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Erwan se leva :

— On pourrait voir sa cellule ?

Le professeur haussa les sourcils :

— Qu’espérez-vous y découvrir ? Il est mort depuis trois ans !

— Elle est occupée ou non ?

— Je ne crois pas. On a remarqué qu’elle avait un effet… négatif sur les patients.

— Vous voulez dire qu’elle est hantée ?

Sourire de Lassay :

— On évite de tomber dans ce genre de pièges. Disons plutôt que, quoi que vous en pensiez, personne n’a oublié que la 234 était habitée par le plus dangereux de nos patients. Allons-y.

78

Les espaces intérieurs de l’UMD étaient cloisonnés, saucissonnés, verrouillés. Pas moyen de faire trois pas sans jouer de son badge ni être obligé d’ouvrir une porte à code. Grilles et parois blindées se succédaient. Aucune fenêtre ne donnait sur l’extérieur. Tout était blanc, lisse, sans la moindre prise ni aspérité. Un immense réfrigérateur dont chaque compartiment était fermé à double tour.

Des caméras de sécurité étaient fixées aux plafonds. Des vigiles dans des cages vitrées montaient la garde, avec à leurs côtés de superbes collections de menottes et de Serflex. Il ne se passait pas grand-chose. En dix minutes de marche, ils ne croisèrent personne, à l’exception d’un ou deux matons en blouse blanche. Pas un bruit dans les couloirs. Encore moins derrière les portes.

Un élément ne trompait pas : l’odeur. Un mélange d’urine et de médicaments rappelant à la fois la prison et l’hôpital.

Erwan songeait à son père : sa place aurait été dans un établissement de ce genre. À titre de preuve, il se remémora le jour où le Vieux avait enlevé Maggie et l’avait enfermée dans leur caveau de famille, à Montparnasse. Le gardien l’avait délivrée le lendemain matin, tremblante, traumatisée. Elle avait refusé de porter plainte. Erwan n’avait que quinze ans — il n’avait rien pu faire mais il était allé sur le lieu du crime. Il avait découvert que le caveau était vide : ni sépulture ni ancêtre. Aucune trace des Morvan-Coätquen.

Ils accédèrent au premier étage, celui des geôles — « des chambres », rectifia Lassay. En effet, tout était conçu pour faire oublier le dispositif d’incarcération. La lucarne de chaque porte était même voilée par un store de toile qui préservait l’intimité du patient.

— Vous êtes un établissement public ?

— Mi-public, mi-privé.

— Vous recevez des fonds de particuliers ?

— De quelques-uns, oui.

Erwan avait du mal à imaginer le profil des mécènes de ce type d’instituts. Remarquant sa surprise, Lassay sourit :

— Vous seriez étonné… Nous avons ici des pédophiles. Des familles de victimes nous versent de l’argent pour mener nos recherches. Le mal est une distorsion, une pathologie de l’homme. Il n’est pas étonnant que les premiers concernés, les parents des victimes, aient à cœur de financer nos travaux dans ce domaine.

Erwan laissa filer le discours. Son code génétique ne prévoyait pas de considérer les assassins et les violeurs comme des malades à soigner. Ils croisaient maintenant quelques patients qui déambulaient lentement, oscillant comme des Culbuto. Crâne rasé, yeux exorbités, jogging informe : ils avaient l’air complètement défoncés. Personne ne les surveillait mais ils semblaient si faibles qu’un enfant aurait pu les étaler d’un croche-pied. Ils lui faisaient penser à ces souches rongées par des termites qui, au moindre contact, s’effondrent en sciure.

Ils s’arrêtèrent sur le seuil d’une cellule. Lassay sortit son badge et déverrouilla la porte comme il l’aurait fait dans un hôtel.

— Voilà.

Un espace vide de sept mètres carrés environ. Pas de prise de courant ni de toilettes. Une table solidarisée au sol.

— Il n’a jamais changé de cellule ?

— Jamais.

Erwan commença à observer la pièce en mode Kripo, s’attardant sur les angles, les plinthes, à la recherche d’un détail, d’une trace de vie.

— Qu’espérez-vous trouver ? Des graffitis ?

— Quelque chose comme ça.

Lassay rit :

— Vous n’avez pas idée du mode d’existence de nos patients. Les vêtements, le matériel électronique, les affaires de toilette, tout est proscrit. A fortiori des stylos ou quoi que ce soit qui puisse devenir une arme. Ils ne peuvent quasiment rien toucher quand ils sont seuls.

Sur la pointe des pieds, Erwan se hissa jusqu’à l’étroite lucarne surélevée qui donnait sur les enclos de fil barbelé.

— Il détestait cette vue, souligna Lassay en s’approchant.

— À cause des clôtures ?

— Non. À cause des douves remplies d’eau. Il disait que les esprits se cachent dans ce genre d’endroits. Les Yombé redoutent les fossés, les flaques, les sources…

Erwan se souvint que Morvan lui avait parlé de l’importance de l’eau : Pharabot tuait à la saison des pluies, période de migration des esprits.

— Il ne sortait pas ?

— Rarement. Il avait peur de s’endormir au pied d’un arbre et de se transformer en fourmilière. Il vivait dans ce que les Africains appellent le « deuxième monde ».

Erwan regarda sa montre — il perdait son temps ici. Pharabot était fou à lier. Lassay avait raison : il avait été, du temps de Lontano, un monstre redoutable mais il était devenu un dément parmi d’autres, assommé par les médocs, en hibernation jusqu’à sa mort.

Le psychiatre parut deviner sa déception :

— Venez. J’ai quelque chose à vous montrer.

Nouveaux couloirs. Ils franchirent un sas qui donnait accès à une grande salle occupée par des tables, des chevalets, des pupitres. L’espace était désert — l’heure du déjeuner —, mais on y découvrait des dessins, des objets artistiques plus ou moins convaincants — certains étaient effrayants, d’autres semblaient avoir été confectionnés par des enfants maladroits.

— Vous pratiquez l’art-thérapie ?

— Il faut bien les occuper. (Il se dirigea vers une porte d’inox.) Nous conservons ici les pièces les plus réussies pour un projet d’exposition.

Dans le réduit en longueur étaient entreposées des œuvres de carton, de papier, de balsa — que des matériaux légers et inoffensifs. Erwan leva les yeux vers une étagère et resta pétrifié.

Une vingtaine de minkondi — pas plus hauts que trente centimètres — s’alignaient : des sculptures comme celles que collectionnait son père, éclaboussées de rouge. Les clous et les tessons étaient figurés par des cotons-tiges et des fragments de papier d’aluminium.

— Pharabot en réalisait plusieurs par an. Très habile de ses mains, il les décorait avec les moyens du bord.

Erwan détailla les statuettes. Une, hérissée d’esquilles de papier, évoquait un bourgeonnement de ronces. Une autre représentait une tête dardant ses épines, façon cactus, émergeant elle-même d’un froissement de feuilles d’apparence tropicale. Un homme debout, les genoux fléchis, portait une grappe de pics sur les épaules.

Lassay en saisit une autre : tête en œuf, yeux bridés de trisomique, bouche en forme de lame de rasoir. La petite langue qui en pointait lui donnait l’air espiègle.

— Celui-ci est réputé pour faire pendre la langue de ses ennemis. (Le psy sourit tristement.) À Charcot, ce nkondi paraît particulièrement efficace : la plupart des patients, sous l’effet des pilules, ont la bouche entrouverte et la langue sortie.

— Il se méfiait des autres patients ?

— Tous des sorciers selon lui. Il devait s’en protéger… avec ses statues.

Erwan s’approcha et en remarqua une qui s’ornait d’un collier de minuscules coquilles d’escargot.