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Le commissaire se frotta le front avec sa paume, comme s’il pouvait effacer d’un coup toute cette charge d’ennuis qui lui compressaient le cerveau.

— Je connais l’histoire. Bon dieu, c’est…

— Excusez-moi.

Le portable d’Erwan venait de sonner. Un SMS. Pas n’importe lequel : le signal sonore de son équipe.

Le message était signé Kripo :

« Radine-toi. Urgence. »

83

Dans la voiture qui fonçait en direction du 12e arrondissement, gyro hurlant, Erwan lisait les premiers renseignements sur Ludovic Pernaud. Les ongles et les cheveux mystérieux avaient parlé : ils appartenaient à un extrémiste politique de trente-deux ans, condamné à deux reprises, dont l’empreinte génétique était fichée au FNAEG.

Pour l’instant, les informations sur Pernaud traçaient un portrait incohérent. Militant d’extrême droite. Condamné à un an de prison avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve pour sa participation à l’agression de quatre étudiants gauchistes en 2002 sur le campus de la faculté de Nanterre. Puis, l’année suivante, trois ans de prison ferme pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner contre des militants de la LDJ et du Betar lors d’une manifestation pro-israélienne. Après une remise de peine, le joyeux drille réapparaissait en 2006 en Guyane française, lors d’une prise d’otages ratée à l’aéroport de Cayenne par des militants créoles. Cette fois du bon côté de la barrière, si l’on peut dire : il était un des parachutistes blessés pendant l’intervention. Nouvelle disparition. Il vivait aujourd’hui à Paris, au 45, rue de la Voûte, près de la porte de Vincennes, apparemment sans boulot ni revenus, hormis une pension d’invalide de guerre. Pas de voiture. Pas de téléphone. Pas de compte en banque ni de carte de crédit.

Voilà l’homme dont on avait retrouvé des échantillons dans le cadavre d’Anne Simoni. Erwan était quasiment certain qu’il était déjà mort et ne savait pas qu’en penser. Pourquoi s’en prendre à lui ?

Parvenu porte de Bercy, il reçut d’autres nouvelles de Kripo, resté au 36 — plutôt un boulet sur le terrain. Un portrait photographique confirmait la première impression sur Pernaud : un facho aux idées ras la brosse. Des traits durs, inexpressifs, rectilignes comme un plan d’attaque. Le genre à s’habiller en kaki la semaine et en motifs camouflage le dimanche.

Pour l’intervention, Erwan avait appelé en renfort Tomasi et ses gros bras de la BRI. Il ne les appréciait pas mais ils étaient qualifiés pour une opération de saute-dessus. Pernaud était peut-être toujours vivant, et impliqué d’une autre manière dans les meurtres. Or son profil appelait à la prudence. D’après Kripo, il possédait une carte de la Fédération française de tir et détenait au moins cinq armes à feu.

Ils se pointèrent boulevard Soult pour s’apercevoir que la rue de la Voûte était à sens unique — leur GPS avait refusé de s’allumer. Ils rebroussèrent chemin, firent un grand tour pour découvrir, à l’autre bout de l’artère, un nouveau sens interdit. Merde.

Pas question de foutre le deux-tons en marche ni de prendre la rue à contresens. Après plusieurs manœuvres et engueulades par radio, arrêt cours de Vincennes devant le passage de la Voûte — un simple escalier qui permettait d’accéder à la rue du même nom.

Vamos. À pied, et sans brassard, ils dévalèrent les marches.

La nuit tombait. Les trottoirs étaient déserts. Clé universelle. Erwan laissa passer les membres de son équipe avec un sentiment de sécurité : Tonfa était solide, la Sardine un tireur hors pair, Audrey une vraie sandiniste…

Pas de concierge mais le nom des habitants dans un cadre sous verre avec, en tête de liste, Ludovic Pernaud, troisième étage gauche. Les renforts de la BRI avaient trouvé un deuxième accès par la cour intérieure. Briefing à voix basse, dans le hall obscur puant le moisi, l’encaustique et les poubelles.

— Tomasi, tu…

— Pas de nom pendant l’opération.

Erwan soupira :

— Je monte avec mon équipe, tu sécurises le rez-de-chaussée, les fenêtres de la cour intérieure et les toits.

Tomasi n’aimait pas qu’on lui donne des ordres mais il parut d’accord avec ce plan pour le moins basique. Sans un mot, il tendit une oreillette à Erwan, qui la fixa avec difficulté.

— On est sur la même fréquence, chuchota le cow-boy.

Rose et rasé comme un cochon de lait, il était plus proche des pilotes de Kaerverec que des flicards qui hantent le 36.

— Je vous préviens quand on est là-haut, répondit Erwan, percevant l’écho de sa propre voix dans le corridor.

Tous dégainèrent en produisant des arrachements de velcro qui résonnèrent trop fort dans le hall. Les gars de la BRI vers la cour, Erwan et les siens vers la cage d’escalier, se faisant le plus légers possible.

Sur le palier du troisième étage, il reprit la tête du groupe. Ils n’avaient pas allumé. Les lattes du sol couinaient horriblement. Dans les ténèbres, deux portes se découpaient sur la gauche.

Erwan alluma sa Maglite et éprouva la sensation que la lampe fonctionnait sur sa propre énergie, à lui. Il était bouillant, le cœur comme un gong. Dans le faisceau, il vit un nom inconnu au-dessus d’une sonnette. L’autre n’en portait pas. Il posa son oreille contre la porte : aucun bruit. Il fit un geste explicite à son équipe et recula pour murmurer dans son oreillette :

— On est en place. Et vous ?

— On est okay. Ça bouge à l’intérieur ?

— Que dalle. On tape.

Erwan s’avança, en se déportant sur la droite pour ne pas se trouver dans l’angle de tir. Il sentait la sueur qui coulait entre ses doigts et la crosse du flingue.

— Police, cria-t-il après avoir frappé. Ouvrez !

Aucun retour. Il s’attendait plutôt à voir les autres portes s’ouvrir comme ça arrivait chaque fois. D’un signe, il donna le feu vert à Tonfa, qui s’approcha armé d’un bélier Monoshock. Premier coup : le verrou résista. Un autre, puis un autre encore — le châssis était blindé.

À chaque heurt, Erwan revoyait les autorisations préfectorales de Pernaud : deux fusils 22 long rifle, un fusil à pompe Remington calibre 12, un pistolet automatique 9 mm Glock, un revolver à six coups Smith et Wesson 357 Magnum…

La porte s’arracha enfin de ses gonds, s’abattant vers l’intérieur. Les armatures métalliques se décrochèrent dans la foulée, manquant d’assommer Tonfa, emporté par son élan. Erwan l’écarta de l’épaule et bondit, en position de tir réflexe :

— POLICE ! PO…

Il ne put achever sa sommation. Les murs du studio étaient couverts de sang. Des traits, des motifs, des éclaboussures qui évoquaient les divinités yombé. Des masques aux traits naïfs. Des sagaies en forme de pénis. Des croissants aux allures de serpents.

Dans un autre temps, cette pièce avait été le repaire d’un homme de main passionné par les armes, l’extrême droite et pas mal d’autres conneries comme les sinistres voies de fait des supporters de foot — des articles épinglés au mur en témoignaient. C’était maintenant un champ de bataille retourné, fouillé, sondé en tous sens — et le théâtre d’un carnage. Un espace tellement ensanglanté que le sol ressemblait à un parterre d’abattoir. L’odeur de l’hémoglobine, lourde, métallique, était déjà sur le départ. Le sacrifice de Ludovic Pernaud datait d’au moins douze heures.

Sans un mot, ils s’avancèrent dans la pièce, formant d’instinct, comme on l’apprend à l’école de police, un chevron dont la pointe était Erwan, calibre au poing. Une voix résonna dans son oreille :