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— C’est que… fit Rydell en jetant un coup d’œil nerveux au rétro, j’aurais préféré profiter de l’accalmie du déjeuner pour avancer un peu.

— Oh ! fit Mme Elliott, dont le visage s’illumina soudain, ma petite Chevette, si vous passez à l’arrière, vous allez trouver un frigo. Je suis sûre que l’agence l’a rempli avant le départ. Ils font toujours ça.

La perspective fit venir l’eau à la bouche de Chevette. Elle défit son harnais de sécurité et se glissa entre le fauteuil de Mme Elliott et le sien. Il y avait une petite porte donnant sur l’arrière, et la lumière s’alluma automatiquement quand elle l’ouvrit.

— Hé ! s’écria-t-elle. C’est une vraie petite maison, là-dedans !

— Faites comme chez vous, lui dit Mme Elliott.

La lumière resta allumée quand elle referma la porte derrière elle. Elle n’avait jamais vu comment c’était à l’intérieur de ces camions. La première idée qui lui vint, ce fut qu’il y avait pratiquement autant d’espace ici que dans la chambre de Skinner, avec dix fois plus de confort. Tout était gris : la moquette, le plastique, et le similicuir. Elle trouva le frigo incorporé sous une tablette, avec un panier à pique-nique à l’intérieur, enveloppé de cellophane entourée d’un ruban. Elle déchira la cellophane. Le panier contenait une bouteille de vin, des portions de fromage, une pomme, une poire, des biscuits secs et deux barres de chocolat. Il y avait aussi dans le frigo une bouteille de Coca et une bouteille d’eau. Elle s’assit sur le lit et ouvrit un fromage, un paquet de biscuits et une barre de chocolat made in France. Elle but un peu d’eau. Puis elle fit marcher la télé, qui captait vingt-trois chaînes par satellite.

Quand elle eut fini son repas, elle mit la bouteille et les emballages vides dans la poubelle encastrée dans la paroi, éteignit la télé, ôta ses chaussures et s’étendit sur le lit.

Cela lui faisait tout drôle de se coucher sur un lit dans une maison en mouvement. Elle se demandait où elle serait demain.

Juste avant de s’endormir, elle se souvint qu’elle avait toujours le sachet de dancer de Codes dans la poche de son pantalon. Elle ferait mieux de se débarrasser de ce truc. Il y en avait assez pour l’envoyer en prison.

Elle se remémora les sensations qu’elle avait eues quand elle en avait pris. Le plus étonnant, c’était qu’il y avait des gens qui dépensaient tout leur fric rien que pour éprouver ces sensations.

Elle aurait tellement aimé que Lowell n’en fasse pas partie.

Elle se réveilla quand il s’étendit à côté d’elle. Le camion roulait, mais elle savait qu’il avait dû s’arrêter avant. Les lumières étaient éteintes.

— Qui c’est qui conduit ? demanda-t-elle.

— Mme Armbuster.

— Qui ça.

— Mme Elliott. Mme Armbuster, c’était ma prof, qui lui ressemblait.

— Où est-ce qu’elle nous emmène ?

— Los Angeles. Je lui ai dit que je la remplacerais au volant quand elle serait fatiguée, et que ce n’était pas la peine de nous réveiller pour passer la frontière de l’État. Une dame comme elle, si elle leur dit qu’elle ne transporte aucun produit agricole, ils la laisseront passer sans demander à voir à l’intérieur.

— Et s’ils demandent ?

Il était assez près d’elle, sur le lit étroit, pour qu’elle sente son haussement d’épaules.

— Rydell ?

— Oui.

— Comment ça se fait qu’il y a des flics russes.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

— À la télé, il y a tout le temps des émissions avec des flics, et la moitié c’est des Russes. Comme ces deux types sur le pont. Pourquoi des Russes ?

— Bof, ils exagèrent un peu, à la télé, à cause de l’Organizatsiya et tout ça. Les gens aiment bien voir ces émissions-là. Ce qui est sûr, c’est que, s’il y a de la violence dans un quartier avec beaucoup de Russes, on préfère que ce soient des flics russes qui s’en chargent.

Elle l’entendit bâiller, puis le sentit s’étirer.

— Ils sont tous comme ces deux qui sont venus au Dissidents ?

— Non. Il y a des ripoux partout, c’est comme ça.

— Qu’est-ce qu’on va faire, quand on sera à Los Angeles ?

Il ne lui répondit pas. Au bout d’un moment, il se mit à ronfler.

29

La galerie fantôme

Rydell ouvrit les yeux.

Le camion était arrêté.

Il leva sa Timex à hauteur d’yeux et appuya sur le bouton d’éclairage du cadran. 15 h 30. Chevette était couchée en chien de fusil à côté de lui, avec son blouson de cycliste. Il avait l’impression d’avoir dormi à côté d’un vieux bagage en cuir. Il tendit le bras jusqu’à ce qu’il rencontre le store de la fenêtre, qu’il leva légèrement. Il faisait aussi noir dehors que dedans.

Il avait rêvé de Mme Armbuster et de sa classe de seconde à Oliver North. On allait les laisser partir parce que le LearningNet avait annoncé qu’il y avait une épidémie de grippe de Kansas City en Virginie et dans le Tennessee et que les écoles seraient fermées pour la semaine. Ils avaient tous sur le nez les petits masques moulés en papier que les infirmières avaient déposés sur leur banc au début de la matinée. Mme Armbuster venait d’expliquer au tableau la signification du mot pandémique. Poppy Markoff, assise à côté de lui, toute fière des nichons qui lui avaient poussé pendant l’été, avait dit à Mme Armbuster que, d’après ce que disait son père, la grippe de Kansas City pouvait vous tomber dessus et vous tuer en moins de temps qu’il n’en fallait pour marcher jusqu’à l’arrêt du car. Mme Armbuster, qui portait un masque en plastique à micropores acheté au drugstore avait commencé à expliquer le mot panique, qu’elle comparait à pandémique à cause de l’étymologie. Mais c’était là que Rydell s’était réveillé.

Il se redressa. Il avait la migraine et un début de refroidissement. La grippe de Kansas City. Ou peut-être la fièvre de Mokola.

— Pas de panique ; fit-il entre ses dents.

Mais il avait un drôle de pressentiment.

Il se leva et marcha à tâtons vers l’avant. Un peu de lumière passait sous la porte. Il trouva la poignée et ouvrit un tout petit peu.

— Coucou.

Le sourire aux coins dorés. Un petit automatique carré, braqué sur l’œil de Rydell. Il avait tourné et incliné en arrière le siège baquet côté passager. Ses pieds bottés reposaient sur le fauteuil du milieu. La lumière du plafonnier était réglée au minimum.

— Où est Mme Elliott ?

— Elle est partie.

Rydell ouvrit la porte en grand.

— Elle bosse pour vous ?

— Non. Pour SecurIntens.

— Ils l’ont mise dans l’avion juste à cause de moi ?

L’homme haussa les épaules. Rydell remarqua que le pistolet ne bougeait pas d’un millimètre quand il faisait ça. Il portait des gants chirurgicaux et le même pardessus long que quand il était descendu de la voiture des Russes, comme ces cache-poussière australiens faits de micropores noirs.

— Comment a-t-elle réussi à nous retrouver devant cette boutique de tatouages ?

— Il fallait bien que Warbaby serve à quelque chose. Il vous a fait filer, à tout hasard, par deux de ses gars.

— Je n’ai vu personne.

— Vous n’étiez pas censé.

— J’ai quelque chose à vous demander. C’est vous qui avez arrangé comme ça le type de l’hôtel, Blix ?