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Orlovsky essayait frénétiquement de repousser la sphère, et cela l’empêcha, durant un bref instant, de pointer son arme.

Mais cela donna également assez de lumière à Rydell pour qu’il s’assure qu’il tenait bien la fille et non l’ex. Il l’avait happée au passage par un poignet, oubliant tout ce qu’il avait appris sur l’usage des menottes ou autres moyens d’immobilisation, et il courait, du mieux qu’il pouvait, vers l’escalier.

Orlovsky hurla quelque chose, mais ce devait être du russe.

Son oncle, celui qui était parti faire le mercenaire en Afrique, disait toujours que la manière dont une belle nana remuait le cul en marchant, ça lui rappelait deux bébés lynx à l’intérieur d’un sac en jute. C’est cette expression qui lui vint à l’esprit tandis qu’il grimpait les marches à toute vitesse avec Chevette, propulsée devant lui comme un gros paquet de bonbons. Mais cela n’avait rien de particulièrement sexy.

Il avait de la chance qu’elle ne lui ait pas encore crevé un œil ou enfoncé une côte.

22

Robobof

Sans voir celui qui la poussait, elle lançait des coups de pied et des coups de poing derrière elle, en grimpant l’escalier, mais il la tenait si loin de lui, devant, qu’elle faillit s’étaler.

Quand elle émergea sur le tablier, malgré le peu de lumière qu’il y avait, elle vit qu’elle se trouvait nez à nez avec une espèce de pistolet mitrailleur en plastique de la couleur d’un jouet d’enfant. C’était encore un de ses affreux jojos en gabardine. Celui-ci n’avait pas de chapeau et ses cheveux mouillés encadraient un visage à la peau trop près des os.

— Maintenant, tu la lâches, enfoiré, dit-il avec la voix d’un héros de vieux film d’épouvante avec des monstres.

Elle faillit perdre l’équilibre quand celui qui la tenait la lâcha brusquement.

— Qu’est-ce que tu essaies de faire, enfoiré ? reprit l’homme à la gabardine. Bouge un peu pour voir.

— War… fit celui qui l’avait tenue en se pliant en deux pour tousser… baby, acheva-t-il en se redressant, les mains sur les côtes, et en lui jetant un regard furieux. Putain de bon Dieu ! Vous avez une sacrée ruade, vous !

Il avait l’accent américain, lui, mais pas de la côte Ouest. Il portait un blouson en nylon à bon marché, avec une manche à moitié déchirée au niveau de l’épaule, et la doublure qui sortait.

— Bouge un peu pour voir.

Le canon en plastique de l’arme automatique était pointé sur son nez.

— Warbaby… Warbaby, fit l’autre, ou quelque chose d’approchant. C’est Warbaby qui m’a envoyé la chercher. Il est garé là-bas, derrière ces espèces de pièges à tanks. Il attend que je la lui ramène.

— Arkady…

C’était celui au melon en plastique, qui grimpait les marches derrière le type qui l’avait poussée. Il avait sur le nez une paire de lunettes de vision nocturne, avec un drôle de tuyau sous le bord du chapeau. Il tenait à la main quelque chose qui ressemblait à une petite bombe aérosol. Il prononça quelques mots dans cette langue qui ressemblait à du russe, tout en désignant l’escalier avec sa bombe.

— Si vous vaporisez du capiscum dans un escalier confiné comme celui-là, déclara celui qui l’avait poussée, ça risque de faire des dégâts. Lésions permanentes des sinus.

L’homme à la peau sur les os le regarda comme on fixe une bestiole qui sort en rampant de sous une pierre.

— C’est vous qui conduisez, c’est ça ?

Il fit signe à l’homme au chapeau de ranger sa bombe.

— On a pris le café ensemble. Enfin, du thé pour vous. Svobodov, c’est bien ça ?

Chevette surprit le regard que lui lança l’homme, comme si ça ne lui faisait pas plaisir qu’on prononce son nom devant elle. Elle aurait voulu lui expliquer que tout ce qu’elle avait entendu, c’était Robobof, à cause de l’accent de l’autre, mais ça ne pouvait pas être ça, naturellement.

Pourquoi vous l’avez prise ? demanda l’homme à la peau sur les os, Robobof.

— Elle aurait pu s’enfuir, dans le noir. J’ignorais que votre copain avait des lunettes infrarouges. N’importe comment, il m’a envoyé la chercher. Il ne m’a pas parlé de vous. Ou plutôt, ils m’ont dit que vous ne mettiez pas les pieds ici.

L’homme au chapeau était derrière elle, à présent, et il lui tordait le bras.

— Lâchez-moi ! hurla-t-elle en trépignant.

— Doucement, fit celui qui l’avait poussée dans l’escalier, comme si tout allait s’arranger. Ces hommes sont des officiers de police. Brigade des Homicides de San Francisco, c’est bien ça ?

Robobof émit un sifflement mauvais.

— Enfoiré…

— Des flics ? demanda Chevette.

— Parfaitement.

Cela lui valut un reniflement exaspéré de la part de Robobof.

— Arkady, il faut qu’on s’en aille d’ici. Ces tarés essaient de nous espionner d’en bas…

L’homme au chapeau ôta ses lunettes infrarouges et se mit à danser d’un pied sur l’autre comme s’il avait envie de pisser.

— Hé ! s’écria Chevette. Quelqu’un a tué Sammy. Si vous êtes des flics, écoutez-moi. Quelqu’un a tué Sammy Sal !

— Qui c’est ce Sammy ? demanda l’homme au blouson déchiré.

— Je travaille avec lui. Chez Allied. Sammy DuPree. Il s’est fait tirer dessus !

— Qui lui a tiré dessus ?

— Fermez-la, Rydell.

— Elle nous livre des informations importantes sur un meurtre, et vous me dites de la fermer ?

— Oui. Je vous dis de fermer votre putain de gueule. Warbaby, il vous expliquera.

Il tordit de nouveau le bras de Chevette pour l’obliger à aller avec eux.

23

Ce qui est fait est fait

Svobodov avait insisté pour le menotter à Chevette Washington. C’étaient des Beretta, comme celles qu’il avait eues en patrouille à Knoxville. Svobodov disait qu’il fallait qu’ils aient les mains libres, pour le cas où les gens du pont s’apercevaient qu’ils emmenaient la fille.

Mais si c’était une arrestation, comment se faisait-il qu’ils ne lui aient même pas lu ses droits, ou simplement déclaré qu’elle était en état d’arrestation ? Rydell avait déjà décidé que si jamais l’affaire était portée devant les juges et qu’il soit appelé à la barre des témoins, il n’était pas question qu’il se parjure en disant qu’il avait entendu qui que ce soit énoncer les droits. Ces Russes étaient des cowboys à la con, d’après ce qu’il pouvait voir, exactement le genre de flics que l’académie de police s’efforçait de ne pas former.

D’un autre côté, ces types-là correspondaient exactement à l’idée que la plupart des gens se faisaient plus ou moins consciemment, d’un flic, cela venait, leur avait dit un de ses professeurs à l’académie, de toute une mythologie qui existait depuis toujours. Comme ce qu’ils appelaient le syndrome du père Mulcahy, dans les affaires de prise d’otages, quand les flics essayaient de décider de ce qu’il fallait faire. Ils avaient tous vu ce film avec le père Mulcahy[7], et ils s’exclamaient tous en chœur, oui je sais, je vais chercher un prêtre, je vais chercher les parents du mec, je pose mon flingue et j’entre discuter avec lui. Et s’ils faisaient ça, ils se prenaient une balle dans le cul, pour avoir confondu le cinéma et la réalité. Ça marchait d’ailleurs dans les deux sens, ce truc-là. Petit à petit, on finissait par devenir exactement comme les flics qu’on regardait à la télé. Les instructeurs les avaient mis en garde. Mais les gens comme Svobodov et Orlovsky, ceux qui venaient d’un autre pays, ils étaient peut-être encore plus sensibles à l’influence des médias. Il n’y avait qu’à voir comment ils s’habillaient.

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7

M.A.S.H., de Robert Altman. (N.d.T.)