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— M. Warbaby t’expliquera tout ça, lui dit Freddie.

Ils retrouvèrent Warbaby là où ils l’avaient laissé, dans une cafétéria obscure, au plafond haut, à un endroit que Freddie appelait North Beach. Il avait de nouveau chaussé ses fameuses lunettes, et Rydell se demandait ce qu’il voyait avec.

Rydell avait apporté sa Samsonite bleue qu’il gardait dans la Patriot ainsi que le sac de Conteneur-City. Il alla aux toilettes pour se changer. Elles étaient unisexes, et il y avait une cabine de douche à l’intérieur. Personne ne devait s’en servir, car il y avait une sirène, grandeur nature, peinte sur le côté intérieur de la porte, avec un mégot écrasé planté à l’endroit du nombril, là où commençaient les écailles.

Rydell s’aperçut que son treillis était déchiré juste au cul et il se demanda depuis combien de temps il se baladait ainsi. Mais il avait dû se faire ça dans la voiture, car il n’avait rien remarqué à Conteneur-City. Il enleva sa chemise de SecurIntens, la fourra dans la poubelle, et mit l’un des tee-shirts noirs. Puis il défit les lacets de ses baskets et réfléchit au moyen de changer de pantalon, de chaussettes et de sous-vêtements sans avoir à mettre les pieds par terre, car tout était mouillé. Il l’aurait bien fait dans la cabine de douche, mais ça paraissait également mouillé. Il décida d’essayer en se tenant sur ses baskets et en s’appuyant, presque assis, sur la cuvette des chiottes. Il mit au panier tous les vêtements qu’il retira. Il se demandait combien d’argent il restait sur la carte de débit que Freddie lui avait donnée. Il termina en mettant son blouson neuf et en se lavant les mains et la figure avec le filet d’eau rubigineuse qui s’échappait du robinet. Il se coiffa et transféra le reste de ses affaires neuves dans la Samsonite, en gardant le sac vide pour y mettre plus tard son linge sale.

Il aurait eu besoin d’une douche, mais il ne savait pas quand il allait pouvoir s’en offrir une. C’était déjà pas mal d’avoir pu se changer.

Warbaby leva les yeux lorsqu’il le rejoignit à sa table.

— Freddie t’a parlé un peu du pont, Rydell ?

— Il m’a dit que les gens là-bas étaient des satanistes croqueurs de bébés.

Warbaby jeta un regard noir à Freddie.

— Un peu pittoresque comme description, peut-être, mais c’est malheureusement assez proche de la vérité. Ce n’est certes pas un endroit très accueillant, et les forces de l’ordre y mettent rarement les pieds. Tu ne risques pas d’y rencontrer nos amis Svobodov et Orlovsky. Pas au grand jour, en tout cas.

Rydell vit Freddie sur le point de s’esclaffer mais un bref coup d’œil de Warbaby suffit à faire retomber ses traits.

— Freddie m’a laissé entendre que vous aimeriez m’y envoyer, M. Warbaby, pour retrouver cette fille.

— C’est exact, fit Warbaby d’une voix grave. Nous avons bien cette intention. J’aimerais pouvoir te dire que ce n’est pas dangereux, mais je ne peux pas.

— Dangereux… à quel point, M. Warbaby ?

— Très dangereux.

— Et cette fille, elle est dangereuse, également ?

— Tout particulièrement, soupira Warbaby. Surtout dans la mesure où elle n’en a pas toujours l’air. Tu as vu ce qu’ils ont fait à cet homme.

— Mon Dieu ! s’exclama Rydell. Vous pensez que c’est cette gamine qui lui a fait ça ?

— Ils sont terribles, murmura-t-il. Il n’y a pas de limite aux atrocités que ces gens-là sont capables de commettre.

Quand ils descendirent de voiture, il s’aperçut qu’il s’était garé sous cette fameuse fresque représentant J.D. Shapely en blouson de cuir noir, sans chemise, montant au ciel accompagné d’une douzaine d’anges particulièrement suaves avec leurs longs cheveux blonds de rockers. Il y avait des rubans entortillés, d’un bleu fluo, représentant l’ADN ou quelque chose comme ça, qui sortaient de son ventre pour attaquer ce que Rydell supposait être un virus du sida, mais qui ressemblait davantage à une station spatiale rouillée hérissée de bras mécaniques menaçants.

Il se fit la réflexion qu’il n’aurait pas aimé être dans la peau de ce mec, qu’il aurait préféré être dans celle de n’importe quel tordu plutôt que dans la sienne, mais que le plus dérangeant aurait été de mourir comme lui et de se voir ensuite sur cette fresque à la con.

IL VIT DÉSORMAIS EN NOUS, disait la légende de la fresque en lettre de trente centimètres, ET NOUS VIVONS GRÂCE À LUI.

Ce qui était techniquement exact. Rydell avait une marque de vaccination pour le prouver.

18

Condensateurs

La mère de Chevette, à une époque, avait un copain nommé Oakley, qui passait la moitié de son temps à picoler et le reste à conduire des poids lourds, du moins c’était ce qu’il disait. Il avait de longues jambes et des yeux bleus un peu trop espacés au milieu d’un visage aux pommettes délimitant deux profonds sillons verticaux qui le faisaient ressembler, disait la mère de Chevette, à un vrai cowboy. Pour sa part, Chevette pensait que cela lui donnait l’air plutôt dangereux, ce qui n’était pas le cas, sauf quand il avait bu une ou deux bouteilles de whisky et qu’il avait oublié qui il était et avec qui, particulièrement s’il prenait Chevette pour sa mère, ce qui lui était déjà arrivé une ou deux fois, mais elle avait toujours réussi à s’en sortir et il regrettait toujours son attitude par la suite, il lui payait des Ring-Ding et des trucs comme ça au drugstore pour se faire pardonner. Ce qu’elle se remémorait de lui, surtout, en regardant ce type avec son flingue en bas de la trappe, c’était qu’il l’avait emmené dans les bois, un jour, et qu’il l’avait laissé tirer avec son revolver.

Le mec en bas avait un peu la même tête qu’Oakley, avec les mêmes yeux espacés et de profonds sillons dans les joues. Comme les rides qui se forment chez ceux qui sourient tout le temps. Il souriait, effectivement, en ce moment, mais c’était plutôt un sourire qui glaçait.

— On descend gentiment, maintenant, dit-il en détachant chaque syllabe de la même manière.

— Qui êtes-vous et qu’est-ce que vous venez foutre ici ? demanda Skinner d’une voix plus curieuse que troublée.

Le coup partit. La détonation ne fut pas très forte mais sèche et accompagnée d’un éclair bleu. Elle vit le Japonais s’asseoir par terre. Ses jambes s’étaient dérobées sous lui, et elle crut tout d’abord que l’autre lui avait tiré dessus.

— Fermez-là, dit-il. Et toi, ajouta-t-il en s’adressant à Chevette, je t’ai dit de descendre de là.

Sammy Sal lui toucha alors la nuque, et ses doigts la poussèrent vers l’ouverture avant de se retirer.

L’autre ne savait sans doute pas qu’il était là-haut avec elle, et c’était lui qui avait les lunettes. Une chose était certaine, en tout cas. L’homme au pistolet n’était pas un flic.

— Excusez-moi, fit le Japonais. Excusez-moi, je ne…

— Je vais te tirer entre les deux yeux une petite balle subsonique au titanium, fit l’autre sans cesser de sourire, exactement comme il aurait dit : « Je vais t’acheter un sandwich. »

— J’arrive ! cria Chevette…

Et il ne tira ni sur elle ni sur le Japonais.

Elle crut entendre Sammy Sal s’éloigner d’elle sur la terrasse, mais ne regarda pas en arrière. Elle hésitait à refermer la trappe. Elle jugea préférable de s’abstenir, parce que l’homme lui avait seulement ordonné de descendre. Il fallait passer la main en haut de l’ouverture pour attraper le panneau, et il était capable de croire qu’elle voulait prendre une arme ou quelque chose comme ça, comme dans les films.