrissaient le suspense depuis son arrivée. En quelques mots, il résuma son enquête dans le Finistère, glissa sur la bagarre et dressa un inventaire des sévices que le tueur faisait subir, a priori, à ses proies.

Kripo se risqua à demander :

— Qu’est-ce que tu espères si on découvre de nouveaux échantillons ?

— Que l’ADN soit fiché dans nos services, pour une raison ou une autre. Dans ce cas on pourra au mieux éviter le prochain meurtre, au pire rechercher le corps.

Lourd silence. Personne dans la salle ne souhaitait jouer à un tel cadavre exquis. Erwan enchaîna sur le modèle du tueur actuel : l’Homme-Clou du Zaïre. Nouveau discours, bref et concis.

— L’Homme-Clou, répéta la Sardine, c’est pas le gars que ton père a arrêté dans les années 70 ?

— Exactement.

— On aurait affaire à un copycat ? reprit Tonfa.

Erwan soupira — il détestait ces mots sortis des fictions télévisées, de préférence américaines.

— Ne partons sur aucune idée préconçue. Concentrons-nous sur les meurtres d’aujourd’hui. Ensuite seulement on les comparera avec le modèle.

Cette idée lui rappela le nouveau détail que lui avait révélé son père : jadis, le meurtrier « purifiait » ses victimes en les faisant vomir.

— Tonfa, demande aussi une anapath et des tests toxico. Je veux la totale.

— Il va me falloir les réquises.

— Tu les auras. Kripo, tu t’en occupes.

L’Alsacien acquiesça mais Erwan remarqua qu’il tirait la gueule sans doute vexé d’apprendre ces faits en même temps que les autres. En tant que procédurier et complice de la K76, il estimait avoir droit à la primeur de ces infos.

— Je file tout de suite, dit Tonfa en se levant.

— Attends. Tu iras voir ensuite nos amis de l’IJ. Clous, morceaux de verre, bouts de métal, tout doit être analysé. Ces trucs viennent bien de quelque part. Par ailleurs, demande-leur des prélèvements ADN sur les clous en priorité.

— Quel intérêt ? demanda la Sardine.

— Notre client les suce avant de les planter dans ses victimes.

Nouveau silence. Tous semblaient partager le même sentiment ambigu : affaire de leur vie ou cauchemar à rallonge ?

— Nico, reprit Erwan, est-ce que tu connaissais Anne Simoni ?

— Pourquoi je la connaîtrais ?

— Elle bossait à deux pas d’ici, aux cartes grises. C’est un de tes terrains de chasse, non ?

L’intéressé considéra les photos remontées des archives.

— Non, fit-il, pas mon style.

— Parce que t’as un style, maintenant ? demanda Audrey.

Ricanements dans la salle. Erwan frappa sur la table. Il détestait qu’on manque de respect aux morts — aux mortes en particulier. Par ailleurs, il haïssait les dragueurs ainsi que les vannes de cul, dont l’existence même, pensait-il, constituait une insulte à la gent féminine.

— Tu connais des filles là-bas ?

— Ça s’peut, murmura l’autre avec un sourire suffisant.

Erwan avait envie de claquer le Marseillais.

— Tu les retrouves et tu leur tires les vers du nez. Je veux un portrait détaillé d’Anne Simoni. Personnalité. Habitudes. Humeur des derniers jours. Elle avait des antécédents mais s’était racheté une conduite.

— Quel genre, les antécédents ? demanda Audrey.

— Sept ans à Fleury pour agression à main armée. Libérée au bout de trois. Depuis, elle n’avait plus de problèmes avec la justice.

La fliquette insista :

— On peut devenir fonctionnaire avec un casier ?

— Elle avait des appuis.

— Quels appuis ?

Erwan éluda la question et s’adressa à Favini :

— Tu me retrouves son dossier et tu vérifies ses anciens complices. Elle avait sans doute coupé les ponts avec eux mais on sait jamais. Renseigne-toi aussi sur ses nouveaux amis, sa famille, la came habituelle.

— Tu penses à quoi au juste ?

— Notre tueur peut émerger de cette galerie. Il peut aussi l’avoir rencontrée dans les endroits qu’elle fréquentait. Vérifie.

Le kakou notait tout sur un carnet en moleskine à bandeau élastique — soi-disant le modèle d’Hemingway, de Picasso, de Bruce Chatwin. Favini aimait les marques, les références.

Pendant ce temps Erwan ruminait les questions d’Audrey. Ils allaient rapidement croiser la route de son père. Personne ne voudrait croire qu’il ne couchait pas avec la victime. Au Vieux de se démerder. Il se demanda soudain si Kripo avait rédigé un PV à propos de la chevalière de Sirling.

— Dernière chose, conclut-il à l’attention du Marseillais, t’organises une perquise chez la petite pour demain matin.

— Ok.

— Mais tu vas y jeter un œil, ce soir, en douce.

— Pas très réglo.

— Depuis quand la police suit les règles ? On a pas une minute à perdre. (Il se tourna vers l’Alsacien.) Kripo, tu t’occupes des fadettes, de l’ordi, la gamme complète. Récupère aussi les bandes vidéo. Selon les premiers témoignages, elle a quitté son bureau hier soir, à 18 heures. Elle n’est jamais arrivée chez elle, rue d’Avron, dans le 20e. Soit elle avait rendez-vous avec notre client, soit il l’a abordée et l’a persuadée de le suivre, soit il l’a arrachée d’une manière ou d’une autre. Tu la suis à la trace, sur les quais, dans le métro, avec les caméras.

Kripo hocha la tête avec scepticisme.

— Fouille aussi dans nos fichiers, on sait jamais.

— Je cherche quoi ?

— À ton avis ? « Clou », « miroir », « ablation d’organes », comme premiers mots-clés, ça sera un bon début. Le gars s’est peut-être déjà fait la main avant de sortir le grand jeu. Dernière chose, tu contactes le parquet et tu te démerdes avec eux. Pendant une semaine, je veux avoir les mains libres et aucun juge dans les pattes.

Le Troubadour acquiesça en se levant.

— Sur un coup pareil, intervint la Sardine, on va faire appel à un profileur ?

Depuis une dizaine d’années, le fort de Rosny, le QG des gendarmes, possédait un département de sciences du comportement réunissant une poignée de profileurs, en majorité des femmes. Erwan n’était pas contre mais pour l’instant, pas question d’agrandir l’équipe. Dans la police, plus on est de fous, moins on rit.

— On va se débrouiller seuls, dit-il sobrement.

Le profileur, c’est moi. Le profileur, c’est mon père. Le profileur, c’est l’Afrique…

— Au boulot ! conclut-il en frappant dans ses mains, très chef de chantier. Le point ce soir à 20 heures.

Les flics se dirigèrent vers la porte sans oser lui demander ce qu’il allait faire, lui.

60

Erwan fonça place Beauvau où son père lui avait laissé le dossier de recherche sur Gaëlle. Tout était consigné dans un ordinateur mais aussi sur des bouts de papier, que la DCRI affectionnait encore. Impossible d’effacer une mémoire informatique mais on pouvait toujours brûler ou avaler un blanc — au sens littéral du terme : salive et mastication.

En vitesse, il consulta les rapports. Les gars avaient travaillé comme des cochons. Après avoir étudié ses fadettes — Gaëlle n’avait plus utilisé son portable ni sa carte bleue depuis sa disparition —, ils s’étaient focalisés sur son entourage — amis, relations, compagnons de galère… En vain. Ils avaient aussi fouillé son appartement et constaté que la fugitive avait emporté portable et agenda — et sans doute du cash.