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Erwan revint à Favini :

— T’es au bureau ?

— J’allais partir pour les contrées sauvages.

— Tu m’attends. Je serai là dans cinq minutes.

— Tu parles ! ricana le chauffeur.

Erwan raccrocha. Ils roulaient maintenant rue de Vaugirard, toujours au ralenti.

— Grillez le feu.

— Mais…

— Je vais pas me répéter, putain !

Le chauffeur franchit la rue de Rennes dans un concert de klaxons. Erwan composa le numéro de Kripo — à ce rythme, ses gars n’auraient plus rien à lui dire à son arrivée.

— J’ai un truc à la marge, mais intéressant, fit l’Alsacien.

— Quoi ?

— Tu te souviens du sculpteur dont je t’ai parlé, Lartigues, le mentor d’une communauté adepte des no limit ?

— Vaguement.

— J’ai vérifié son profil sur le Net et je suis tombé sur ses sculptures. Je te conseille d’aller voir.

— Pourquoi ?

— Je t’ai envoyé des liens sur Internet, tu…

— Je suis en bagnole, résume-moi.

— Ce sont des versions géantes des fétiches dont tu m’as parlé.

— Les minkondi  ?

— C’est ça. Des personnages énormes, criblés de clous et de tessons. Des machins terrifiants qui se vendent à prix d’or.

Erwan ne croyait pas à une connexion directe du type « Le sculpteur est passé à la chair humaine », mais c’était la confirmation du réseau qu’il pressentait : les no limit, la communauté SM, l’Homme-Clou, les meurtres actuels…

— Imprime-moi les photos, j’arrive au bureau. Sur Lartigues lui-même, qu’est-ce que t’as trouvé ?

— Il a émergé dans les années 80, après des études à Paris et à Rome. Il a tourné le dos aux mouvements de l’époque, Figuration libre, Trans-avant-garde et compagnie, pour se consacrer à une forme de sculpture brute, inspirée des arts africains. Le mec a la cote.

— Un casier ?

— Même pas un PV. Il gagne des fortunes depuis l’âge de vingt-cinq ans. Ateliers à Paris, Rome, New York. Expos retentissantes. La grande vie, mais façon bohème. Le genre à rouler en vélo pendant que son chauffeur astique la Jaguar.

— Les no limit : il a jamais eu d’emmerdes avec les flics ?

— Ça doit pas aller bien loin, et jusqu’à preuve du contraire, se faire fouetter le cul n’est pas répréhensible. Et toi, Charcot ?

— La piste est froide. Je t’expliquerai.

Alors que la voiture s’engageait quai des Orfèvres, Erwan regarda sa montre : 19 h 10. Briefing général et tout le monde retournerait au taf pour la nuit… sauf lui.

Il avait rendez-vous avec Sofia à 20 h 30 chez Mimmo, un petit restaurant italien rue Blanche. Quand on ne peut pas faire riche, autant faire simple.

82

Il montait les escaliers du 36 quand une jeune femme se rua sur lui : la secrétaire de Fitoussi, le patron de la Brigade criminelle.

— Il veut vous voir en urgence, chuchota-t-elle. Tout de suite !

— Je peux poser mes affaires dans mon bureau, au moins ?

— Non. Ça peut pas attendre. Il est furieux.

Il se trouvait à l’étage du divisionnaire. Dans le clair-obscur du palier, la fille avait l’air paniqué.

— Je vous suis.

Le bureau du taulier, le plus grand de la brigade, avait abrité des flics de légende mais Erwan n’était pas impressionné : quel que soit le décor, Fitoussi restait un con. Un gros bonhomme qui devait sa carrière à ses appuis politiques et voyait des complots partout.

— Où vous étiez, nom de Dieu ?

— Déplacement en Bretagne. Recherche d’éléments dans l’intérêt de la vérité.

— C’est pas le moment de déconner : ce voyage, c’était quoi ?

— Le meurtrier d’Anne Simoni s’inspire d’un assassin jadis interné dans une UMD du Finistère. Je devais fouiller cet aspect de l’affaire.

— Et alors ?

— Rien. L’homme est mort depuis trois ans. Il n’avait aucun contact avec les autres patients. Aucune libération ni évasion dans l’unité ces derniers temps.

Fitoussi se leva et carra ses mains dans ses poches. Il avait une bedaine qui posait question : quel type d’organisme pouvait se déformer à ce point ?

— Le parquet m’appelle. Le préfet m’appelle. Valls m’appelle. Et vous, vous retournez en Bretagne ? On m’a dit qu’il y a un lien avec l’histoire du bizutage, c’est vrai ?

— Tout porte à le croire. Wissa Sawiris, la victime de l’école de pilotes, a sans doute été tué de la même façon. Mais l’état du corps touché par le missile interdit toute certitude. La seule chose dont nous soyons sûrs, c’est que le meurtrier avait laissé à l’intérieur de l’abdomen du pilote des ongles et des cheveux de la victime des quais.

— C’est dégueulasse.

— Non, c’est religieux.

— Quoi ?

— Laissez tomber.

— Épargnez-moi vos grands airs, Morvan ! Ces trucs, ils peuvent nous mener au tueur ?

— Non. Mais le légiste en a trouvé de nouveaux dans le corps d’Anne Simoni. Ils pourraient nous conduire à la prochaine victime.

Fitoussi marcha vers la fenêtre. La plus belle vue du 36 : plan large sur la Seine, les quais, les immeubles du XVIIIe siècle. Malheureusement, aujourd’hui, ce décor rappelait plutôt le cadavre de la veille.

— Quoi d’autre ?

— Pas grand-chose. Notre client ne laisse aucune trace. On analyse les clous et les tessons : ils viennent probablement d’Afrique. On attend d’autres résultats : les pointes ont peut-être servi à sceller des caisses abritant des matières organiques ou…

Le gros flic se tourna brusquement vers Erwan. Il avait conservé ses Ray-Ban fumées — des lunettes de vue — qui lui donnaient l’air d’un entrepreneur mafieux de la Côte d’Azur.

— Vous avez pas l’air de comprendre, Morvan : on a pas le temps de mettre en culture des chiures de mouche. Ce genre de pinailleries, c’est bon pour la télé. Vous avez rien de plus concret ? Des témoignages ? Des suspects ? Y a le feu, putain !

— Les reportages ont provoqué des appels mais c’est du vent. Des fêlés, des zélés, rien d’utile.

— Quelle merde…

Fitoussi arpentait son bureau comme un ours obèse une cage trop petite. Erwan sentait, physiquement, les secondes passer. Il avait hâte de retrouver son équipe.

— Monsieur, bluffa-t-il pour en finir, je vous promets des résultats pour demain matin.

— J’espère bien. Il me faut quelque chose à dire aux médias.

Erwan décida d’ouvrir pour de bon le robinet à conneries :

— On a enrichi le groupe : nous sommes plus d’une dizaine sur le coup. Le labo scientifique tourne à plein régime. Le passé et l’entourage d’Anne Simoni sont décryptés et…

— Pas de problème de ce côté-là ?

— Quel genre de problème ?

— Vous savez bien…

Il comprit l’allusion :

— Mon père a soutenu la libération de la victime et l’a aidée dans sa réinsertion, c’est tout.

Fitoussi le regarda par en dessous, entre sourcils et monture :

— Grégoire m’a laissé entendre que cette affaire était peut-être liée à une enquête qu’il avait menée dans le passé.

— Exact. C’est lui qui a arrêté l’assassin dont s’inspire notre meurtrier.

— Celui qu’était interné en Bretagne ?

— L’Homme-Clou. Mon père l’a serré à ses débuts, en 1971, au Zaïre.