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— Pas mal, la tire, là dehors, fit-il en hochant le menton en direction du parking sans cesser d’enfourner ses cornflakes.

— C’est celle de ma fille Rosa. Elle était à l’atelier.

Rydell déglutit.

— Les freins, un truc comme ça ?

— Non. C’est cette putain de cascade. En principe, il y a des animaux qui sortent de derrière les buissons pour la regarder. La cascade, tu saisis ?

Il se pencha en arrière, s’appuyant contre le comptoir, remuant les doigts de pied dans ses sandales à bosses.

— Des animaux comme ceux du Costa Rica, tu vois ce que je veux dire ? Un thème écologique. C’est une vraie Verte. Elle nous a fait enlever ce qu’il restait de la pelouse pour mettre à la place ces trucs qui ressemblent à des araignées grises. À l’atelier, ils ont été incapables de faire sortir ces putains d’animaux. Elle est pourtant sous garantie et tout le reste, mais rien à faire. Franchement, ça commence à me faire chier.

Il secoua la tête.

— Tu es déjà allé au Costa Rica, Rydell ?

— Non.

— Putain, c’est beau, je peux te dire. C’est un peu comme la Suisse.

— Connais pas non plus.

— Non. Je parlais de ce qu’ils font avec les données. Comme les Suisses avec le fric.

— Tu veux dire les paradis fiscaux ?

— Exactement. Ils sont pas cons, ces gens. Pas d’armée de terre ni de mer ni de l’air. Ils sont neutres. Et ils s’occupent des données de tout le monde.

— Sans chercher à savoir.

— En plein dans le putain de mille ! Ils sont malins, je te dis. Et où est-ce qu’ils dépensent le fric, hein ? Dans l’écologie.

Rydell porta la cuiller, le bol et le tas de papiers mouillés dans l’évier. Il rinça le bol et la cuiller et les essuya avec la boule de papiers. Puis il enfouit ces derniers, le plus profond possible, dans le sac-poubelle accroché sous l’évier. Il se redressa alors et se tourna vers Hernandez.

— Il y a quelque chose que je peux faire pour toi, chef ?

— Tu prends le problème à l’envers, fit Hernandez en souriant d’une manière que Rydell, sans savoir pourquoi, ne trouvait pas tellement rassurante. J’ai réfléchi à ton cas, mon vieux. Ta situation n’est pas fameuse, pas fameuse du tout. Tu ne pourras plus jamais être flic. Maintenant que tu as donné ta démission, je ne peux même pas te réengager chez SecurIntens pour un job de surveillance des résidences câblées. Tu obtiendras peut-être, au maximum, un poste de gardien dans une guérite de magasin de spiritueux. C’est ça que tu veux ?

— Non.

— Heureusement pour toi, parce qu’on finit mal, généralement, dans ce genre de boulot. Le premier malfrat qui entre, il commence par s’en prendre à celui qui est dans la guérite, tu me suis ?

— Pour le moment, j’ai quelque chose en vue dans le commerce.

— Sans déconner ? Le commerce ? Et pour vendre quoi ?

— Des têtes de lit faites de négrillons en fonte. Des tableaux fabriqués avec des cheveux humains vieux de plusieurs centaines d’années.

Hernandez plissa les yeux et s’écarta du comptoir. Il se dirigea vers le séjour. Rydell se dit qu’il allait peut-être partir, mais non, il commença à faire les cent pas. Rydell l’avait vu agir ainsi plusieurs fois dans son bureau à SecurIntens. Il se retourna brusquement, juste au moment d’entrer dans le séjour, et marcha de nouveau vers Rydell.

— Tu es une vraie tête de bois, parfois, mon vieux. Je ne comprends pas. Ça ne t’arrive pas de penser un peu et de te dire qu’on pourrait vouloir t’aider à sortir de la merde, hein ?

Il retourna dans le séjour.

— Si tu me disais ce que tu veux, une bonne fois pour toutes ?

Hernandez s’arrêta brusquement, se retourna et soupira.

— Tu n’es jamais allé en NoCal, hein ? San Francisco… Il y a quelqu’un qui te connaît là-bas ?

— Non.

— SecurIntens a une licence en NoCal, également, tu saisis ? Un autre État, d’autres lois, une mentalité entièrement différente. Comme si c’était un putain de pays étranger. Mais nous avons notre part du gâteau là-haut. Des immeubles de bureaux, des hôtels en pagaille. Les résidences câblées ne sont pas aussi importantes qu’ici, sauf si tu prends les villes voisines comme Concord, ou le centre commercial de l’Hacienda. On a pas mal de trucs dans ce coin-là aussi.

— Mais si c’est la même compagnie, ils ne m’engageront pas plus là-bas qu’ici.

— En plein dans le putain de mille ! Personne n’a parlé de t’engager. Mais il y aurait peut-être quelque chose à faire avec un mec qui travaille là-bas en solo. La compagnie a quelquefois des problèmes, et elle fait appel à des mecs de l’extérieur. Celui-là ne bosse pas pour SecurIntens. Il bosse pour lui. Il a son bureau là-bas. Et ils ont justement une affaire en ce moment.

— Une seconde. De quoi est-ce qu’on est en train de parler, toi et moi ? D’intervention armée en solo ou quoi ?

— Ce mec est un pisteur individuel. Tu sais ce que c’est ?

— Il retrouve les gens qui essaient de se défiler quand ils ont des dettes, ou qui font sauter leur loyer, des trucs comme ça ?

— Ou bien qui filent avec le gosse dans le cas de divorce ou le juge a confié la garde à l’autre. Ce genre de chose. Mais aujourd’hui, tu sais, ces recherches se font presque toujours sur le réseau. Il suffit de se brancher sur DatAmerica, et on finit par retrouver n’importe qui. Il y a aussi la solution ajouta-t-il en haussant les épaules, qui consiste à aller trouver les flics.

— Alors le rôle d’un pisteur… suggéra Rydell, en se souvenant d’un épisode de Flics en peine qu’il avait regardé avec son père…

— C’est d’éviter aux gens d’aller trouver les flics.

— Ou bien une agence de détectives ayant pignon sur rue.

— Tu commences à comprendre, fit Hernandez sans le quitter des yeux.

Rydell passa devant lui pour entrer dans le séjour. Il entendit le chuintement des sandales de douche allemandes sur le carrelage de la cuisine. Quelqu’un avait fumé ici la veille. L’odeur était encore présente. C’était contraire au bail. Le proprio allait encore leur faire des histoires. C’était un immigré serbe qui conduisait une BMW de quinze ans, portait un de ces curieux chapeaux tyroliens en feutre à poil long, et insistait pour qu’on l’appelle Wally. Comme il savait que Rydell travaillait pour SecurIntens, il avait tenu à lui montrer la torche électrique accrochée sous le tableau de bord de sa BMW. Elle faisait presque trente centimètres de long et était munie d’un bouton qui déclenchait un jet de gaz au capsicum. Il avait demandé à Rydell s’il pensait que ça “suffisait”.

Rydell avait menti. Il lui avait répondu que les gens qui absorbaient, par exemple, du dancer en quantité prenaient leur pied avec une ou deux bonnes giclées de capsicum. Ça leur nettoyait les sinus. Ça leur donnait un coup de fouet. Ça les faisait véritablement décoller.

Baissant les yeux, il s’aperçut, pour la première fois, que la moquette de Mar Vista était exactement la même que celle où il avait rampé dans l’appartement de la copine de Turvey, à Knoxville. Elle était peut-être un peu plus propre, mais c’était indubitablement la même texture. Et il ne s’en était jamais aperçu avant.

— Écoute, Rydell, si tu n’en veux pas, très bien. C’est mon jour de repos. Je me suis donné la peine de venir jusqu’ici. Tu n’apprécies pas ? D’accord, tu t’es fait baiser par des pirates de merde, tu as donné dans le panneau, tu as réagi un peu trop fort. Je comprends ça. Mais on n’y peut rien, mec. C’est dans ton dossier, et je ne peux pas faire plus que ce que je fais en ce moment. Mais écoute-moi bien. Vis-à-vis de la compagnie, tu n’as rien à te reprocher, et ils le sauront à Singapour.