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— Il attendait la pluie pour cette raison ?

— Non. Selon ses croyances, la mousson provoquait un afflux d’esprits, donc de danger. Il devait renforcer sa protection à ce moment-là. Il avait alors besoin d’un puissant fétiche — une victime.

— Ces meurtres me semblent trop espacés pour tenir en une seule saison.

Un sourire échappa à Morvan :

— T’es bien un flic ! Au Katanga, la saison des pluies dure huit mois, d’octobre à mai. Ça te donne une idée du bourbier.

Erwan remarqua en passant que le nouvel Homme-Clou ne respectait pas cette condition. Il n’avait pas plu dans la nuit du 7 au 8 septembre sur la lande de Kaerverec et il faisait plein soleil le mardi 11 septembre à Paris.

— Et les clous, les tessons, les morceaux de miroir ?

— Tout venait des décharges, des stocks des mines ou des usines. On n’a jamais pu retracer leur origine exacte. Encore une fois, c’était un autre temps. Et c’était l’Afrique…

Erwan parvenait aux abords de l’aéroport. Il n’aurait pas le temps d’entendre toute l’histoire.

— Comment l’as-tu chopé ? demanda-t-il abruptement.

— J’avais vingt-cinq ans. C’était ma première enquête criminelle. J’avais pas la moindre idée de la marche à suivre mais je suis entré, comment dire, en résonance avec ce tueur, avec sa folie. J’ai compris que la magie était noire mais que le tueur était blanc.

— C’est dans tous les manuels de criminologie : les tueurs en série s’attaquent en priorité à leur propre ethnie.

— À l’époque, les bouquins dont tu parles n’étaient pas écrits. Je me suis lancé à la recherche d’un Occidental qui aurait grandi ou vécu dans la région du Mayombé.

— C’est comme ça que t’as repéré Pharabot ?

— Non. Pas mal de Blancs avaient bossé un peu partout au Congo, notamment au Mayombé. Je pouvais pas interroger tout le monde. J’ai essayé de resserrer la liste de mes suspects en me fondant sur le profil du tueur.

— Tu veux dire… psychologique ?

— Pas vraiment. Je m’en suis tenu aux faits concrets. Quels savoir-faire impliquaient les meurtres, quelles connaissances, quelles croyances. Mon client était un Blanc qui avait pratiqué la magie yombé, c’est-à-dire qu’il avait vécu là-bas mais aussi fréquenté la communauté noire. Le gars connaissait la brousse comme sa poche : la dépose des corps le prouvait. Un homme de terrain — ingénieur, géologue, contremaître…

Erwan ralentit en vue des aérogares. Chaque seconde gagnée lui valait une information supplémentaire.

— J’ai alors croisé plusieurs données, continua Morvan, les lieux, les heures, les alibis de chacun de mes suspects. J’ai agi avec minutie, méthode. Vraiment le genre laborieux. Le pire, c’était que le tueur continuait à tuer. Ça me rendait dingue mais je pouvais pas aller plus vite. D’autant plus qu’on m’avait aussi assigné des missions de surveillance et de maintien de l’ordre dans les mines.

— Comme di Greco ?

— Exactement. À la cinquième victime, je suis moi-même allé chercher en avion un toubib français que je connaissais au Gabon pour qu’il pratique une autopsie digne de ce nom. Grâce à ça, j’ai fait une découverte : les ongles et les cheveux à l’intérieur du thorax.

— Ça t’a aidé ?

— Non. Ça a juste confirmé que le cinglé suivait les rites yombé.

— Finalement, comment tu l’as identifié ?

— Comme d’habitude : un coup de chance. La dernière victime, Noortje Elskamp, la religieuse, travaillait dans un dispensaire ouvert aux Noirs. J’ai interrogé les autres infirmières. Je leur ai demandé si elles avaient remarqué un mec au comportement bizarre qui rôdait dans le coin. Ou simplement un Blanc qui se faisait soigner ici. À Lontano, tous les Européens allaient à l’hôpital officiel, la Clinique blanche. Le dispensaire, c’était pour les Blacks.

— Ça a donné quelque chose ?

— Un jeune ingénieur était venu plusieurs fois pour se faire vacciner contre le tétanos. Ce qui était absurde : une fois qu’on est vacciné, on l’est pour des années. J’ai compris que je tenais mon client.

— À cause de la rouille des clous ?

— Exactement. Après chaque sacrifice, il venait se faire piquer. Ce qui était, au passage, une connerie : le tétanos provient de la terre et non du fer.

— Tu l’as arrêté ?

— Au nom de quoi ? Usage de vaccins abusif ? Pharabot correspondait exactement au profil que j’avais établi mais c’était un gamin que tout le monde aimait. Ses patrons l’appréciaient, ses ouvriers le respectaient.

— Qu’est-ce que t’as fait ?

— J’ai pris mon calibre et je suis allé l’abattre. Il s’est enfui dans la brousse et je l’ai rattrapé.

— Mais tu ne l’as pas tué.

— Non.

— Pourquoi ?

— Je me pose encore la question.

La sortie pour Roissy 2E était en vue. Fin de la première audition. Erwan s’orienta vers la zone des départs et montra sa carte pour accéder au plus près des portes.

— Tu crois que tu le connais ?

— Qui ?

— Le tueur d’aujourd’hui.

— Lui me connaît. Ou il a enquêté sur moi. Le choix d’Anne le prouve.

— Et Wissa Sawiris ?

— Celui-là, je ne l’explique pas. À moins de faire le lien avec di Greco mais ça me paraît vraiment tiré par les cheveux.

— Tu ne m’as rien dit sur lui. À l’époque, il a participé à l’enquête ?

— Non. Les patrons des exploitations françaises cherchaient un gars solide pour faire régner l’ordre dans les mines. J’ai proposé di Greco que j’avais connu au Gabon. Il est venu bosser deux années à Lontano.

— C’est tout ?

Morvan hésita :

— Il était… fasciné par cette histoire de tueur. Je crois que c’était devenu une obsession pour lui. Mais va pas te monter la tête.

— Quand tu l’as revu en France, il t’a reparlé de cette époque ?

— Jamais. C’est pas des bons souvenirs.

Le Vieux mentait mais Erwan n’avait plus le temps d’insister.

— Y a forcément un lien entre Kaerverec et Charcot.

— Oublie l’institut. Pharabot est mort y a trois ans. (Il regarda sa montre.) Faut que j’y aille. Je vais rater mon vol.

— Durant toutes ces années, t’es jamais allé le voir ?

— Jamais.

— Il a passé quarante ans en Bretagne ?

— Non, il a d’abord été interné à Kinshasa puis en Belgique. Ce n’est que dans les années 2000 que la France a proposé de récupérer le fauve. Charcot avait un nouveau programme, je sais pas quoi. Les Belges étaient trop contents de s’en débarrasser.

Le Vieux attrapa sa valise à l’arrière puis saisit la poignée de la portière.

— Attends ! J’ai encore des questions.

— J’ai plus le temps, là, protesta Morvan.

— Les victimes ont le crâne rasé, pourquoi ?

— Pour accentuer la ressemblance avec les fétiches en bois, les vrais minkondi.

— Les miroirs devant les yeux ?

— Ça symbolise le don de voyance. Un nkondi de ce genre peut voir l’avenir.

— Essaie de te souvenir de tous ces rituels. Il n’y en a pas un qui pourrait trahir le tueur aujourd’hui ? Avec nos moyens actuels d’analyse ?

Morvan réfléchit quelques secondes. Il puait l’eau de toilette d’Hermès mais quoi qu’il fasse, il suintait surtout une sourde menace, une puissance latente.