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— Interdit, dans cet État, mon pote, fit la serveuse, contente de l’occasion de rappeler quelqu’un à l’ordre public.

Elle avait ce type de chevelure envahissante. C’était le genre d’endroit où les gens venaient manger quand ils faisaient partie de l’équipe de nuit d’une quelconque putain de boîte industrielle. Avec un peu de bol, se disait Rydell, ils pouvaient se payer la serveuse en prime.

Svobodov lui lança son regard de flic à deux mille volts négatifs, sortit de dessous son pare-balles un porte-badge en plastique noir, et l’ouvrit nonchalamment en direction de Rydell. Puis il le laissa retomber sur sa poitrine au bout de sa cordelette en nylon. Rydell entendit le bruit qu’il fit en touchant. Il devait porter une espèce de gilet-armure de secours sous sa chemise blanche.

— Vous montrerez ça aux deux mormons de la Patrouille Routière quand ils se pointeront, fit la serveuse.

Svobodov planta la cigarette entre ses lèvres.

Le poing de Warbaby se dressa, entourant un bloc d’or de la taille d’une grenade à main.

Il alluma la cigarette du Russe avec.

— Qu’est-ce que tu fous avec ça ? demanda Svobodov en lorgnant le briquet. Tu fumes, ou quoi ?

— N’importe quoi sauf ces Marlboro chinoise, Arkady, répliqua l’autre, plus lugubre que jamais. Elles sont bourrées de fibre de verre.

— Goût américain, protesta Svobodov. Fabriqué sous licence.

— Ça fait six ans qu’on n’a pas fabriqué légalement une seule cigarette dans ce pays, fit Warbaby comme si c’était la chose la plus triste du monde.

— Marl-bo-ro, articula Svobodov en retirant la cigarette de sa bouche pour indiquer les lettres au-dessus du filtre. Quand on était des mômes, Warbaby, ça représentait du fric, Marlboro, un paquet de fric !

— Arkady ! murmura Warbaby comme s’il faisait appel à d’énormes réserves de patience, quand on était mômes, mec, l’argent, ça représentait de l’argent.

Orlovsky se mit à rire. Svobodov haussa les épaules.

— Explique ce que tu sais, Warbaby, fit-il en revenant à la question du début.

— M. Blix a été trouvé mort au Morrisey. Assassiné.

— Travail de pro, précisa Orlovsky. Ils veulent nous orienter sur je ne sais quelle connerie de piste ethnique, tu saisis ?

Svobodov loucha en direction de Warbaby.

— On n’a pas de certitude, dit-il.

— La langue, fit Orlovsky, sûr de lui. La couleur. C’est pour nous lancer sur une fausse piste. Ils veulent que nous pensions aux Latin Kings.

Svobodov tira sur sa cigarette, et souffla la fumée vers la serveuse.

— Dis-nous ce que tu sais, Warbaby.

— Hans Rutger Blix. Quarante-trois ans. Naturalisé costaricain.

Tout cela sur le ton d’un discours à un enterrement.

— Mon cul, fit Svobodov en moulant ses lèvres autour de la cigarette.

— Warbaby, déclara Orlovsky, nous savons que tu travaillais sur ce coup avant que ce taré ne se fasse égorger.

— Taré, répéta Warbaby, comme si le mort, peut-être, avait été un ami personnel, un frère de loge, ou quelque chose comme ça. C’est pas parce que ce mec est clamsé que ça fait de lui automatiquement un taré.

Svobodov tira placidement sur sa Marlboro. Puis il retira de ses lèvres et en écrasa le bout dans son assiette, à côté des miettes de thon intouchées.

— Un taré. Fais-moi confiance.

Warbaby soupira.

— Il avait un dossier, Arkady ?

— Si tu veux son dossier, lui dit Svobodov, rencarde-nous d’abord sur ce que tu étais censé faire pour lui. Nous savons que vous avez eu des contacts.

— Je ne lui ai jamais parlé.

— D’accord. Il a parlé à SecurIntens. Tu travailles à ton compte.

— Absolument, fit Warbaby.

— Qu’est-ce qu’il a dit à SecurIntens ?

— Qu’il avait perdu quelque chose.

— Quoi ?

— Un truc de nature personnelle.

Svobodov soupira.

— S’il te plaît, Lucius.

— Une paire de lunettes.

Svobodov et Orlovsky s’entre-regardèrent. Puis ils se tournèrent de nouveau vers Warbaby.

— SecurIntens fait appel à Lucius Warbaby parce qu’un mec a perdu une paire de lunettes ?

— Elles coûtaient peut-être très cher, suggéra Freddie d’une voix douce tout en étudiant soigneusement son reflet dans le miroir derrière le comptoir.

Orlovsky croisa ses doigts velus et fit craquer ses phalanges.

— Il pensait qu’il les avait perdues à une soirée, expliqua Warbaby, ou que quelqu’un, peut-être, les lui avait volées.

— Quelle soirée ? demanda Svobodov.

Quand il changea de position sur son tabouret, Rydell entendit craquer son deuxième gilet.

— Une soirée au Morrisey.

— Qui donnait cette soirée ? demanda Orlovsky en regardant par-dessus ses demi-verres.

— M. Cody Harwood.

— Harwood… murmura Svobodov. Harwood…

— Pavlov, ça vous rappelle quelque chose ? demanda Freddie sans s’adresser à quelqu’un en particulier.

Svobodov émit un grognement.

— Un paquet d’argent.

— Et pas dans les Marlboro, fit Warbaby. M. Blix est allé à la soirée de M. Harwood. Il a bu quelques verres.

— Avec le taux d’alcool qu’on lui a trouvé, ils n’auront plus besoin de l’embaumer, estima Orlovsky.

— Il avait bu quelques verres. L’étui, qui était dans la poche de son veston a disparu, le lendemain, il a alerté les services de sécurité du Morrisey, qui ont appelé SecurIntens, qui m’a appelé.

— Son téléphone avait disparu, fit Svobodov. Ils l’ont emporté. Plus rien pour le rattacher à qui que ce soit. Pas d’agenda, pas de carnet d’adresses, rien.

— Travail de pro, récita Orlovsky.

— Les lunettes, demanda Svobodov. Quel genre ?

— Des lunettes, murmura Freddie.

— On a découvert ça, dit Svobodov.

Il sortit quelque chose de la poche de son London Fog. Un sachet Ziploc de pièce à conviction. Il le leva à hauteur de leurs yeux. Rydell distingua des échardes de plastique noir.

— Lunettes LV à bon marché. Trouvés sur la moquette.

— Tu sais ce qu’il se passait sur ce truc ? demanda Warbaby.

Ce fut au tour d’Orlovsky. Il sortit un deuxième sachet de pièce à conviction, cette fois-ci de dessous de son gilet noir.

— On a cherché un programme, mais on n’a rien trouvé. Alors, on a eu l’idée de le passer aux rayons X. Quelqu’un lui a fourré ça au fond de la gorge.

Un rectangle noir. L’étiquette adhésive était râpée et toute tachée.

— Avant de le zigouiller, précisa Orlovsky.

— Et c’est quoi ? demanda Warbaby.

— McDonna, répondit Svobodov.

— Hein ?

Freddie se pencha contre Warbaby pour mieux voir.

— Mac quoi ? demanda-t-il.

— Puce de baise.

Rydell avait eu l’impression d’entendre “plus d’obèses” mais il comprit soudain.

— McDonna.

— Je me demande s’ils ont tout lu jusqu’au bout, déclara Freddie, assis à l’arrière de la Patriot.

Il avait les pieds posés sur le dossier du siège avant et les petites lumières rouges sur le côté de ses baskets clignotaient au rythme des paroles d’un tube quelconque.

— S’ils ont lu quoi ?

Rydell observait Warbaby et le Russe, qui se tenaient à côté de l’une des voitures banalisées les moins subtiles que Rydell eût jamais vues dans sa vie : une baleine gris plomb avec une cage en graphite à expansion pour protéger les phares et le radiateur. Une pluie fine granulait le pare-brise de la Patriot.