— Mon nom, c’est Fontaine, lui dit l’homme. Chevette m’a appelé pour me dire de monter voir si Skinner avait bien récupéré. C’est moi qui m’occupe de l’installation électrique. Je vérifie que l’ascenseur marche bien et tout le reste.
— Il est en train de se laver, lui dit Yamazaki. La tempête lui a un peu… embrouillé les idées. On dirait qu’il a tout oublié.
— Vous aurez du courant dans une demi-heure. De mon côté, ça risque d’être plus long. On a perdu quatre transfos. Il y a eu cinq morts et vingt blessés, et on en découvre encore. Skinner à du café sur le feu ?
— Oui.
— Une petite tasse, ça ne me déplairait pas.
— Bien sûr. Avec plaisir.
Yamazaki fit une petite courbette. Le Noir sourit. Le Japonais redescendit par la trappe.
— Skinner-san ! Il y a quelqu’un qui s’appelle Fontaine. C’est un de vos amis ?
Skinner était en train d’enfiler un tricot de peau jauni.
— Je me demande à quoi il sert, le con. On n’a toujours pas de courant.
Yamazaki défit le verrou de la trappe et la souleva. Au bout d’un moment, Fontaine apparut au pied de l’échelle. Il portait une trousse à outils dans chaque main. Il en posa une et passa l’autre en bandoulière sur son épaule. Puis il commença à grimper.
Yamazaki versa le reste du café dans la tasse la plus propre qu’il put trouver.
— C’est l’alimentation qui ne marche pas, fit Skinner tandis que Fontaine poussait sa trousse devant lui par l’ouverture.
Le vieillard avait maintenant revêtu aux moins trois gilets de flanelle élimés, dont les extrémités étaient fourrées un peu n’importe comment dans un vieux pantalon en laine de l’armée.
— On s’en occupe, chef, assura Fontaine en se dressant pour lisser son pardessus. Il y a eu une grosse tempête.
— C’est ce que dit Scooter.
— Et il ne raconte pas de bobards, Skinner. Merci.
Fontaine prit la tasse de café fumant et souffla dessus. Il regarda Yamazaki.
— Chevette dit qu’elle ne va peut-être pas rentrer pendant quelque temps. Vous êtes au courant ?
Yamazaki se tourna vers Skinner.
— Laissez tomber, fit ce dernier. Elle a encore foutu le camp avec ce connard.
— Elle n’a pas parlé de ça, objecta Fontaine. Elle n’a pas dit grand-chose, en fait. Mais si elle ne revient pas, vous allez avoir besoin de quelqu’un pour s’occuper de vous.
— Je suis capable de me débrouiller tout seul.
— Je le sais, chef. Mais il y a un ou deux servos de grillés dans votre ascenseur. Il faudra quelques jours pour réparer, avec tout le boulot qu’on a. Qui c’est qui va aller vous chercher à manger ?
— Il y a Scooter, fit Skinner.
Yamazaki battit plusieurs fois des paupières.
— C’est vrai ? demanda Fontaine en haussant les sourcils. Vous allez rester ici pour vous occuper de M. Skinner ?
Yamazaki songea à l’appartement qu’on lui avait prêté dans la grande maison de style victorien, avec sa salle de bains en marbre noir plus grande que son studio à Osaka. Il regarda Skinner, puis, de nouveau Fontaine.
— Ce sera un honneur pour moi que de rester avec Skinner-san, si tel est son désir, dit-il.
— Faites comme vous voudrez, déclara Skinner en enlevant laborieusement les draps du matelas.
— Chevette m’avait prévenu que je vous trouverais peut-être ici, dit Fontaine au Japonais. Vous venez d’une université, paraît-il…
Il déposa sa tasse sur la table, et se baissa pour prendre sa trousse qu’il posa juste à côté.
— Elle m’a dit que vous vous méfieriez peut-être des inconnus, ajouta-t-il.
Il ouvrit la trousse. À l’intérieur, il y avait des outils étincelants et des rouleaux de fil gainé. Il sortit quelque chose qui était enveloppé dans un chiffon graisseux, regarda du côté de Skinner pour s’assurer que le vieillard ne l’observait pas, et glissa l’objet derrière les bocaux en verre sur l’étagère au-dessus de la table.
— On peut faire en sorte qu’aucun inconnu ne s’approche pendant plusieurs jours sans autorisation, dit-il à Yamazaki en baissant le ton. Quant à ça, c’est un .38 Special, à six coups, tirant des balles à tête creuse. Si vous l’utilisez, vous me rendrez un grand service en le balançant par la suite à la flotte. D’accord ? Sa provenance est… euh… pour le moins douteuse.
Yamazaki pensa à Loveless. Il déglutit.
— Vous pensez que ça ira ? demanda Fontaine.
— Oui, fit Yamazaki. Merci pour tout.
28
Camping-car
Il était 10 h 30 lorsqu’ils furent obligés de retourner dans la rue, et uniquement parce que Laurie, que Chevette connaissait depuis le premier jour où elle était venue ici, arriva pour lui dire que le directeur, Benny Singh, allait passer, et qu’ils ne pouvaient plus rester ici, particulièrement avec son copain endormi comme ça, comme s’il était évanoui ou quoi. Chevette répondit qu’elle comprenait, merci.
— Si tu vois Sammy Sal, fit Laurie, donne-lui le bonjour de ma part.
Chevette hocha la tête sans rien dire. Elle secoua les épaules de Rydell. Il grogna, en essayant d’écarter sa main, mais elle insista.
— Réveillez-vous. Il faut qu’on foute le camp d’ici.
Elle n’arrivait pas à croire qu’elle lui avait raconté tout ça. Mais il fallait bien qu’elle se confie à quelqu’un, ou elle allait devenir dingue. Non pas que ça l’ait soulagé en quoi que ce soit de vider son cœur, au contraire, avec ce que Rydell lui avait raconté en échange, ça aggravait plutôt les choses. Elle ne savait pas si elle devait croire à cette histoire de meurtre par où tout avait commencé, mais si c’était vrai, elle se retrouvait dans la merde encore plus qu’avant.
— Réveillez-vous, quoi !
— Bon Dieu !
Il se redressa en se frottant les yeux.
— Faut qu’on s’barre. Le directeur va rappliquer. Ma copine vous a laissé dormir un peu.
— Pour aller où ?
Chevette avait un peu réfléchi à ça.
— Chez Cole, dans le quartier du Panhandle. Il y a des endroits où ils louent des chambres à l’heure.
— Des hôtels ?
— Pas exactement. C’est pour les gens qui ont besoin d’un lit pour une courte durée.
Il se pencha pour récupérer son blouson derrière le canapé.
— Regardez-moi ça, dit-il en glissant le doigt dans la déchirure de la manche. Dire qu’il était tout neuf hier soir.
Les quartiers qui ont une vie essentiellement nocturne n’ont pas un aspect particulièrement engageant le matin. Même les clochards ne se montraient pas sous leur meilleur jour à cette heure de la journée, comme cet homme couvert de pustules qui essayait de vendre une demi-boîte de sauce tomate pour spaghetti et qu’elle évita en faisant un détour. Encore une rue ou deux, et ils commenceraient à se mélanger à la foule des promeneurs qui se dirigeaient vers Skywalker Park. Ils passeraient inaperçus au milieu des gens, mais ils risquaient de rencontrer davantage de flics, également. Elle essaya de se rappeler si les flics privés de Skywalker avaient l’uniforme de SecurIntens, la compagnie dont lui avait parlé Rydell.
Chevette se demandait si Fontaine était passé chez Skinner comme il le lui avait promis. Elle ne voulait pas trop parler au téléphone, et c’est pourquoi elle avait tout d’abord dit à Fontaine qu’elle devait s’absenter quelque temps et qu’elle aimerait bien qu’il passe voir Skinner et, peut-être, cet étudiant japonais qui était dans le coin depuis quelques jours. Mais Fontaine avait tout de suite vu qu’elle n’était pas rassurée. Il avait posé des questions pour en savoir davantage, et elle avait fini par lui avouer qu’elle avait peur que des gens ne montent là-haut avec de mauvaises intentions.