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La décoration, les costumes et l’atmosphère générale rappelaient un mauvais film aux prétentions sadiennes. Loups pailletés, capes de soie, cuissardes de skaï, chats à neuf queues… Les convives dansaient, buvaient, paraissaient très satisfaits de leur allure. Dans les coins, des quinquagénaires à tête de notaire étaient nus, à genoux, les fesses en l’air, un collier de chien autour du cou ou un bâillon en boule dans la bouche. Des maîtresses en corset de vinyle dominaient la situation sur leurs talons aiguilles.

Aucune trace de Gaëlle.

Il poursuivit sa recherche. D’autres pièces proposaient des femmes écartelées sur des croix de Saint-André, des « esclaves » ligotés ou humiliés dans des positions ridicules. Des fouets claquaient mollement et les gémissements n’étaient pas très convaincants.

Toujours pas de Gaëlle.

Jouant des coudes, il demanda aux invités où avait lieu le no limit comme il aurait demandé le chemin du buffet. Il reçut en retour des regards soupçonneux ou des mines outrées du style « Il ne faut pas prononcer ce nom. » Il avait l’impression d’évoluer au sein d’une secte grotesque, digne d’une comédie.

Enfin, il comprit que l’épreuve se tenait au sous-sol. Il trouva l’escalier éclairé avec des torches à l’ancienne et croisa encore quelques ceintures cloutées et harnais de latex sur des chairs avachies. Il accéda à la cave principale et d’un coup, il cessa de rire.

Au fond de la pièce, sur une scène drapée d’un linceul noir, Gaëlle était attachée à un trône de pacotille, des têtes de démon surmontant le dossier. Elle était nue et avait les jambes écartées, sanglées aux accoudoirs du fauteuil.

Couverte de sang.

Une sorte de bourreau officiait à ses côtés, cagoulé, le buste ceint d’un débardeur de cuir, brandissant deux énormes couteaux à sushis. Erwan ne prit pas le temps de réfléchir. Il dégaina et tira plusieurs fois vers le plafond. Sous une pluie de salpêtre, les spectateurs s’enfuirent vers l’escalier, empêtrés dans leur cape, se bousculant les uns les autres, aveuglés derrière leur masque au rabais. Erwan remonta le courant. Au passage, il visa les platines et fit feu alors que le DJ, déguisé en officier nazi, prenait ses jambes à son cou.

Il était à présent seul dans la pièce silencieuse et enfumée. Seul avec sa sœur ligotée, que personne n’avait pensé à délivrer. Une fois sur la scène, il mesura l’ampleur de l’imposture.

Le sol était jonché de cadavres de poules décapitées, voisinant avec le corps d’un porcelet éventré. Cette séance n’était qu’une parodie de magie noire à base d’incantations, de sang de volaille et de viscères de cochon.

Il s’approcha, manquant de s’étaler sur des fragments organiques. Gaëlle, toujours les cuisses ouvertes, maculée de croûtes brunâtres, le toisait d’un œil mauvais. Ses pupilles de chien sibérien semblaient plus claires encore dans ce visage souillé.

— Qu’est-ce que t’attends pour me détacher ?

65

À deux heures du matin, Loïc n’avait toujours rien obtenu.

Il avait interrogé plusieurs financiers de sa liste : deux dans leurs bureaux, deux dans des bars, un autre au restaurant, dans le 8e arrondissement. Tous, sans exception, l’avaient envoyé au bain.

Il ne disposait d’aucun argument pour les cuisiner — dans un cas pareil, son père aurait sorti un dossier et son frère un calibre. Lui ne pouvait que leur offrir un verre. Brokers et traders sont tenus au secret professionnel — ils le violent chaque jour, à condition d’y avoir un intérêt. Or Loïc n’avait rien à vendre. Et tout le monde savait qu’il était l’homme de son père — c’est-à-dire celui à qui il ne fallait pas parler.

Morvan tentait de l’appeler régulièrement et chaque fois, c’était comme le coup de gong d’un combat que Loïc ne cessait de perdre.

Le pire était l’alcool. À mesure que la nuit avançait et qu’il multipliait les rencontres, il s’enfonçait dans un enfer de tintements de verre, de cliquètements de glaçons, d’odeurs de cocktails. Vous pouvez toujours prétendre avoir oublié l’alcool, lui ne vous oublie jamais. Une sorte de prurit interne lui démangeait les nerfs.

Depuis une heure, il était passé aux boîtes. D’abord le VIP, puis le Montana, et maintenant le Parnassium, près de la rue de Rennes. Un carré pas plus grand qu’un mouchoir de poche, qui rappelait ces records du type « À combien peut-on tenir dans une cabine téléphonique ? ». Juste une boîte noire avec pour seuls motifs des lumières violentes et sporadiques. Les petits soldats de la finance raffolent de ce genre de repaires d’artistes branchés, d’animateurs télé, d’intellectuels noctambules. Ce qu’ils ne possèdent pas au naturel — talent, charme, célébrité —, ils l’achètent avec leur pognon — du moins éprouvent-ils l’illusion d’appartenir au sérail.

Loïc commanda un Coca Zéro et se frotta à la mêlée. Il n’avait pas fait deux pas qu’il repéra une vieille connaissance : Hervé Serano. À l’époque de Wall Street, tout le monde l’appelait Jamón-Jamón. L’univers de la Bourse, tout en finesse… D’ailleurs, Serano, hormis ses prouesses commerciales, était connu pour ses acrobaties phalliques — hélicoptère, autosuccion et autres… Toujours la classe.

Loïc s’approcha. Il s’en voulait de n’avoir pas pensé à lui : le trader avait le bon profil. Retrouvailles. Petit, trapu, Serano était coincé sur une banquette entre deux bimbos passablement éméchées (dans un premier temps, Loïc avait cru reconnaître sa sœur). Le gars aussi était complètement ivre. Peut-être une opportunité à saisir.

Une des filles lui céda la place. Il tenait toujours son verre à la main, ce qui pouvait laisser croire qu’il buvait un whisky-Coca (en réalité, il n’avait même pas droit au vinaigre dans la salade). Sur un ton maison, mi-bourré, mi-complice, il commença à parler business. Serano déblatéra sur les millions qu’il avait gagnés dans la semaine.

— Et les minerais, où t’en es ?

— Je te vois venir, ricana l’opérateur. T’auras pas une info.

— Normal que je surveille mon territoire, non ? T’as acheté du Coltano ?

Sans répondre, Serano s’envoya une rasade de vodka au goulot. Loïc pouvait en sentir le parfum. C’était comme si on lui avait brutalement tisonné les viscères.

— T’en as acheté ou non ?

— Tu le sais aussi bien que moi.

Continue à dérouler le fil.

— Figure-toi que t’es pas le seul et que ça commence à m’inquiéter.

— C’est l’occasion de sauver tes miches ! fit Serano en agitant sa bouteille.

Nouvelle gorgée. La musique vociférait. Les enceintes étaient comme des fissures dans la coque d’un sous-marin, déversant des torrents sonores. Ces avaries allaient les engloutir purement et simplement.

— Ç’t’à y rien comprendre d’ailleurs, ajouta le financier, soudain rêveur. Quand on voit vos résultats… (Il éclata de rire.) Soit dit sans te vexer !

La blonde à ses côtés lui massait discrètement l’entrejambe. Toute cette mascarade dégoûtait Loïc. Le pouvoir que le fric conférait à cet abruti de Jamón-Jamón. Un fric qu’il avait gagné en parlant simplement au téléphone. La veulerie de cette michetonneuse, prête à tout pour quelques centaines d’euros. Et l’odeur entêtante de l’alcool…

Il commençait à ressentir des bouffées de chaleur, prémices d’une crise d’angoisse.