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— Tes clients, c’est qui ?

Serano se pencha à son oreille, la main en cornet :

— J’suis pas assez bourré pour te donner des noms.

— Ce sont des fonds ? Des sociétés minières ? Des raiders ?

— J’peux te dire qu’un truc, et c’est ça qu’est vraiment bizarre : ils veulent du Coltano et rien d’autre.

Au rythme de la techno qui battait la foule comme un tambour de machine à laver, une vérité émergeait : le scoop des nouveaux gisements avait filtré. Les géologues ? Des complices de son père qui bricolaient sur le terrain ? Comment auraient-ils connu des banquiers, des investisseurs ?

Loïc donna un coup de sonde dans une autre direction :

— Chez nous, on redoute une OPA…

— Tu parles ! s’esclaffa le trader. Ils veulent juste leur part du gâteau !

— Quel gâteau ?

Il n’entendit pas la réponse. Son malaise s’accentuait. Tempes moites, nausée, battements de cœur calés sur les cent vingt beats du dance-floor…

Il se leva et posa son verre :

— Tu m’assures qu’il y a aucune action concertée ?

— Pas à ma connaissance.

Serano s’offrit une nouvelle rasade :

— À ton empire !

Par réflexe, Loïc retint sa respiration pour ne pas inhaler les miasmes du poison. Il n’avait pas bu depuis presque dix ans mais son vice n’avait pas pris une ride. En apnée, il baissa les yeux et vit Serano qui gloussait en regardant son entrejambe tandis que sa compagne se redressait avec répugnance. Elle avait sorti l’engin, le trader en avait profité pour se soulager : ce con pissait sous la table !

— Ho, ho, ho, ho !

Loïc s’enfuit alors que les danseurs sur la piste pataugeaient sans le savoir dans la flaque d’urine qui s’élargissait. Il bouscula les visages déformés par les lumières, les rires qui partaient en larsens, les bouches qui s’étiraient en blessures sanguinolentes et trouva la sortie.

Les géologues… Une fois enfermé dans son Aston Martin, tremblant, glacé et brûlant à la fois, il se dit qu’un de ces bâtards avait parlé. La piste africaine ne tenait pas. Si son père, comme il s’en doutait, avait commencé l’exploitation des mines, c’était avec l’aide de Noirs perdus au fond de la brousse. Il ouvrit sa messagerie pour voir si les experts avaient répondu à ses mails : aucun retour.

Au passage, il compta : son père l’avait appelé huit fois dans la nuit.

Un seul recours. Il plongea la main dans sa boîte à gants. Papier cristal et poudre blanche. Sur son tableau de bord, il traça trois lignes qu’il sniffa sans reprendre son souffle. Il fut pris d’une convulsion et sa nuque vint battre l’appuie-tête.

Cette fois, c’était la bonne.

66

Elle n’avait pas dit un mot du retour. Il avait conduit sans l’ouvrir non plus. Le club des dents serrées ou quelque chose de ce genre. Au fil des kilomètres, il prenait de nouveaux analgésiques, à la fois pour calmer ses douleurs et endormir sa colère. À l’arrière, Gaëlle, roulée dans une couverture, braquait son silence comme une arme sur sa nuque.

Elle puait la boucherie, le sang animal et les excréments mais il n’osait pas aérer, de peur qu’elle prenne froid. Elle puait aussi la haine et la débauche mais on ne s’en apercevait que dans un deuxième temps — c’était une couche plus dure, plus ancienne, les fondations qui expliquaient tout le reste.

Une fois chez elle, il l’avait poussée sous la douche et lui avait promis une engueulade en règle quand elle en sortirait. Maintenant, il écoutait le crépitement du jet sur le carrelage et sa colère retombait déjà.

Coca Zéro. Mobile. Il pouvait enfin appeler son équipe.

Tonfa d’abord, toujours à l’IML en pleine autopsie. Riboise en avait pour jusqu’au lendemain matin — rapport au nombre de clous et de tessons plantés dans la chair.

— Il a trouvé des ongles, des cheveux ?

— Pas encore. Il doit procéder à l’examen externe complet avant d’inspecter l’abdomen.

Erwan n’allait pas apprendre son métier au légiste. Du reste, il croyait de moins en moins à la possibilité d’identifier à temps une prochaine victime. S’ils découvraient des échantillons organiques, ce seraient ceux d’un cadavre.

Les premières constatations confirmaient le mode opératoire de l’Homme-Clou. Le tueur avait rasé la tête d’Anne Simoni en épargnant quelques mèches — sans doute pour permettre de faire le lien entre les cheveux déposés sous les côtes de Wissa et ceux de la nouvelle victime. Il avait utilisé, pour activer son fétiche, des clous, des fragments de verre et de fer, des fibres dont la nature exacte restait à définir. Il avait enfoncé deux éclats de miroir dans les orbites et prélevé des organes — l’autopsie préciserait bientôt lesquels. Riboise confirmait aussi le viol, à l’aide d’un objet tranchant — et sans doute même à double tranchant. La jeune femme avait été soumise, vivante, aux abominations de son bourreau. Impossible de dater exactement le moment de sa mort. Hémorragie, hématome sous-dural ou crise cardiaque, son cœur avait cessé de battre durant la séance.

— Après sa mort, les mutilations ont continué ?

— Apparemment oui, et un bon moment. De nombreuses blessures n’ont pas saigné.

— Combien de plaies en tout ?

Tonfa siffla. Sa masse physique lui permettait d’encaisser pas mal d’atrocités. Comme un sac de boxeur rembourré ne dévie jamais de son axe porteur.

— Des centaines, concentrées en espèces de… buissons. Des floraisons de clous. Selon Riboise, les os ont éclaté sous leur impact. Le squelette est en miettes. Quant aux muscles, nerfs, veines et artères, tout est déchiré. Un vrai carnage.

— Sur l’origine du matos, Riboise a un avis ?

— Il a seulement constaté que le fer est rouillé et le verre usé. Que du vintage.

— Tu les as fait passer à l’IJ ?

— On a fait une première livraison, pour l’analyse ADN que tu as demandée.

— Les organes génitaux ont été enlevés ?

— Apparemment, oui. Le sexe n’est plus qu’une plaie béante.

— Mais Riboise est certain qu’il y a eu viol ?

— Aucun doute. Ça s’est passé à l’arrière du magasin : les tissus rectaux sont en charpie.

La piste sexuelle était la seule différence, pour l’instant, avec le mode opératoire des années 70. C’était peut-être par cette divergence que le meurtrier allait se dévoiler…

— Allez, ma grosse, conclut-il d’une voix joviale pour motiver Tonfa. Courage ! On se retrouve demain matin au bureau. J’espère que Riboise aura fini d’ici là.

— Ok, chef.

Nouveau numéro : Audrey.

— Rien encore, résuma la Teigneuse. Restos, boutiques : tout le monde était fermé à l’aube. J’avais misé sur un Citadines qui a un portier…

— C’est quoi ?

— Un appart’hôtel pour des hommes d’affaires de passage. Mais personne a rien vu.

— T’as parlé aux patrouilles de cette nuit-là ?

— Bien sûr. Pour l’instant, que dalle. Mais il me reste des gars à interroger.

Erwan regarda sa montre : trois heures du matin. Il songea à lui passer le relais pour ce qu’il s’était réservé : le côté Seine.

— Appelle la Fluve pour leur demander un bilan.

— Tu l’as pas fait ?

— Appelle-les et verrouille ce côté-là.

— Okay, fit-elle sans insister.

— Après ça, tu dors ce que tu peux. Rendez-vous à l’usine à 9 heures.

— Y a Sergent qui a appelé plusieurs fois.

— Qui ?

— Le capitaine Sergent. Celui qu’a rédigé les premières constates.